Société de communication.
C'est banal de le dire : nous vivons à une époque où la communication est primordiale : marketing, publicité, management, communication politique... peu de domaines échappent aux règles de « l'entreprise communicationnelle». Or, de quoi s'agit-il ? De la généralisation, du perfectionnement et de la systématisation, grâce à l'utilisation des données de nouvelles disciplines issues des sciences humaines, de pratiques d'influences qui ont toujours existé. Améliorer la façon dont on présente les choses pour obtenir ce que l'on veut, c'est quelque chose qui est à la base de la séduction, autant sexuelle que politique ou commerciale, depuis l'aube de l'humanité. Il y a toujours eu des personnes qui savaient user de leur talent personnel pour influencer autrui dans leur propre intérêt, et d'autres qui trouvaient ces conduites indignes. Tant il est vrai que, si certaines personnes ont besoin de vérité et d'authenticité pour prendre leurs décisions en toute connaissances de cause, et entendent exercer leur libre-arbitre, les autres, les plus nombreuses, préfèrent choisir sur la base de certitudes, lesquelles vont leur être offertes gracieusement par les séducteurs qui sauront exploiter cette fragilité humaine consistant à tenter d'éviter le doute et les regrets, et le conflit. On pourrait penser qu'il s'agit d'une envie inconsciente d'être maîtrisé par l'autre, mais je pense qu'il s'agit davantage d'une propension à éviter l'inconfort que donne la lucidité, et le désagrément de la perte qu'occasionne tout choix. Celui qui décide d'influencer autrui, sait qu'il va aussi le rassurer en lui donnant un kit de prêt-à-penser.
C'est malheureusement pour cela que cela marche. Si chacun préférait savoir la vérité, quitte à en souffrir, nous n'en serions pas là.
Mais, hélas, en ces périodes de déclin des religions, le développement tous azimuts de stratégies de séduction et d'influence a le mérite d'apporter un anesthésiant à l'angoisse existentielle qu'apporte la conscience de notre finitude. Vous ne savez pas pourquoi vous vivez, mais on va vous dire quoi penser, et quoi acheter. Ça rassure.
Communication ou manipulation ?
Travailler la communication pour obtenir de l'autre ce qu'on veut, c'est de la manipulation quand c'est au niveau individuel, de la propagande, quand c'est au niveau collectif. Or, une manipulation efficace doit rester cachée. Donc ces deux mots, manipulation et propagande, sont devenus tabous. Et celui qui les emploie court le risque d'être disqualifié et considéré comme un complotiste.
Pourtant, il n'existe pratiquement plus aucune entreprise d'une certaine envergure actuellement qui n'ait pas une stratégie de communication, envers leurs partenaires extérieurs mais aussi dans l'entreprise elle-même. Même les hôpitaux ont leur département communication.
http://www.santetropicale.com/santemag/algerie/communic.htm
Dans ce texte on voit bien que le but du management « démocratique », n'est pas la démocratie dans l'entreprise, mais une meilleure acceptation des décisions et une meilleure productivité.
Or, il ne s'agit, ni plus, ni moins, que d'un calcul de ce qui va être exprimé et mis en place par les managers pour obtenir ce qu'ils veulent : c'est donc de la manipulation. Le fait qu'elle prenne un masque démocratique ne rend cette manipulation que plus pernicieuse. A ce niveau, on peut constater la même chose que dans les couples ou les familles : un abus de pouvoir caractérisé peut laisser la victime sidérée et muette sur le moment, mais les ferments de révoltes sont jetés, et assez vite la résistance s'exprimera, parfois violemment. Tandis que les pervers narcissiques et sexuels, savent bien, eux, enjôler leur victime en leur faisant croire, non seulement qu'elles sont consentantes, mais encore que l'initiative vient d'elles. La révolte est alors infiniment plus longue à se manifester, car celui qui a été instrumentalisé pense que la responsabilité et la faute sont de son côté ( c'est ce que l'on constate dans le harcèlement moral en entreprise ) .
Que devient le désaccord ?
Je voudrais attirer l'attention des lecteurs sur un point, qui explique la souffrance au travail, laquelle prend actuellement des proportions dramatiques, et qui éclaire aussi sur un certain nombre d'autres éléments d'une évolution négative de notre productivité.
