Ce que vous ne savez peut-être pas, parce que je ne crois pas que l'on vous tienne au courant de ce qui pourrait vous fâcher, c'est à quel point un grand nombre de vos électeurs, cette fois, a mis votre nom dans l'urne électorale avec la rage au cœur. La rage contre vous d'être obligé de voter pour quelqu'un que l'on déteste, ou au moins que l'on n'aime pas, et que l'on considère comme nocif pour la France et les français.
Je ne sais pas si vous avez conscience de la haine qui s'est développée peu à peu dans le cœur de nombre de citoyens. Oh, certes, il vous reste des inconditionnels, souvent issus des classes aisées que vous avez systématiquement favorisées, et d'autres qui restent séduits par votre verbe et votre jeunesse (apparente). D'autres aussi, qui n'ont pas compris que la dureté croissante de leurs vies, les tracasseries administratives de plus en plus délétères, la perte croissante de leur pouvoir d'achat, c'était à vous et à votre volonté « en marche » qu'on les devait.
Mais les autres, ceux qui ont compris que vous n'étiez en aucune façon de gauche et que votre volonté néolibérale de casser tous les services publics pour offrir notre État social au privé n'aurait aucune limite, ceux qui ont vécu la répression des mouvements sociaux et n'ont plus d'illusions, ceux qui souffrent dans leur quotidien des conséquences de votre politique, pour tous ceux-là, que va-t-il se passer dans leur cœur après avoir, souvent pour la deuxième fois, voté à contrecœur pour vous ? Croyez-vous qu'ils vont vous pardonner d'avoir été obligés de voter contre eux-mêmes et contre leurs convictions ?
Lors de votre discours après les résultats, vous avez dit que cela vous obligeait, de savoir qu'il n'y avait pas, parmi vos électeurs du jour, que des citoyens gagnés à votre cause. Mais les paroles, Monsieur les Président, vous savez les dire, et souvent avec charme. Ce sont les actes qui ne suivent pas. Il me semble que, comme un boutiquier du management, vous appliquez le plus souvent une méthode simple : tant que ça passe, on continue. C'est ainsi que je crois me souvenir vous avoir entendu dire que la formule « gouverner c'est prévoir » ne vous agréait pas. Ce que je comprends encore comme étant le résultat d'une adhésion aux principes du management moderne, pour lequel on ne fait pas d'analyse rétrospective sur lesquelles on va baser une planification adaptée, mais on se contente de décider de projets qui vont concentrer toutes les forces en présence sans que la finalité et les effets collatéraux de ces projets ne soient rediscutés.
C'est ainsi, me semble-t-il, que vous avez géré la crise Covid. Aux critiques qui faisaient remarquer qu'il n'y avait aucune planification des conduites à tenir, un membre du gouvernement nous a expliqué que les données étaient suivies de jour en jour et que les décisions s'adaptaient à ces données. C'était exactement l'objet du reproche, mais je pense que les disciples de la « start-up nation » ne comprennent même pas ce que planifier veut dire. Faire un projet, mettre en œuvre une volonté, oui, tenir compte de tous les aspects d'un phénomène pour planifier une évolution qui sera favorable dans le maximum de ces aspects en prévoyant les interactions entre les effets et les causes, c'est beaucoup trop compliqué pour la pensée sommaire des manageurs contemporains.
Pourquoi cette digression sur le management ? Parce que je crois que vous avez le nez sur le guidon de l'évolution néolibérale de notre vieille démocratie sociale, Monsieur le Président. Par exemple, même si vous ne le dites pas, l'allongement de l'âge de la retraite va dans le sens des cadeaux faits aux fonds de pension qui vont bientôt gérer nos retraites. Le calcul est simple : plus on prend tard sa retraite, plus le nombre de personnes encore vivantes au moment de la prendre sera faible, donc moins la retraite coûte. Comme c'est bien pensé ! Et quand je dis "vous" c'est là d'un "vous" pluriel, dont je parle. Qui englobe votre personne, ceux qui se réclament de votre mouvement, et les cabinets de conseil qui ont le même projet que vous, à moins que ce ne soit vous qui ayez le même projet qu'eux...
Ainsi, réforme après réforme, vous avancez sans faillir sur ce chemin de privatisation du monde, en parallèle avec un État fort et une démocratie présidentielle qui vous permettent de faire ce travail de sape à marche forcée. Nez au vent, vous pédalez, toujours dans la même direction et avec le même but.
Certes vous avez trouvé sur votre chemin les manifestants des retraites et les gilets jaunes, mais, si cela vous a obligé à faire une pause d'étape, cela n'a rien changé à votre « Projeeet !!! ».
A part que, si vous avez pu aller si vite et si loin, c'est parce que vous aviez une chambre des députés acquis à votre cause (pour le dire élégamment) et que tout projet issu de vos rangs ne pouvait que passer, malgré les contestations des députés opposés à votre idéologie.
C'est là que je veux en venir, Monsieur le Président. Le peuple a mis du temps à comprendre que vous étiez de droite, et d'une droite très favorable à la finance. Mais maintenant, c'est fait, il n'y a plus de doutes pour grand-monde, et le scrutin d'aujourd'hui, pour une grande part, ne correspond pas à une lueur d'espoir que vous vous mettiez à gouverner finalement pour le peuple, mais à la peur que votre concurrente mette en place des règles qui abîmeraient les valeurs de notre République.
Donc arrivent les législatives. Je suis de ceux qui souhaitent ardemment une mobilisation des électeurs de gauche afin que l'Assemblée redevienne le lieu du contre-pouvoir législatif par rapport à l’exécutif qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être. Non seulement cela correspond aux convictions de nombreux citoyens et cela mettrait un frein aux appétits néolibéraux de votre camp, mais cela permettrait peut-être d'éviter une guerre sociale.
En effet, nul ne peut prédire ce qui se passerait si vous aviez encore la majorité absolue à l'Assemblée, à la suite de diverses stratégies électorales, mais ce que je sais c'est que quand on préside contre son peuple, en faisant fi de son mécontentement ou de sa colère, on prépare des lendemains qui déchantent. La colère non entendue finit toujours par sortir, et pas forcément de jolie manière.
Alors j'espère que vous saurez entendre la colère qui couve et que vous n'allez pas vous laisser abuser par cette artificielle réussite électorale.
Je dis que je l'espère mais, en fait, je n'y crois pas une seconde...
Notre salut ne peut donc venir que d'un sursaut électoral aux élections législatives.