8 Billets

0 Édition

Billet de blog 3 octobre 2024

Géorgie : un paysage politique figé et menacé

Alors que le parti au pouvoir entraîne le pays vers un chemin autoritaire et l'éloigne de ses aspirations européennes, la classe politique géorgienne, menacée, semble figée et enfermée dans ses vieilles logiques de clans.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 1er octobre 2012, le parti Georgian Dream (« Le Rêve Géorgien ») remporta les élections législatives de Géorgie, à peine six mois après sa création par le milliardaire Bidzina Ivanishvili. Mardi dernier, marquant le 12e anniversaire de sa première victoire, ce dernier a publié une lettre dans laquelle il célèbre « le jour où la Géorgie a restauré son honneur ». « Malgré ses ennemis, quand il s’agit de la dignité et de la liberté de notre peuple, il ne peut pas y avoir de retour en arrière » a-t-il ajouté (1). Cependant, douze ans après cette victoire éclatante, tout tend à contredire ce propos.

À la fin de l’été 2012, le pouvoir est alors encore entre les mains du président Mikheil Saakasvhili et de son parti l’United National Movement (UNM). À la tête du pays depuis la ‘Révolution des Roses’ de 2003, qui a mis fin au règne de l’ancien ministre soviétique Eduard Shevardnadze et à la lignée de gouvernements aussi corrompus que proches de Moscou, Mikheil Saakasvhili fait face depuis plusieurs années à une contestation croissante d’une grande partie de la population. Celui qui a sans conteste modernisé la Géorgie et a largement contribué à baisser le niveau de corruption dans le pays est désormais accusé de concentrer trop le pouvoir et de faire preuve d’autoritarisme. Des manifestations éclatent à Tbilissi et un peu partout dans le pays à partir de 2007, parfois réprimées avec violence. Début 2008, pourtant, le Président avait facilement gagné les nouvelles élections présidentielles, grâce à une opposition dispersée. Mais la guerre russo-géorgienne de 2008 qui accroit la taille des territoires occupées, ainsi que la continuité dans le style autoritaire du pouvoir, ne font qu’accroître les tensions et mécontentements.

Tout début 2012, Bidizina Ivanishvili, milliardaire ayant fait sa fortune en Russie après la chute de l’URSS, décide donc de fonder une nouvelle alternative politique : le Rêve Géorgien. 365e fortune mondiale et première fortune de Géorgie, -sa fortune est aujourd’hui supérieure au budget de l’Etat géorgien- il permet au nouveau parti de jouir ainsi d’une assise financière sans commune mesure avec les autres partis politiques du pays. L’oligarque fait également régulièrement des dons à des œuvres sociales et sportives, gagnant ainsi la sympathie d’un nombre croissant d’électeurs. Sur le plan politique, le Rêve Géorgien se présente alors comme un parti de centre-gauche, libéral et pro-Européen. Mais la campagne électorale se base surtout sur une critique personnelle du chef de l’Etat et de sa gestion du pouvoir. Répondant ainsi opportunément à la contestation qui secoue le pays depuis des années, le Rêve Géorgien, sans aucune expérience du pouvoir et au programme imprécis, gagne les élections du 1er octobre 2012 face à l’UNM. Bidzina Ivanishvili sera brièvement premier ministre durant un an, avant de préférer gérer le pays dans l’ombre en gardant le titre de président d’honneur du parti.

Depuis lors, le parti a longtemps gouverné sans idéologie claire. Néanmoins, depuis son deuxième succès électoral en 2016, le parti semble épouser de plus en plus une vision conservatrice et autoritaire de la société. Les déclarations contre la société civile et les droits des minorités se multiplient. Le printemps 2023 marque un tournant majeur avec la première tentative du gouvernement de faire passer la loi sur les agents de l’étranger, qui oblige les médias et les ONG financés à plus de 20% par des fonds étrangers à se déclarer comme tel auprès des autorités. Une loi votée à l’identique dix ans auparavant en Russie et qui a permis aux autorités russes de s’attaquer largement à la société civile. Face au tollé provoqué par ce projet de loi et l’opposition de la Présidente Salomé Zourabishvili, la loi est finalement abandonnée (2). Mais elle est remise sur la table par le gouvernement un an plus tard et votée en mai 2024 (3). S’en est suivi la loi anti-LGBT ainsi qu’une violente charge contre l’Occident traité de « Parti global de la guerre » et accusé de vouloir mettre à mal les valeurs traditionnelles de Géorgie (4). « Tout cela s’est passé très rapidement. Même la société civile géorgienne, pourtant habituée à suivre la complexité de la vie politique ici, a été prise de court par ce revirement ultra-conservateur et pro-russe », constate un cadre de Transparency International Géorgie.

Encore davantage que la dichotomie traditions vs Occident, le parti au pouvoir semble surtout se servir des vieilles cartes anti-Saakashvili de 2012. L’ancien Président Mikheil Saakashvili est aujourd’hui emprisonné pour abus de pouvoir mais encore actif politiquement, et son parti est encore largement la principale force d’opposition au Parlement -le reste de l’opposition étant émietté. Alors, le Rêve Géorgien focalise sa communication sur le rôle présumé de l’ex-Président dans les conflits qu’a connu la Géorgie et la présumé volonté de l’Occident de l’y entraîner à nouveau, jouant ainsi sur les peurs des Géorgiens qui pour certains ont du mal à oublier 2008 ou sont traumatisés par la guerre d’Ukraine. Dans le même temps, le gouvernement s’affiche comme le parti de la paix qui voudrait assurer la stabilité du pays. En septembre 2024, Bidzina Ivanishvili a ainsi déclaré que la Géorgie devrait s’excuser pour la guerre de 2008 qui a été, selon lui, déclenchée par l’ancien président (5). En août, le premier ministre était allé jusqu’à déclarer qu’une partie de l’opposition, qu’il appelle le « grand UNM » et qu’il qualifie de « criminelle » pour ses postures jugées guerrières, devrait être dissoute après les élections législatives (6).

Ces visions complotistes montrent une chose évidente : Saakashvili comme Ivanishvili font toujours office de repoussoirs pour leurs oppositions respectives. Cette personnalisation du pouvoir vient aussi bien de la culture politique du pays que de l’influence du voisin russe. Pour de nombreux activistes, cela est aussi dû au non-renouvellement de la classe politique depuis une décennie, attirant peu les jeunes qui considèrent le système comme totalement verrouillé. Néanmoins pour beaucoup d’entre eux, la priorité du scrutin, au-delà de ces batailles politiciennes et d’égos, sera d’éviter l'écroulement de la démocratie et un véritable retour en arrière.

(1) Ivanishvili Publishes Letter Commemorating 12th Anniversary of GD’s Rise to Power – Civil Georgia
(2) Georgia: ‘Foreign Agents’ Bill Tramples on Rights | Human Rights Watch (hrw.org)
(3) Georgia approves controversial 'foreign agent' law, sparking more protests (bbc.com)
(4) Georgian Dream Takes On The 'Global War Party' (rferl.org)
(5) Georgia's most powerful man suggests an apology for 2008 war with Russia | Reuters
(6) PM Kobakhidze Confirms GD Aims to Ban All Current Opposition Coalitions, Cancel MP Mandates – Civil Georgia

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.