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Billet de blog 24 février 2013

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Une discrète absence

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pas de roulements de tambour, pas de cérémonie des adieux. D'ailleurs, pas d'adieu.

Non, simplement un éloignement, une distance, non de Mediapart, mais de la toile en général.

J'ai choisi de m'éloigner un peu, pour un temps, de ce qui a constitué une part importante de mon activité intellectuelle depuis quelques années. Très exactement, depuis que l'annonce de la candidature de Nicolas Sarkozy à l'élection présidentielle m'avait sortie d'une léthargie politique aussi ancienne que confortable. J'avais heureusement alors pris conscience que tout citoyen avait désormais des outils pour se faire entendre du plus grand nombre, et j'ai utilisé ces outils.

J'ai usé du Net comme une néophyte en communication peut le faire : en trébuchant, mais en apprenant de mes erreurs. Et je suis extrêmement reconnaissante aux fondateurs d'Internet de m'avoir, grâce à leur géniale invention, permis d'exprimer publiquement mes idées, mes réflexions et mes coups de cœur. Et à mon journal préféré de pouvoir le faire aussi librement, et dans un environnement de cette qualité.

Je ne renoncerai pas à ce privilège, à moins qu'une dictature ne me l'enlève.

Mais je suis lasse.

Si Internet est un formidable moyen d'échange, qui permet d'informer de façon quasiment instantanée toute la planète de quelque événement que ce soit, même de ceux que les pouvoirs désirent dissimuler, il est aussi le lieu d'une stratégie de propagande qui tend à neutraliser son pouvoir subversif.

Ainsi, nous venons d'apprendre que le Parlement européen va dépenser des millions d'euros pour faire passer dans les forums une propagande pro-Europe (http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-ue-va-financer-des-trolls-pour-130702). On peut prendre cette nouvelle comme une information capitale, car nombreux sont encore les internautes qui ne peuvent pas admettre la réalité de la propagande politique sur le Net. Si ceux-ci savent reconnaitre les militants qui défendent vigoureusement, voire lourdement, leur cause dans les forums, ils ne peuvent admettre que, parfois, des gens puissent être assez retors pour engager des hommes de mains chargés de mettre en avant des opinions contraires aux leurs sur les forums de discussion, mais ceci d'une façon tellement outrancière que cela conduit les lecteurs à être rebutés par ces idées. Ces mêmes internautes observent parfois, en les critiquant, des joutes menées de façon indigne, mais sans y voir des stratégies utilisant délibérément des mécanismes pervers (notamment le dénigrement et la provocation) afin que les personnes contestant l'ordre établi décident de quitter des forums où ils ont pourtant une audience certaine.

Il faut dire que les victimes de ces stratégies ne sont pas non plus forcément conscientes de ces manœuvres. Ce qui est d'ailleurs dommage, parce qu'une perversion où une manipulation dont la victime prend conscience a beaucoup moins de chance d'être efficace.

Je suis aussi lasse de la toile à cause de l'envahissement de celle-ci par un nombre incroyable de leurres ( on nous ressort encore du DSK, du grutier ou du Pistorius : sexe et violence, ça excite toujours... mais le coup de la démission du pape en mondovision, ce n'était pas mal non plus !) qui détournent de questions plus importantes telles que celle de la responsabilité des instances européennes, via leur obéissance aux dogmes néolibéraux, dans la récession qui grandit en Europe, ou l'absence de plan en ce qui concerne le projet industriel, social ou écologique de nos pays.

Que les instances capitalistes se saisissent de tout ce qu'elles peuvent pour manipuler l'opinion publique ne m'étonne plus depuis longtemps, mais je regrette qu'il faille encore et encore expliquer à de fort intelligentes personnes la réalité de ces stratégies... sans avoir la satisfaction de constater qu'elles ont enfin, et définitivement, compris.

Non, hélas, car comme l'épouse maltraitée par son mari peut admettre cette maltraitance, mais pour annoncer en suivant que ce n'est pas vraiment de la faute de son conjoint, et que, à d'autres moments, celui-ci est très gentil, de même, un certain nombre d'internautes répugne à admettre complètement la réalité du mal, surtout quand celui-ci se pare du masque d'une modernité se légitimant par des données quantitatives, ou qu'il fait appel aux ressorts de la sentimentalité.

Et les lanceurs d'alerte se heurtent au flot renouvelé de l'infotainment, lequel efface leurs vérités qui dérangent au profit d'une comm' qui excite.

Devant ce constat, on peut ressentir le besoin de se poser, de revenir au temps de la réflexion. De la lecture, la vraie, celle qui prend le temps de laisser en nous des traces qui s'avèreront durables. Le temps du livre.

Le temps n'est pas extensible, mais il a un rythme. Celui d'Internet est rapide, et il nous entraîne dans une frénésie qui peut nous faire perdre de vue que l'information n'est rien sans le temps de la réflexion.

Alors j'ai décidé de m'éloigner, un peu, pour prendre mon temps. Les librairies sont pleines d'essais passionnants sur la marche du monde. Les chercheurs, les vrais, continuent d'écrire, et mettent en évidence ce que l'on parvient, par ailleurs, à nous cacher. Le prochain sur ma liste, ce sera « La tyrannie de l'évaluation » d'Angélique Del REY, éditions La Découverte (http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_tyrannie_de_l_evaluation-9782707170095.html).

Mais il y en a d'autres, dont « Internet rend-il bête ? », de Nicholas Carr, chez Robert Laffont (http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/31980 et http://www.telerama.fr/techno/internet-rend-il-bete,45457.php)...

Je vais prendre le temps.

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