Faire et défaire, c'est toujours travailler.
Je voudrais ici réfléchir sur certaines pratiques de communication, qui, pour n'être pas officielles, n'en sont pas moins remarquablement efficaces. Persuadée que c'est de l'ignorance des techniques de manipulation que celles-ci tirent leur force, je propose des pistes de réflexion, souhaitant que le lecteur soumette celles-ci à son esprit critique, et éventuellement s'en empare, s'il le souhaite, pour les développer.
Pourquoi « avancer de trois pas pour reculer de deux » ?
Le Landernau médiatique est soumis, depuis des mois, à une succession d' « affaires » . Sans discontinuer, nous sommes soumis à des cycles répétés se déroulant sous une forme variable tandis que le fond ne change pas.
Le schéma en est simple : une annonce en décalage avec notre façon courante de voir la vie et le fonctionnement de notre pays (je dis « nous » en comprenant bien que, forcément, un certain nombre de personnes vont se sentir en accord avec l'information donnée). Cette annonce, qui survient souvent au moment où quelque chose qui pourrait éveiller une contestation se produit par ailleurs, est suivie de réactions d'opposition multiples, souvent tonitruantes, de la part de leaders de l'opposition ou d'acteurs de la société civile, ces réactions étant souvent doublées de mouvements de révoltes plus discrèts mais déterminés dans la population. Ensuite, après une phase d'apparente confusion (l'opposition agissant en ordre dispersée, semblant parfois incohérente), l'énoncé de départ est finalement atténué, la loi reportée, ou la décision apparemment annulée. Et l'opposant qui s'est exprimé passe à l'affaire suivante avec la satisfaction du devoir accompli.
A part que, si l'on fait le bilan, l'énonciateur de départ s'en sort avec le beau rôle, et les opposants aux projets sont démobilisés, pas mécontents de pouvoir lâcher le combat, surtout après une réussite dont ils sont fiers. Quand à l'opinion publique, elle commence, en fait, à se préparer à un changement auquel elle était opposée. On peut en effet réaliser, si l'on a une lecture temporelle de l'évènement, que le projet de départ, qui était sorti par la porte revient plus tard par la fenêtre : traité constitutionnel européen, loi contre le téléchargement illégal « Hadopi », privatisation des services publics, etc. Dans une entreprise, par exemple, les restructurations annoncées puis repoussées, vont se produire d'un coup, en été, sans crier gare. Et cela revient dans un climat plus favorable car l'opinion, affolée par la première annonce, accueille avec le sentiment de quelque chose de plus anodin ce qui vient ensuite : elle s'y est « habituée ».
Des exemples
Dans certains cas, c'est le cas pour Hadopi et le « paquet télécom », on pourrait dire que ceux qui luttent, non pas en faveur de quelque chose d'illégal, mais pour que ne se mettent pas en place les outils d'une coupure de réseau en-dehors d'un cadre respectant le droit à la présomption d'innocence, le droit à la protection du caractère privé de la correspondance, et les droits de l'homme, on peut dire, donc, que ces militants tenaces, à force de gagner victoire sur victoire, sont en train de perdre la guerre. Dans une indifférence, maintenant, quasi-générale.
Si l'on réfléchit à la question du traité constitutionnel européen, on peut analyser aussi que, là où le vote a été négatif, il y a eu acceptation du principe dans un deuxième temps, mais d'une autre façon. Comme si un détournement de la démocratie s'était opérée en douce : « On vous permet de voter, mais comme nous avons raison, si vous ne votez pas comme nous le souhaitons, nous allons vous faire revoter, ou nous passer de votre vote. Mais nous tiendrons compte de ce que votre vote exprime, soyez-en certains ! ». Et le pire, c'est que c'est vrai : reculer de trois pas pour avancer de deux. Le citoyen retient qu'on a tenu compte de son avis, pas que l'on a nié son vote.
Ceux qui savent où ils vont, peuvent se permettre ces reculades, d'autant plus que cela leur donne une image de démocrates. « Je vous ai compris ! » semble le modèle de ces experts en communication, reprenant une illustre parole. Mais, à l'opposé de Charles de Gaule, nulle grandeur, dans cette posture, simplement de la comm. Lui ne se serait jamais permis de se poser en une victime, qui accepterait de façon magnanime de surseoir à une décision qu'elle estimerait juste à laquelle l'opinion, présentée comme immature, ne serait pas prête.
C'est pourtant maintenant ce qui se passe en permanence, dans une mécanique bien huilée, où l'annonce de départ, par son caractère extrême, est ce qui va faire avancer l'opinion publique vers l'acceptation secondaire.
Questions de stratégie
Alors, que faire ? Est-ce qu'on peut laisser sans mot dire prendre des décisions qui semblent contraires aux principes de notre République et aux valeurs qui ont été au centre de sa construction, en particulier depuis le Siècle des Lumières ? Qu'elle est la solution pour ne pas tomber dans le piège qui nous est régulièrement tendu, sans rester passif devant des attaques contre ces principes qui nous fondent et fondent notre pays ? Comment réagir quand on se soutient des valeurs de l'humanisme et que l'on entend proposer une discussion, à organisation préfectorale, sur « l'identité nationale »?
En psychologie du comportement, on apprend à ne pas réagir à chaud. Avant d'avoir une réponse à une stimulation, il convient de réfléchir. Sinon, on devient soumis à tous les manipulateurs qui devinent vite sur quel bouton appuyer pour nous faire aller là où ils veulent, un bouton affectif, en général.
Réfléchir, analyser, se concerter, décider, agir.
C'est pourtant simple : mais pour cela, il faut d'abord prendre conscience que les dés sont faussés, et que ce qui est présenté, autant dans les médias que dans les entreprises, est le résultat de diverses stratégies de communication. Le fait qu'il puisse y avoir des maladresses ou d'apparentes contradictions dans la mise en place de ces plans ne signifie pas qu'ils n'existent pas.
Ensuite, il faut faire taire son intérêt particulier devant l'intérêt général. Difficile, dans une époque qui exploite l'individualisme à un point qui ne s'est jamais vu. Il serait donc bon que les leaders politiques ne se saisissent pas du moindre prétexte pour avancer en personne, mais mettent en place des réponses concertées et déterminées.
C'est un vaste chantier... Mais c'est, à mon avis, le seul possible.