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Une immense photo noir et blanc, rappelant les films d’antan, ceux de l’âge d’or du cinéma hollywoodien, domine la scène. Représentant, Lee Remick et Montgonnery Clift, le couple mythique de Fleuve sauvage d’Elia Kazan, les deux silhouettes élancées veillent telles des figures tutélaires sur les amours singulières qui vont se nouer, se dénouer sous leurs regards attendris, enfiévrés de passion. Construit comme un diptyque, l’ensemble s’ouvre et laisse entrevoir une pièce nue aux murs blancs vieillis sur lesquels viennent se projeter des formes esquissées rappelant certains tableaux de maître, des nus tout particulièrement.
Des coulisses, un homme (touchant Thomas Gonzalez) s’extirpe entièrement nu. Il le restera jusqu’à la fin du spectacle. Ténébreux, exhibant avec simplicité sa nudité, telle une parure, un vêtement singulier, Il rejoint son comparse plus âgé (placide Laurent Sauvage). Torse dévêtu, il attend son jeune amant. Ils se font face, s’enlacent. L’un est curieux, l’autre a vécu. L’un est idéaliste, passionné, l’autre désabusé, éteint. Entre eux, une étrangeté, une singularité, l’ombre d’une femme (intrigante Emmanuelle Béart). Elle ne tardera pas à faire son apparition.
Femme d’affaires retorse, exigeante, elle cherche la perle rare, l’homme qui partagera sa vie et lui donnera un enfant. Eprise de la beauté incendiaire du jeune homme, elle lui préfère toutefois la maturité de l’autre. Au romantisme exacerbé du premier, elle choisit le pragmatisme du second qui épuise sa vitalité, sa virilité dans de sordides films pornos. Ce triangle amoureux ne fonctionne que dans la dualité du couple, celui des deux hommes, celui de la femme et son compagnon plus âgé ou celui de la mère en puissance et du jeune apollon. Jamais les trois amants n’auront l’idée de se construire à trois. L’un sera toujours exclu des deux autres. Il ne sera présent que par son absence.
Très vite, le texte prétendument subversif de Christophe Pellet tourne court. Il se perd dans des digressions crues, sordides. Manquant de poésie, de lyrisme, les mots s’entrecroisent, se heurtent brutaux, sans âme. Tout n’est qu’artifice destiné à choquer l’auditoire. Quel gâchis, quel dommage. La mise en scène sobre, clinique de Stanislas Nordey, ne fait qu’accentuer le malaise, le sordide. Tout sonne faux, froid, sans émotion. Si un temps, le corps d’éphèbe de Thomas Gonzalez, son jeu tout en nuance et sa fragilité, retiennent notre attention, rapidement, on reste de marbre face aux interprétations glaçantes, cyniques des deux autres interprètes. La présence lumineuse, dominatrice d’Emmanuelle Béart ne suffit pas à sortir la pièce de l’ornière de froideur dans laquelle elle est jetée. Quant à Erich von Stroheim, à peine, évoqué au détour d’une phrase, on se demande bien ce qu’il vient faire dans cette galère, si ce n’est donné sa caution de grand mystificateur à un spectacle qui aurait bien besoin de ses talents pour nous embarquer dans l’étrange sillage de ce trio amoureux sans braise.
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore pour l'Œil d'Olivier.
Erich von Stroheim de Christophe Pellet. Mise en scène de Stanislas Nordey. Théâtre du Rond-Point. jusqu'au 21 mai 2017.