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Billet de blog 7 octobre 2024

REPORTAGE - Avec des jeunes Géorgiens militants pour la démocratie

Immersion d'une journée avec un groupe de jeunes Géorgiens partis sur les routes du pays pour inciter la population à voter lors des prochaines élections législatives du 26 octobre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce matin, Giorgi* m’a donné rendez-vous à 11h30 sur la Rose Revolution Square, au centre de Tbilissi. Celui que j’ai contacté via un groupe Facebook de jeunes activistes géorgiens m’a écrit l’heure et le lieu de rendez-vous du départ à peine une heure plus tôt. « Pour éviter que le gouvernement et leurs agents puisse interférer » selon lui. À 11h30 pile, donc, je retrouve sous l’imposante sculpture de vélo de la place centrale un petit groupe d’activistes d’une vingtaine d’années. Tous étudiants et représentants différentes ONG ou mouvements étudiants pro-européens, ils se retrouvent ainsi plusieurs fois par semaine depuis le début du mois pour aller à la rencontre des électeurs dans tout le pays et les convaincre de voter pour des partis politiques « pro européens ». En d’autres termes, pour tout autre parti que celui au pouvoir, qui a multiplié les signes de rapprochement avec la Russie et fait passer dans la précipitation des lois ultra-conservatrices ces derniers mois. Alors que je salue le groupe, Davit*, fondateur d’un des mouvements représentés, se démarque du groupe et insiste pour m’expliquer le contexte et le déroulement de la journée. « On a fait Tbilissi la semaine dernière, mais l’importance c’est vraiment de viser les zones rurales, où la propagande du gouvernement marche vraiment bien. En plus, ce sont des villes qui ont été beaucoup vidées de leurs populations ces dernières années, les jeunes préférant émigrer dans les grandes villes. Alors, il reste surtout les vieux qu’on peut difficilement atteindre par les réseaux sociaux » m’explique-t-il.

Après un moment de flottement -notre bus ayant une bonne demi-heure de retard, notre petit groupe a profité du soleil anormalement chaud pour un mois d’octobre- nous avons enfin pris nos places, moi à côté de Davit. Ce matin, je l’appris à la dernière minute, nous allons à Chaschuri, une bourgade située au centre de la Géorgie, sur la route entre Tbilissi et Koutaïssi et à une vingtaine de kilomètres tout juste de l’Ossétie du Sud, région occupée d’où avait éclaté la guerre avec la Russie en 2008. Durant le trajet, Davit m’explique son engagement. « Quand j’étais petit je rêvais d’une Géorgie sans aucune frontière, où tout le monde serait accepté, sans discrimination. Alors forcément, quand je suis devenu étudiant l’année dernière et que le gouvernement a pris son virage xénophobe, j’ai créé mon mouvement. En mai [lors des manifestations contre la loi sur les agents de l’étranger] j’ai organisé plusieurs actions de blocages et même plusieurs manifestations sur l’avenue Rustavli [artère principale de Tbilissi] ». Cet étudiant en relations internationales, qui vient de la même région où nous nous rendons, est fatigué d’observer que la propagande gouvernementale semble efficace chez beaucoup de personnes qu’il rencontre. « Quand on va dans certaines campagnes, les gens vous disent que ce qui est important ce sont les problèmes du quotidien, pas la géopolitique. Ce que j’aimerais c’est leur faire comprendre que si, la géopolitique c’est important ! Et ça peut justement avoir un impact dans la vie de tous les jours, surtout en Géorgie ».

Après environ 2h de route, nous arrivons dans la ville, de taille moyenne. Notre premier arrêt se fait dans le grand marché ouvert qui couvre l’extrémité Est de la ville. Dès la sortie du bus, notre petit groupe se disperse dans les allées du marché. L’endroit n’est pas rempli, à peine plusieurs dizaines de badauds, pour la plupart des personnes âgées -nous sommes alors vendredi matin- déambulent parmi les étalages de fruits et légumes et de vêtements bon marché qui s’entassent, couverts par des toits de tôle. Mais l’objectif semble surtout de viser les commerçants. « Les commerçants vont généralement nous poser beaucoup de questions et vont prendre le temps de lire le prospectus, ce qui va créer de la curiosité chez les clients » me confie Giorgi. Suivant de près ce dernier dans ces déambulations, je l’observe, parfois hésitant, répéter inlassablement le même discours : il est étudiant à Tbilissi et a décidé de s’engager pour expliquer l’importance du vote pour sa génération, car il ne veut pas vivre dans une Géorgie russifiée mais une Géorgie tournée vers le progrès. Pour preuve, il distribue un prospectus qui compare l’impact néfaste qu’a eu la Russie sur la Géorgie depuis le début de son histoire récente avec les opportunités que représenterait un rapprochement avec l’Union Européenne (baisse de la pauvreté, hausse des salaires, meilleures politiques sociales, etc.). À ma grande surprise, la plupart des personnes âgées semblent approuver le discours. « Le fait que nous soyons des jeunes qui leurs demandons de voter pour notre avenir leur procure du respect et de l’espoir » m’explique Giorgi. « Aussi, la guerre de 2008 est passée par là, la région avait été partiellement occupée par les troupes russes. Alors ils savent ce dont est capable la Russie… ». Reste à savoir si le rapprochement, implicite ici, entre Russie et parti au pouvoir est bien perçue comme tel par la population -surtout quand ce parti se dédouane de toute russophilie. Un peu plus loin, je retrouve Davit. Plus sûr de lui, il n’hésite pas à engager la conversation avec des groupes plus larges, à l’image de ce groupe de commerçants qui jouent au backgammon et qui semblent très intéressés par le prospectus et l’histoire personnelle de mon coéquipier. Dans un magasin de cigarettes vers la fin de notre tournée, cependant, nous rencontrons un homme au visage fermé qui, sur un ton légèrement menaçant, nous informe qu’il travaille pour la municipalité (acquise au parti au pouvoir), qu’il n’est pas intéressé et que nous ferions mieux d’aller voir ailleurs…

Reprenant notre bus, nous nous rendons alors dans un parc situé plus en centre-ville. Ici, changement assez net de population : le parc est principalement rempli d’enfants et d’adolescents qu’accompagnent parfois des adultes âgés autour de la quarantaine ou de la cinquantaine. Ces derniers semblent plus fermés aux discours de mes camarades. « Cette catégorie d’âge est la plus dure à convaincre, car ce sont des gens qui ont parfois un souvenir idéalisé de l’époque soviétique et ne voient pas forcément le risque d’un rapprochement avec la Russie », analyse un autre participant. Alors, parfois Davit tend des prospectus à un enfant marchant seul ; « ramène ça à la maison et surtout ne le jette pas ! » leur lance-t-il avec un clin d’œil. Trois bonnes heures se sont écoulées depuis notre arrivée dans la ville; je retrouve mes deux acolytes, visiblement extenués et lassés par l'indifférence de ce public, fumant une cigarette sur un banc. « Ça me révolte de voir tous ces gens calmes et insouciants, ils n’ont pas l’air de réaliser ce qu’il risque de se passer dans quelques semaines » me lance Davit.

Le retour se fait dans le silence, la plupart des membres du groupe ayant plongé dans un profond sommeil. Demain, le petit groupe de militant couvrira une autre ville du pays, puis le surlendemain une autre. Et ainsi de suite jusqu’à l’échéance majeure de fin octobre qui déterminera plus que jamais, ils en sont persuadés, leur futur et celui de leur pays.

*Les prénoms ont été modifiés

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.