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Billet de blog 31 décembre 2017

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Les sidérés

Pourquoi suivons-nous collectivement l'incitation à nous émouvoir pour la mort d'un vieux chanteur de rock, et ne nous révoltons-nous pas contre la violence sociale ou les atteintes graves à nos acquis sociaux et aux valeurs de notre République ? Sommes-nous atteints d'une indifférence chronique, ou du syndrome de Mowgli ?

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Illustration 1

« Aie confiance... Crois en moi... »... Tout le monde a vu ce pauvre Mowgli se laisser hypnotiser par le serpent Kaa dans « Le livre de la jungle» version Walt Disney. Et pourtant, l'enfant se méfie : il a du caractère et il résiste. Mais peine perdue, la voix langoureuse et le regard hypnotique de Kaa ont raison de la volonté de Mowgli qui se transforme sous nos yeux en adepte soumis ( pour visionner l'extrait du Livre de la jungle sur Youtube taper "Kaa hypnotise Mowgli" sur votre moteur de recherche).

Fiction ? Oui, mais version fictionnelle d'un processus que nous voyons en œuvre tous les jours. Et dans des proportions que la communication de masse rend gigantesques.

En effet, la communication de masse, ou propagande, ou fabrique de l'opinion publique, est parvenue à un stade de développement extrême qui seul explique le degré zéro de contestation auquel on assiste.

Il y a quelques années, des manifestations importantes et répétées ont eu lieu pour défendre les retraites : il pleuvait, les grévistes prenaient le risque de perdre leur salaire, mais ils étaient là, dans la rue, pour défendre notre système social. Pendant des semaines.

Et puis quoi ? De jour en jour ces acquis sociaux que le monde entier nous enviait et que les oligarques et les patrons voyaient comme des freins à leur propre enrichissement, sont attaqués, détruits, foulés aux pieds. Droit du travail, protection des chômeurs, retraites, libertés individuelles, protection des plus malades et des plus pauvres, droit d'asile... Et nous faisons quoi ? Rien, quelques manifestations, ça et là, pour dire que l'on n'est pas contents. Sans espoir d’arrêter la machine néo-libérale folle qui a pris le visage affable d'un quadragénaire issu de la banque et se faisant passer pour un homme, « en partie » de gauche. Des manifestations tristes, l'impression à chaque fois d'accompagner vers sa dernière demeure le corbillard de la démocratie éclairée que fut la France.

Ce que nous constatons là, c'est la fin d'un lent processus de mise au pas des penseurs de gauche, et de démoralisation des citoyens de gauche, en particulier ceux des milieux populaires. Et, contrairement à ceux qui dénoncent à tout-va la soi-disant « théorie du complot », je suis persuadée que ce n'est pas le fruit du hasard si tout le monde s'écrase. Certes, l'effondrement idéologique et économique, et l'évolution totalitaire, des tentatives de démocraties « populaires » ont calmé l'ardeur de nombreux sympathisants socialistes ou communistes. Mais ce n'est pas la seule raison qui nous a conduit à nous comporter comme des Mowgli en puissance, bercés par des paroles doucereuses, et fausses, volontairement ambiguës. Nous nous retrouvons hypnotisés par des images choisies, voire trafiquées, des mises en scène magnifiant nos dirigeants en les montrant comme des surhommes admirés par les chefs des autres pays, mise en scènes racontant des histoires à l'eau de rose pour émouvoir la Marie-Chantal qui dort en chacun d'entre nous (ou presque) : l'amour hors-norme, le chien recueilli, les larmes d'émotions dans les cérémonies d'hommage aux victimes.... Mais aussi, comme dans tout phénomène d'emprise, y compris collective, nous sommes aiguillonnés de façon inconsciente par un mécanisme de peur soigneusement entretenue : peur des attentats, mise en avant d'une insécurité dont l'importance est majorée dans les médias, peur du chômage, peur du management et de ses évaluations humiliantes et dévalorisantes, peur d'un pouvoir administratif de plus en plus impersonnel et injuste... Mais aussi, de temps en temps, apparition d'un ton clairement sec et menaçant dans la communication dirigeante, qui, me semble-t-il, ne doit rien au hasard, notamment pour un Président qui, à la fois, se fait toute onctuosité, et se déclare par ailleurs « jupitérien ». Dans tous ces domaines, c'est une communication perverse qui prévaut : alternance de séduction et de menace, confusion, et inversion de la responsabilité. En effet, la victime est d'emblée et officiellement déclarée comme coupable.

Il n'y aurait pas un chômage de masse lié à la mécanisation, à l'augmentation de la productivité et à la désindustrialisation, cible de peu d'efforts gouvernementaux, non, mais des citoyens fainéants ne voulant pas faire les efforts nécessaires pour garder un travail ou en accepter un à des dizaines de kilomètres de chez eux. Les accidentés de la vie seraient des profiteurs vivant de la rente publique, les patients atteints d'une longue maladie seraient responsables de la faillite de la sécurité sociale et donc désignés comme cibles d'économie à faire... les roms vivant dans des conditions très précaires des parasites a éradiquer sans tenir compte de la simple humanité... Quant aux SDF : voire ici le billet de Valentin Astier sur les paroles de Christophe Castaner.

Et pour les immigrants (lire ici  sur le blog d'amnesty international, la différence entre immigrants et migrants ) ils deviennent des profiteurs venant manger notre pain, au lieu de recevoir la compassion qu'ils méritent pour le désespoir qui les conduit à encourir mille dangers afin d'espérer (souvent en vain) accéder, et faire accéder leurs enfants, à une vie décente.

Oui, nous sommes hypnotisés par des discours volontairement contradictoires, et donc confusionnant, par des sourires et un ton affable, voire familier, dissimulant une vraie volonté de détruire, le plus rapidement possible, les structures de notre vieille démocratie. Il faut savoir qu'introduire une « dissonance cognitive » dans une communication augmente l'adhésion de celui qui écoute. Or nous avons, à la tête de l’État, un champion de la dissonance cognitive...

Christine Lagarde, directrice du FMI (franchement, je ne pensais pas qu'elle était encore là, malgré l'affaire Tapie...) vient de nous annoncer la bonne nouvelle : grâce à l'embellie économique (laquelle?) il va être temps de mettre en place les réformes structurelles nécessaires ( ici une présentation par Le Figaro de sa déclaration). Et l'original sur le JDD ici

Bon, donc, ce que l'on a vu jusque-là, ce ne sont que les hors d’œuvre : le plat principal est à venir... Comme on est prévenu, on va être amenés à trouver ça normal.

Gageons que l'addition sera très salée. Et que c'est nous qui allons la payer...

Mais allons-nous sortir de l'hypnose collective où nous sommes plongés ? Voulons-nous agir, et, si oui, comment ? Quelles sont nos forces ?

Je gage qu'elles sont collectives. Mais pour les mobiliser, il convient, d'abord, de se réveiller.

PS : n'oublions pas le "Discours de la servitude volontaire", d'Etienne de la Boétie ( 1574 ). Ni "Propaganda" d'Edward Bernays, neveu de S Freud, publié en 1928, et que l'on peut lire en ligne sur le site des éditions Zones, ou acheter auprés de cet éditeur.

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