Il est vrai que c'est tentant, peut-être, de partir : on est blessé par le peu d'audience d'un billet, ou par des choix éditoriaux que l'on ne partage pas. Ou bien l'on est victime de l'assiduité d'un troll vindicatif ou simplement bête.
Donc, on est mécontent, et l'on a envie de montrer que l'on ne va pas rester passif devant cette situation malencontreuse et désagréable. Mais la marge de manœuvre est étroite : il n'est pas possible d'avoir une influence sur ce qui nous chagrine.
Alors on prend une décision courageuse : trancher dans le vif, se faire hara-kiri, mais pour prouver aux internautes ou aux responsables du site que l'on refuse désormais de manger de ce pain-là, décidément trop amer. On annonce donc avec grand fracas que l'on s'en va.
En fait, tout le temps intéressant de ce mouvement se situe entre le moment où l'on a pris cette position héroïque, et le moment où le grand couic se produit en vrai, et où l'on disparaît de l'écran. Cet entre-deux permet d'expliquer au monde la raison de son geste, de démontrer son intransigeance, parfois sa noblesse. Ce temps permet de faire le procès des agresseurs ou des incompétents.
Mais il a une fin, ce moment avant l'effacement. Et l'on disparaît un jour « pour de vrai ».
Alors quoi ? Rien. On n'existe plus sur le site. Les anciens alliés s'émeuvent un temps. Et puis oublient. Et ce que l'on avait à dire, de profond, drôle ou original, en tout cas, de personnel, reste ailleurs, mais n'est plus partagé, ni lu.
Ceux qui ont vécu cela réalisent assez vite que cela va leur faire un manque, et ils transfèrent leur activité sur d'autres sites, qui ont le mérite d'être là. Sont-ils mieux, ces sites, que celui dont on est parti ? Pas sûr. Mais cela serait douloureux de le reconnaître. D'autant plus que le conflit est parfois encore aigu.
Certains ne reviennent jamais sur un site dont ils sont partis avec tambours et trompettes. D'autres reviennent par la petite porte, et se refont une place.
Je ne critique pas, chacun fait comme il peut.
Mais je considère que, autant dans la vie il est important de savoir sortir d'une situation inextricable qui tourne à notre désavantage, autant deux situations particulières me semblent nécessiter un autre type de sortie de crise : c'est l'écriture sur Internet et le vote démocratique.
Car dans ces deux derniers cas, notre force vient de notre capacité à nous exprimer. Dans ces deux cas, nous priver nous-mêmes de notre possibilité d'expression publique, c'est laisser notre place à d'autres. C'est contribuer à notre propre censure. Accepter notre effacement volontaire.
S'il ne s'agit pas d'une simple et tranquille décision, mais bien du mouvement que j'ai décrit « Puisque c'est comme ça, je m'en vais » ou « Il est hors de question que je donne ma voix à l'un d'entre eux » je trouve que c'est vraiment dommage, car cela prive de la possibilité de continuer à faire savoir ce que l'on pense. Et de continuer à s'opposer.