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Seul sur les planches, un corps se meut, s’étire et s’arcboute. Symptomatique du monde contemporain, l’homme, perdu en terre inconnue, cherche à capter les infimes traces d’un réseau téléphonique qui lui permettrait de retrouver son chemin et un semblant de vie proche de ses habitudes. Très vite, autour de cette silhouette mouvante se dessine une ville étrangère, une foule grouillante. Des sons urbains – des klaxons, des bruits de mobylettes mal réglées, des voix qui se mêlent dans un brouhaha intense – nous entraînent loin du théâtre dans une rue au Bengladesh. Alors que la scène demeure vide, on imagine les pousse-pousse, les autobus surpeuplés, les embouteillages.
C’est toute la force de ce spectacle qui se joue de nos sens pour mieux nous cueillir, nous embarquer dans un monde imaginaire et fantasmé celui du jeune Akram, cet adolescent turbulent incapable de demeurer en place, refusant le destin tracé par un père autoritaire. Né en France – en réalité en Grande-Bretagne – , il ne connaît rien du pays de ses ancêtres. Elevé à l’occidentale, sa culture s’oppose à celle de ses parents. Constamment en conflit avec ses derniers, il se réfugie dans le mouvement pour oublier, pour s’éloigner, pour rêver à un avenir meilleur.
Il aura suffi d’une voix à l’autre bout du téléphone portable, celle d’un enfant bangladais, pour faire ressurgir tous les souvenirs du chorégraphe, lui rappeler ses origines, sa famille. Un mot de passe oublié est, c’est une fable enfantine que lui contait sa mère quand il était petit qui se dessine sur le fond gris de la scène. Ainsi par bribe, l’unique danseur (époustouflant Dennis Alamanos en alternance avec Nicolas Ricchini), sorte de double du chorégraphe, nous guide dans la mémoire de ce dernier, nous entraîne sur ses traces et nous révèle les origines de sa vocation de danseur.
Bien que le ballet autobiographique d’Akram Khan ait été épuré pour s’adresser à un jeune public, l’essentiel est là. L’écriture est simple, ciselée. Mêlant à son habitude danse contemporaine et kathak – danse traditionnelle indienne – , le chorégraphe anglo-bangladais nous invite à un voyage immobile au pays de ses pères, à un parcours initiatique intense qui lui révéla sa vraie nature et lui permit d’accepter ses origines.
Porté par un artiste de sa compagnie qui lui ressemble étrangement, ce conte dansé entrelaçant réalité et fiction séduit par la beauté des gestes, la précision des mouvements. Incandescent, animal, Dennis Alamanos donne vie et couleurs à ce récit autobiographique. Il en sublime les lignes, les mots, les intonations. Embarquant petits et grands dans une vertigineuse ballade des sens, il est l’enfant, le père et le fils. Sublime !
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore pour l'Œil d'Olivier.
Chotto Desh d’Akram Khan. Théâtre de la Ville – Théâtre des Abbesses. jusqu’au 6 janvier 2017.