J'avoue, je n'ai pas pu aller au delà des présentations officielles des participants au débat organisé par cnews, Europe 1 et le Journal Du Dimanche, autrement dit par la Bolloré Connection. Voir Manon Aubry gentiment intronisée par Laurence Ferrari m'a provoqué un dégout insurmontable. A ses côtés, les fachos qui jouaient à domicile (Maréchal, Bellamy et Bardella), Hayer dont le parti fait le maximum pour paraître sur la même longueur d'onde que les éditorialistes, le post Communiste Deffontaines corseté et cravaté dans un costume impeccable au langage plus que politiquement correct et à l'absence de réflexion personnelle absolue. Et puis Manon Aubry.
"Mais qu'est-ce que vous faites là ? " avais-je envie de lui crier via mon poste cathodique, ce qui n'aurait pas servi à grand chose. J'ai donc éteint la télé. Raphaël Glucksmann et Marie Toussaint avaient eux eu la pertinence de ne pas répondre à l'invitation perverse de cette chaîne. "Je préfère perdre quelques voix plutôt que mon âme" a expliqué la tête de liste des Ecologistes. Je la rassure, elle n'a selon toute vraisemblance perdu aucune voix. Le public de cnews ne veut pas se faire une opinion, il veut juste entendre ce qu'il a envie d'entendre.
Et ça, il l'entend à longueur de journée : les islamogauchistes gangrènent l'Université Française, les immigrés et demandeurs d'asile sont responsables de l'insécurité en France, des viols et des agressions en tout genre, LFI est antisémite, il faudrait évidemment interdire ce parti, la justice est d'extrême gauche, les forces de l'ordre sont formidables mais empêchés par les droits de l'hommiste, Zemmour, Bardella et Maréchal sont courageux soulèvent vraiment de bonnes questions, on nous enfume avec le soi disant réchauffement climatique etc., etc. etc.
A longueur de journée, les mêmes propos haineux qui, il y a quelques décennies, étaient réservés aux magazines plus ou moins interdits de l'extrême droite groupusculaire. Aujourd'hui, cette idéologie s'exprime au quotidien sur les plateaux de cnews avec des dingueries prononcées toutes pires les unes que les autres et des intervenants sortis d'une naphtaline datant des pires années de la collaboration et de l'Algérie Française. Le genre humain étant ce qu'il est, les invités extérieurs à la mouvance d'extrême droite soucieux de paraître en phase épousent peu à peu ce genre de raisonnement. Pour moi et après les avoir attentivement écoutés, les représentants Renaissance, les socialistes présents (Dray, Vallini, Doucet) flirtent vraiment avec ces idées pour ne pas dire qu'ils s'y retrouvent et s'y complaisent (sincèrement ou par opportunisme).
Est-ce que Manon Aubry a déjà pris le temps de regarder cette chaîne ? J'en doute car elle aurait alors clairement entendu des intervenants qui passent leur temps à cracher sur elle, à la mépriser, à l'insulter (elle et ses amis LFIstes). Pendant le débat qui nous préoccupe, ils ont certainement eu un ton beaucoup moins violent, poli, hypocrite. Mais la haine a sans nul doute repris son cours dès la fin du débat.
Non, il ne fallait pas y aller, d'autant que les autres leaders de la gauche ont refusé de se prêter à cette sinistre comédie. Pour ma part, j'ai ressenti comme un sentiment de trahison. Nous nous battons contre le danger de la pieuvre Bolloré dans le monde du livre (c'est mon métier) et dans celui des médias. Ici à Médiapart, il y a eu des articles passionnants démontrant pourquoi cette chaîne d'opinion n'a rien à faire sur la TNT et hier, de par sa présence, Manon Aubry va permettre aux dirigeants de Cnews de défendre leur impartialité, leur goût de la démocratie et du débat. Les intolérants sont ceux qui ne viennent pas, le monde et la réalité sont renversés.
Manon Aubry a fait une faute car dès lors comment pourra-t'elle soutenir la demande de ses collègues auprès de l'Arcom pour enlever la fréquence à cnews ?
C'était un piège grossier. J'aurais aimé que l'insoumise ne s'y soumette pas.