Nul n'ignore que nous vivons une situation de crise, double crise, économique et politique. Il n'est pas question d'en faire le bilan ici, d'autres le font très bien et les médias libres savent bien décrypter l'actualité pour démêler le vrai du faux, traquer la vérité sous la démagogie, et les véritables chiffres dans le fatras de statistiques orientées. Je voudrais juste ici amorcer quelques pistes qui pourraient nous mener, un jour, et sans trop de dégâts, vers une sortie de crise.
Crise économique, donc, conséquence d'un effondrement du système financier mondial dérégulé ( périphrase commune pour évoquer un système de gabegie mondiale où financiers et dirigeants se sont goinfré sur la bête depuis des années), effondrement qui se traduit déjà par un arrêt du crédit annonciateur de faillites et un chômage de masse dont on ne peut prédire l'ampleur.
Mais crise politique aussi, par l'évolution extrêmement présidentialiste du pouvoir, évolution qui était rendue possible par la constitution (prenons garde aux lois votées qui ne protègent pas de la tentation monarchique, sous prétexte que « Cela ne peut pas arriver chez nous »). Louis XIV était un monarque absolu, mais il avait des sujets, pas des citoyens. Que peut-il advenir de ce mélange détonnant : une crise inquiétante et réelle, et un pouvoir qui se développe comme pouvoir fort, sans réelle opposition, alors qu'il n'est plus adoubé par la majorité des français ?
Ce qui peut advenir, cela dépend de nous.
Certains ont pensé, et pensent peut-être encore, qu'avec de la télé et des jeux, plus quelques histoires people et les conditions de l'instauration d'un climat de peur, chacun resterait frileusement chez soi et que l'on pouvait tout faire gober à ce peuple autrefois rebelle. Ce raisonnement se tient dans deux cas : soit la situation est florissante et, effectivement, on préfère cultiver son jardin que protester pour des choses pour lesquelles on n'est pas concerné, soit la situation économique est mauvaise, mais on vit sous un régime de terrorisme d'état et l'on n'a pas d'autre choix que de se terrer chez soi en attendant des jours meilleurs.
Ce qui est particulier, dans la situation actuelle, c'est qu'elle se place entre les deux : l'économie n'est pas favorable du tout, ce qui fait que certains n'ont plus grand-chose à perdre, et le régime politique n'est pas, heureusement, dictatorial.
Il est donc à supposer que, si les éléments négatifs du bilan actuel s'aggravent, le malheur individuel et collectif ne se manifeste comme il le fait souvent dans ces cas, surtout dans notre pays : dans la rue. Quel sera le degré d'exaspération des citoyens, jusqu'où des actions collectives peuvent-elles aller : personne ne le sait jamais à l'avance. Gouverner c'est prévoir. Il y faut du talent. Et une certaine humilité, car il faut tenir compte des forces en présence, et pas seulement de celles que donnent les mandats électoraux.
Comment empêcher que les difficultés économiques que risque de traverser notre pays, ne se traduisent en des mouvements dangereux pour la stabilité de celui-ci ? C'est une question importante, fondamentale, même.
A laquelle, à mon niveau, j'apporterai un début de réponse : il faudrait que les citoyens, appauvris, inquiets, ayant le sentiment d'avoir été bernés par la fable du capitalisme mondial qui ne pouvait pas s'effondrer parce que le système se régulait tout seul, il faudrait que ces citoyens sentent que le pouvoir est avec eux. Qu'il est l'émanation d'eux-même et cherche à les soutenir au mieux. Il faudrait qu'une vraie confiance renaisse entre les gouvernants et le peuple. Pas de la démagogie à coups de fausses déclarations, qui aggravent, quand le pot-aux-roses est découvert, la défiance de ceux qui ont été trahis. Non : un vrai partenariat, fondé sur une confiance éprouvée par les faits.
Nous sommes un pays réellement démocratique. Un peu vieux, certes, donc un peu long à la détente. Mais nous sommes un pays où les gens se parlent, au coeur d'une Europe où l'on pratique l'ouverture des frontières depuis des années.