Les expériences sur lesquelles se base la théorie sous-jacente à toutes ces stratégies de communication sont, soit des expériences de psychologie sociale, soit des expérimentations « in vivo» dans les entreprises. Mais elles n'intègrent pas le facteur temps, c'est-à-dire une éventuelle analyse des conséquences à long terme sur une entreprise des différentes pratiques de communication. Elles se basent en fait sur la conception d'un système marchand : on veut vendre un objet ou un concept, on utilise la bonne stratégie de communication et ça marche. Plus de contestation dans l'entreprise, meilleure adhésion au projet, etc. Les théories elles-mêmes élaborent sur du court et moyen terme : elles étudient les systèmes, mais pas les conséquences sur les hommes des changements induits sur les systèmes. Or ces conséquences modifient les systèmes.
Dans l'entreprise, comme la démocratie alléguée est un leurre, les oppositions sont rendues muettes : elles ne sont pas écoutées. Ou, plus exactement, on fait semblant de les écouter, parfois, mais sans jamais les intégrer aux décisions qui sont, en fait, prises en amont. Or, outre le fait que dans les réticences qui auraient pu s'exprimer, il pouvait se trouver des éléments intéressants et à prendre en compte, il reste que ces réticences ne peuvent disparaître sans laisser de trace. Parfois, celui qui se permet des les exprimer est ostracisé, voire rejeté de l'entreprise, ce qui accentue pour les autres l'effet de groupe et l'adhésion au projet par identification à l'agresseur. Mais ce négatif, même s'il ne s'exprime pas, persiste. Et il a tendance à se retourner contre celui qui l'a vécu, mais aussi contre ceux qui se mettent à craindre de le vivre. Le fait de s'identifier à l'agresseur, sauf à avoir soi-même une structure perverse, ne dure pas et amène à souffrir par l'appauvrissement des relations humaines que cela implique à long terme, et par la perte de sens que cela entraîne. C'est ce qui rend les salariés malades ou déprimés, et ce qui leur fait perdre à moyen ou long terme le goût du travail et de l'effort.
Et au niveau sociétal ?
Au niveau politique, c'est la même chose. Les dirigeants politiques, qu'ils soient au pouvoir ou pas, conçoivent leur fonction comme une entreprise de communication. Ils se trahissent, d'ailleurs, quand devant une opposition sociale à un projet, ils disent « vous n'avez pas compris, on va vous réexpliquer». La démocratie est détournée de son sens : il ne s'agit plus de représenter le peuple, mais d'utiliser le suffrage universel pour faire croire aux citoyens qu'ils sont d'accord avec des décisions avec lesquelles, dans le fond, ils sont en opposition. La tactique est la même que dans l'entreprise : on les fait participer à des choix vis à vis desquels on leur fait comprendre, dans le même temps, qu'il n'y a pas d'alternative. Un exemple évident de cela peut se retrouver dans l'analyse de ce qui s'est passé vis à vis du traité constitutionnel européen (« Il n'y a pas de plan B »). Mais on peut trouver mains exemples de cette stratégie, dont les sondages sont un élément. On utilise la stratégie du « tu l'as voulu, maintenant tu n'as rien à dire ». La version managériale de cette formule étant « si vous n'êtes pas content, vous partez ». La version privée « si tu n'étais pas d'accord, il fallait le dire avant ». Et la version politique « nous sommes légitimes parce que nous sommes élus, si vous vous opposez à nous c'est que vous ne reconnaissez pas la légitimité du vote des électeurs », mais aussi « je suis le meilleur parce que tout le monde le pense (sondage) donc vous ne pouvez que voter pour moi ». La version sociale du découragement du salarié, c'est l'abstention, seule manifestation d'un manque de sens et d'un refus larvé qui est un signe important de malaise de l'électeur.
C'est étrange, et triste, de voir, à l'échelle d'une société, ce que l'on peut constater dans un couple dont l'un des membres est pervers : ce dernier maltraite son conjoint, tout en parvenant à faire croire à celui-ci qu'il ne pourrait pas se débrouiller sans son bourreau. Tout en reprochant à sa victime de vouloir le lâcher. Et en lui dispensant quelques gratifications qui lui font oublier les humiliations vécues.
Mais les femmes ou les enfants battus sortent un jour de leur sidération. Ils n'oublient pas. Les salariés maltraités n'oublient pas. Les citoyens manipulés non plus.
User de son influence pour transmettre un savoir, pour créer une dynamique dans une institution, cela peut être noble. Le faire pour obtenir une obéïssance sans contestation, cela l'est moins, et n'est pas sans conséquences à long terme.