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Billet de blog 10 novembre 2016

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Caida del cielo, Le flamenco dans tous ses états

Empruntant au flamenco sa grammaire, son expressivité, Rocío Molina dépoussière la tradition, mélange les genres et signe un singulier ballet autant burlesque, envoûtant, que déroutant.Prise à son propre jeu d'enjôleuse, emportée par l’inspiration, elle se laisse déborder noyant sa chorégraphie dans d’interminables tableaux qui perdront en route certains spectateurs et en ensorcèleront d’autres.

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Illustration 1
A chaillot, Rocío Molina réinvente le Flamenco dans "Caida del cielo" © Pablo Guidali © © Pablo Guidali

Dans l’écrin noir de la salle Jean Vilar du Théâtre national de danse de Chaillot, un immense carré de tissu blanc recouvre le sol et répond à l’écran géant accroché aux cintres. Quelques instruments abandonnés en bordure, une caisse de bois peinte et une chaise portant veste pailletée d’or au loin, sont les seuls éléments de décor. Tout semble immaculé, pur, virginal. Alors que la lumière éclaire le plateau, quatre ombres se faufilent. Ce sont les musiciens. Tranquillement, ils s’installent, font hurler leurs guitares déchirant la quiétude du lieu. Un son très rock résonne dans l’espace nu comme un présage. Puis, le silence, le noir.

Un projecteur illumine à nouveau le centre de la scène. Robe blanche à volants, un petit bout de femme se tient droite, immobile. C’est Rocío Molina. Avec lenteur, elle déploie ses membres, elle décortique les mouvements, les gestes, la grammaire du Flamenco. Tantôt debout, tantôt rampante, ou simplement allongée, les poignets, les chevilles décrivent de magnifiques arabesques. Ingénue, Innocente, elle se meut délicatement, elle semble nager sur le sol. Pas un bruit, outre le crissement du tissu, ne vient perturber cette danse immaculée.

Puis, tout s’accélère. La danseuse, tel un papillon de nuit, sort de sa chrysalide. Nue comme un ver, elle dévoile une autre facette de son art. aidée de ses musiciens, elle revêt sa tenue de combat, celle d’un torero, prêt à rentrer dans l’arène, à en découdre avec un « toro » imaginaire. Au rythme rauque d’une complainte andalouse, elle tourne, virevolte, se jette à terre. Elle mêle audacieusement la virilité de la tauromachie, à la féminité des pas du flamenco. Si les pas semblent plus classiques, plus proche de la tradition, Rocío Molina n’hésite pas à en modifier le sens, à en détourner les codes.

Brune, incandescente, virtuose, elle vit et respire danse. Tout son corps vibre pour exprimer ses pensées, ses réflexions sur le monde, sur sa propre existence. Femme entourée d’hommes, elle impose sa présence. Elle joue, s’amuse, provoque et nous entraîne dans une ronde burlesque, singulière, déroutante. Femme flamme, ardente, sensuelle, mutine, elle parle féminité, féminisme, société de consommation, monde perdu.

Laissant de côté, folklores et rites, elle offre au regard interloqué, conquis, de ses spectateurs une lecture moderne et dépoussiérée, un nouveau vocabulaire, au Flamenco. Elle en réinterprète les grandes lignes, s’approprie les codes pour mieux les détourner, pour les réinventer. Si parfois, elle se perd dans ses volutes effrénées, ses spirales infernales, oubliant presque qu’elle est sur scène, elle finit toujours par retrouver le chemin, le mouvement qui envoûte et fascine. Pris à son propre piège, elle se laisse totalement emporter dans sa transe, rallongeant son spectacle d’une bonne vingtaine de minutes, qui paraîtront bien longues pour certains, et prodigieuses pour d’autres.

Face à autant d’audace, de maîtrise et de virtuosité, on ne peut que saluer la performance de la belle chorégraphe. Tous ne seront pas entièrement conquis, certains déploreront le décorum kitsch de certaines scènes, d’autres le modernisme exacerbé qui fait presque oublier que Caida del cielo reste du Flamanco, enfin une poignée restera insensible aux excès « trash » de cette femme vibrante et exaltée. Déconcertés par certains tableaux et certains partis pris, les spectateurs se laissent prendre au jeu et applaudissent à tout rompre la fascinante prestation, la pureté du geste.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore, pour l'Œil d'Olivier.

Caida del cielo de Rocío Molina. Théâtre National de Chaillot. Jusqu'au 11 novembre.

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