La France est donc condamnée à rendre des comptes au niveau européen de ce qui se fait sur son territoire, comme elle va l'être vis à vis des Etats Unis si elle veut saisir la main ouverte de Barack Obama. On ne peut pas cacher les choses bien longtemps, à l'heure du net et des sms. L'arrivée au pouvoir de Barack Obama, qui représente un défi important et un espoir devant la faillite des politiques conservatrices ultralibérales, va changer la donne pour la politique des pays amis. La politique intérieure de la France est et sera observée, sans complaisance. Et avec un bonus en terme d'échanges facilités, ou pas.
Alors, comment agir ? Comment faire pour que notre pays traverse cette crise comme on doit traverser les crises, en en sortant grandi ? Je disais plus haut que cela dépend de nous.
La vérité que nous attendons de nos dirigeants, ayons-là, d'abord avec nous-mêmes. Osons regarder les choses en face, dire la vérité, témoigner. Osons la solidarité, sortons des clivages. Ne nous montons pas les uns contre les autres, vieux et jeunes, travailleurs et chômeurs, français de souche et immigrés, et, encore plus ces temps-ci, juifs et musulmans.
La première action à avoir, c'est de sortir de nos divisions. Dépasser la peur pour constater que nous pensons des choses pas si différentes que cela les uns et les autres.
Pour que les français acceptent les efforts nécessaires, il me semble qu'il faut qu'ils se sentent entendus. Et pour cela, il faut d'abord qu'ils expriment ce qu'ils vivent, ce qu'ils souhaitent, et que cela se fasse de la façon dont ils aimeraient qu'on les écoute à leur tour : en adultes.
Mediapart, en demandant aux personnes qui sont déjà concernées personnellement, de témoigner de la crise, ouvre un espace d'expression qui participe à ce mouvement d'ouverture.
Car d'où vient la violence, quand elle survient ? De forces ou de sentiments trop longtemps refoulés et qui ne se sont pas exprimées quand il convenait, ou n'ont pas eu d'effet. Pour que la crise économique se limite au terrain économique, il faut que les citoyens s'expriment et que les solutions soient trouvées avec l'aide des dirigeants et des gouvernants. A ce moment-là, si chacun participe à l'effort collectif, il y a nettement moins de risque de radicalisation des mécontentements. Pour cela il faut sortir de cette politique du clivage et de la dissimulation, trouver ensemble les moyens de la sortie de crise, réfléchir au monde que nous voulons pour demain. Actuellement, cela ne semble pas le chemin emprunté.
Le deuxième moyen d'action pour une évolution favorable de la crise, est donc du côté des dirigeants, quels qu'ils soient. Au niveau des décideurs, il faudra tenir compte de l'effet des décisions sur les citoyens : pas seulement en écoutant le bruit des sondages, les veilles internet ou les “évaluations” en entreprise, mais encore en sachant tenir compte de la douleur ou de l'effort demandé aux salariés ou aux citoyens. En sachant s'imposer à soi-même les mêmes sacrifices. Faute de quoi, le divorce entre le peuple et les élites ne pourra que grandir.
Jusqu'où ? Si l'on peut, parfois, gouverner contre son peuple, diriger son entreprise contre ses salariés, ou utiliser l'argent des épargnants contre leur intérêt, cela ne dure que tant que les administrés ne se rendent compte de rien. Mais quand l'addition arrive, elle est souvent salée !
La politique qui consiste à attendre que les gens manifestent ou fassent une longue grève pour écouter leurs revendications me semble actuellement particulièrement inadaptée. Car elle favorise l'idée que la seule façon de se faire entendre, c'est d'utiliser sa force. Cette stratégie du conflit va à l'encontre de ce qui est souhaitable, en favorisant une méfiance qui n'est pas de bon augure.
Quant à la stratégie de la peur, si elle impose silence un temps, elle fait courir le risque d'une méfiance accrue, aussi dommageable pour l'espoir d'une relance économique que pour celle de la stabilité sociale.