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Billet de blog 18 décembre 2018

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Gilets jaunes : le mouvement continue

Le mouvement des Gilets jaunes s'essoufflerait. Ayant arrêté des manifestants en nombre, en ayant inondé d'autres, pacifistes, de grenades lacrymogènes, ayant fait peur à la population en annonçant des morts à venir, ayant interdit des manifestations, etc. le pouvoir se gargarise maintenant d'un prétendu essoufflement du mouvement.

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Comme je l'ai écrit ailleurs, je ne crois pas que le mouvement s'essouffle, mais je trouve que le gouvernement ne manque pas d'air.

Cependant il est vrai qu'on aurait pu s'attendre à ce que les Gilets jaunes, épuisés par la tenue des ronds-points et la tension qu'ils vivent, eux aussi, depuis des semaines, effrayés par la violence d'une certaine répression policière, désireux de retrouver leurs familles et un peu de vie normale, rentrent chez eux, malgré la déception des quelques miettes accordées par le gouvernement. Mais non, ils sont là, actifs, résolus, essayant d'inventer une politique citoyenne au service du peuple, luttant avec tout le génie de ce mouvement pour se faire entendre. Ce qui se passe ne s'est jamais passé auparavant, ou alors il y a bien longtemps. En effet le gouvernement, et sa marche forcée vers un néo-libéralisme à l'américaine, au bénéfice des très riches et au détriment des moins riches, et détruisant notre État social, a réussi en un an et demi à faire ce que nombre d'intellectuels soi-disant révolutionnaires n'avaient jamais réussi à obtenir, c'est-à-dire réveiller la colère du peuple et mettre celui-ci en mouvement pour exiger l'arrêt d'une taxation injuste et un retour à une vraie démocratie.

Alors je vais juste apporter ma petite contribution de soutien aux Gilets jaunes, peut-être fatigués : si l'on envisage difficilement de se faire gazer tous les week-ends, si l'on peut vivre comme peu réjouissant de passer Noël sur un rond-point, maintenant menacé par le ministre de l'Intérieur, mais si l'on trouve démoralisant d'arrêter de lutter sans avoir obtenu l'essentiel, bref, si l'on se demande comment continuer le mouvement, je propose une réflexion, ou peut-être, une ébauche de solution.

Le capitalisme a besoin de notre argent. Pour que les très riches soient encore plus riches, il faut que nous consommions leurs biens : les pétroliers ont besoin que nous nous déplacions en voiture, les fabricants de ces voitures ont besoin que l'on en change le plus souvent possible (d'où, au moins en partie, le durcissement des contrôles techniques, et le projet de nous faire acheter une voiture électrique, dont la fabrication n'est pas du tout écologique, etc.), les fabricants de smartphones ou de téléviseurs aussi... Noël est le moment où nous apportons notre tribut aux dieux du capital en dépensant notre argent en objets multiples et variés qui sont censés apporter félicité à nos proches, et, d'abord, à nos enfants, mais dont ils se passaient jusque-là.

Je sais que beaucoup n'ont pas les moyens de le faire, et cela leur fend le cœur. Mais d'autres, un peu mieux nantis, occupent une certaine partie de leur temps libre de novembre et décembre à écumer les centres commerciaux à la recherche de ce qui pourrait apporter un peu de joie dans le cœur de ceux qu'ils aiment et qui témoignerait de l'affection qu'ils ont pour eux.

Or vous aurez remarqué que, depuis quelques jours, on essaie sur les ondes de culpabiliser les Gilets jaunes au prétexte que les commerces enregistreraient une perte énorme ces dernières semaines par rapport à ce qu'ils engrangent d'habitude à cette période.

Je n'ai rien contre les commerçants. En particulier, je n'ai rien contre les petits commerçants. En revanche les grands groupes qui traitent mal leurs salariés, font de « l'optimisation fiscale », et cassent justement les petits commerces, et les fournisseurs, parce que leur force de frappe leur permet de ne pas payer les produits au prix nécessaire, ceux-là, non seulement je ne me désole pas vraiment de leur sort, mais je considère au contraire qu'ils représentent un des aspects de ce capitalisme qui nous écrase tous, et dans ce « tous » j'inclue les habitants de pays lointains poussés à de la monoculture par exemple, ou à la destruction de leurs sols, pour plus de bénéfices des multinationales.

Alors, est-ce un problème si le monde industriel et financier a un léger contre-coup du mouvement des Gilets jaunes ? Ou est-ce la solution ?

A ceux qui ont le vrai pouvoir, celui de l'argent, nos achats, ou nos non-achats, montrent manifestement que cet argent en fait, avant d'être le leur, c'est le nôtre, et que nous pouvons le dépenser ailleurs : chez nos commerçants de proximité, chez les agriculteurs. Nous pouvons acheter durable, pour ces fêtes, apprendre à nos enfants la décroissance et les jouets en bois. Chacun peut choisir d'acheter dans tel ou tel commerce en fonction de son éthique fiscale, environnementale ou managériale. Ou choisir de ne pas acheter, ou moins.

En France, magnifique pays de la liberté d'expression, il est interdit d'appeler au boycott : donc je n'appelle pas au boycott et je ne conseille à personne de le faire. Je conseille juste une conduite d'achat raisonnée, personnelle et éclairée ( "Il est désormais interdit de boycotter" B Hurel dans Libération).

Je pense que les grands groupes réfléchissent déjà à notre pouvoir de consommateurs. D'ailleurs, pourquoi croyez-vous qu'ils se parent tous de vertu en acceptant ces derniers jours de faire des cadeaux à leurs salariés à la demande du Président ? Parce qu'ils sont subitement devenus généreux ? Remarquons d'abord que s'ils font ces cadeaux, c'est qu'ils ont l'argent pour le faire. Et ensuite, considérant qu'ils ne sont en général guère altruistes, déduisons de cette générosité soudaine qu'ils ont intérêt à ce que la « crise des Gilets jaunes » s'arrête. En effet, comme les citoyens consomment moins en temps de crise, ce sont les bénéfices et les dividendes des actionnaires qui vont baisser si celle-ci continue. Ils peuvent donc tenter de pousser le gouvernement à tenir compte des revendications, en tout cas de certaines (car le pouvoir tient compte de leur avis : rappelons-nous de ce qu'a dit Nicolas Hulot à propos du poids des lobbies auprès du gouvernement...) et ce, afin que les consommateurs que nous sommes reprennent le chemin des centres commerciaux.

Alors, pour Noël, caddy, filet à provision, ou cadeau fait-main ?

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