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Billet de blog 28 septembre 2024

Élections en Géorgie : l’ombre de la guerre

Dans un pays marqué par les guerres et les pertes de souveraineté depuis son indépendance, la bataille mémorielle est au cœur de la campagne électorale en cours pour les élections législatives d'octobre 2024.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 27 septembre 2024 marquait pour la Géorgie le 31e anniversaire de la perte de l’Abkhazie. Cette petite région située à l’extrémité nord-ouest du pays jouissait d’une certaine autonomie lors de la première indépendance géorgienne de 1918. Mais lors de la dislocation de l’URSS en 1991, un conflit lié à des mouvements indépendantistes, largement impulsé et organisé par la Russie, y éclate et durera 13 mois. Plus de 12.000 personnes mourront et des centaines de milliers de personnes, essentiellement des Géorgiens, durent fuir dans les régions alentours. Largement sous-médiatisé à l’époque des faits, ce conflit débouche ainsi sur l’un des nettoyages ethniques les plus tragiques de la fin du XXe siècle ; et le premier d’une longue liste ayant pour objectif la russification des régions autonomes et la partition des nouveaux Etats indépendants, considéré par Moscou comme sa zone d’influence traditionnelle (Tskhinvali/Ossétie du Sud, Est de l’Ukraine, Transnistrie en Moldavie, etc.). Aujourd’hui, l’Abkhazie, république autoproclamée, n’est reconnue que par cinq Etats dans le monde et son économie ainsi que son armée sont entièrement jointes à celles de la Russie. La ligne de frontière avec le reste de la Géorgie, qui ne cesse de bouger et d’avancer chaque année, est encore gardée par des militaires et des mercenaires russes.

Cet épisode, considéré par les Géorgiens comme l’un des plus tragiques de leur histoire contemporaine avec la guerre russo-géorgienne pour la reprise de l’Ossétie du Sud en 2008, est aussi régulièrement source de tensions politiques internes. « C’est d’autant plus important de parler cette tragédie aujourd’hui que le Rêve Géorgien [le parti au pouvoir] se présente comme le parti de la paix par opposition aux partis pro-occidentaux qui voudraient toujours la guerre » selon Salomé K, directrice du Liberty Institute qui a travaillé durant deux ans sur un documentaire retraçant les exactions des forces armées russes en Abkhazie. Le Premier ministre a en effet récemment multiplié les déclarations accusant ses opposants de vouloir entraîner la Géorgie dans une nouvelle confrontation directe avec la Russie dans l’intérêt exclusif de l’Occident. À l’inverse de son gouvernement, dont la priorité ne serait que la stabilité et l’unité dans l’intérêt du pays et du peuple (1). Le 26 septembre, soit un jour avant la date anniversaire de la perte de l’Abkhazie, le Rêve géorgien a diffusé une nouvelle affiche de campagne dans toute la ville de Tbilissi ; on y voit, à gauche, des villes Ukrainiennes calcinées et des édifices religieux détruits sous les noms des partis d’opposition et, à droite, des photos colorées des plus beaux paysages géorgiens sous l’emblème du parti au pouvoir (2). Le ministère des affaires étrangères ukrainien a immédiatement réagi et condamné l’utilisation d’images de guerre dans des affiches politiques (3).

Si cette stratégie simpliste ‘guerre vs paix’ trouve un écho dans une partie de la société géorgienne apeurée par les guerres russes successives, elle inquiète aussi une large partie de la population qui y voit une menace pour la souveraineté et l’unité à terme du pays au profit d’un rapprochement avec son voisin et occupant russe. Ainsi, le 15 septembre, Bidzina Ivanishvili, le milliardaire fondateur du parti au pouvoir, a-t-il suggéré que la Géorgie devrait s’excuser pour avoir ‘déclenché’ la guerre avec la Russie en 2008 pour tenter la reprise de l’Ossétie du Sud (4). Déclaration immédiatement applaudie par le Kremlin. De son côté, le Premier ministre n’a pas mentionné une seule fois la Russie lors de son discours à l’Assemblée générale de l’ONU plus tôt dans la semaine (5).

Difficile encore de dire si ces déclarations et stratégies de communication auront l’effet escompté sur le vote. En particulier sur celui des jeunes, occidentalisés, qui n’ont pas ou peu connu ces guerres sur le sol géorgien et qui sont davantage sensibles à l’imaginaire et aux symboles de la Ière République indépendante de Géorgie (1918 – 1921), période durant laquelle le pays était souverain sur tout son territoire. Pour la Présidente Salomé Zurabishvili, elle-même descendante d’immigrés venus en France suite à la chute de la Ière République, la stratégie gouvernementale est un leurre qui cache l’influence grandissante de Moscou et menace l’unité du pays : « Si le parti au pouvoir gagne, on sera une société ‘à la russe’, et donc adieu à la liberté et à tout ce qui a été acquis depuis l’Indépendance. Pour nous, ce serait un retour à 1921, c’est-à-dire quand la Géorgie a été occupée militairement [par la Russie soviétique] après sa première indépendance », a-t-elle déclaré à la radio française le 28 septembre (6). Une bataille mémorielle dont l’issue, existentielle pour la Géorgie, sera connue le 26 octobre prochain.

(1) Georgian Dream Takes On The 'Global War Party' (rferl.org)
(2) Georgian Dream launches campaign ads using images of war-torn Ukraine  (oc-media.org)
(3) Kyiv slams Georgian electoral ads depicting bombed-out Ukraine – POLITICO
(4) Georgia's most powerful man suggests an apology for 2008 war with Russia | Reuters
(5) PM Kobakhidze’s UNGA Speech Does Not Mention Russia While Addressing Occupation – Civil Georgia
(6) ინტერვიუRadio Francee-თან (youtube.com)

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