
Agrandissement : Illustration 1

Dans un décor des plus glaçants – murs tendus de noirs et mobilier en acier- , deux individus, une femme et un homme, font leur apparition. Portant chauds manteaux, bonnet ou foulard, ils viennent du dehors où une tempête de neige fait rage. Elle (distante et flamboyante Sylvia Roux), tout de noir vêtu, c’est Florence Bronstein, une avocate reconnue, une bourgeoise aisée, cultivée. Lui (étonnant et charismatique Thomas Lempire), c’est Simon, un ouvrier esseulé, un homme du peuple un peu perdu. C’est la nuit, rien n’aurait dû réunir ces deux êtres. Le destin en a décidé autrement. Désespéré, il a tenté de mettre fin à ses jours en se jetant sur les rails du quai n°5 d’une quelconque gare de Norvège. Elle passait par là, elle l’a sauvé d’une mort certaine et lui a proposé de venir se réchauffer chez elle. Commence alors un huis-clos singulier hors du temps et de l’espace, un dialogue étrange, complexe à la limite de l’incohérence, de l’intelligible.
Frigorifié dans ses habits mouillés, Simon tremble. Il semble apeuré, triste, parfois absent. En face de lui, Florence cultive le mystère. Femme de lettres, solitaire, elle parle, elle chercher à comprendre, à découvrir ses failles, à l’aider à se reconstruire pour trouver de nouveau un sens à sa vie. Petit à petit, ces deux âmes perdues que tout sépare, tentent de s’apprivoiser. Charmeuse, séductrice, elle s’enivre au champagne, parle sans laisser de répit au pauvre Simon. Elle virevolte autour lui comme un feu follet incandescent. Son vêtement flotte autour d’elle, lui donnant l’allure d’un ange noir aux ailes soyeuses couleur ébène. Lui, enfant inquiet, troublé, semble se refermer sur lui-même. Il appréhende chacune des questions de son hôte, qu’il ressent dans sa chair comme des intrusions dans son être.
Bon an mal an, l’atmosphère se réchauffe. La tension devient sensuelle, presque sexuelle. Ils se rapprochent, rêvent de voyage. Après un long tunnel d’incapacité à se comprendre, à se rapprocher, ils trouvent enfin un point commun, un village qui les lie l’un à l’autre : Stavanger, un petit port de Norvège. La connexion établie, tout bascule à nouveau. De nouvelles révélations bouleversent la donne. On change de dimension, de monde.
Plus la pièce avance, plus le mystère s’épaissit, s’obscurcit. Qui sont ces deux êtres surprenants, déroutants opposés ? Pourquoi sont ils réunis ? C’est cette ambiguïté sur la nature même des personnages qui fait le sel de l’intrigue imaginée par Olivier Sourisse. De sa plume ciselée, foisonnante, il signe une pièce étonnante, singulière où les pistes sont brouillées, les sens altérés, où la mort rôde imprégnant les mots, les sens, les attitudes. Afin de renforcer cette impression d’étrangeté, la mise en scène intimiste de Quentin Defalt s’appuie sur les différences de personnalités, de caractères, des deux comédiens afin de les prendre à contre pied. Ainsi, la flamboyante Sylvia Roux, à l’apparente chaleur humaine, distille une distance dans le rapport à l’autre. Le ténébreux Thomas Lempire se glisse avec virtuosité dans la peau d’un être pleutre, étranger au monde, mais révèle une violence retenue, une vibrante férocité au plus profond de son cœur.
Portée par deux comédiens fort talentueux, cette pièce obscure se révèle plus profonde qu’il n’y paraît. Abordant des sujets sombres, elle parle de la vie, des rapports aux autres, des « non-dits » qui bouffent et dévorent… En somme, un moment de théâtre rare, sombre et brillant !…
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore pour l'Œil d'Olivier.
Stavanger d’Olivier Sourisse. Mise en scéne de Quentin Defalt. Studio Hébertot. A partir du 17 Février 2017.