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Tout est à vue. La scène est emplie d’immenses tables recouvertes de bibelots, d’objets en tous genres. On se dirait dans un immense vide-grenier, dans un dépôt vente riche de curiosités et de banalités, où vêtements datés, électroménagers usés, ordinateurs obsolètes côtoient de vieux éléments de décor de théâtre, de cirque. Dans ce labyrinthe étrange, deux silhouettes, une femme (éblouissante Vimala Pons) et un homme (fascinant Tsirihaka Harrivel) s’agitent, s’échauffent, se préparent. Ils décomptent les minutes qui les séparent du début du spectacle. Plus on approche du commencement, plus l’ambiance devient fébrile. La salle plonge lentement dans le silence, dans l’obscurité.
Top, c’est parti. Les revues s’enchaînent. Les scènes se suivent, se répètent mais, jamais ne se ressemblent vraiment totalement. Tout évolue, se construit au fil du compte à rebours, de cet étonnant show monté à l’envers. Ici tout n’est qu’illusion. La fin est le début, le début est la fin. Loin d’être confus, cet ovni théâtral est parfaitement maîtrisé par Tsirihaka Harrivel et Vimala Pons. Les deux artistes, un brin perchés, un brin habités, nous entraînent dans leur insolite monde intérieur sans jamais nous lâcher la main. Qu’ils soient suspendus dans les airs accrochés à un jean, une porte, une chaise d’enfant, ou qu’ils portent sur leur tête mannequin, machine à laver ou échelle, ils ne cessent de réinventer le quotidien, l’histoire d’un couple qui s’aime, se déchire, se sépare.
Bien que sous le signe du divertissement, du spectaculaire, de l’artisanal, cette pièce à la confluence de nombreux arts vivants, vibrants, est immensément politique. Elle interroge sur l’état de notre société. Elle ébauche des réflexions et nous laisse compléter la suite. Tout est dans le tiret du titre, à chacun de voir ce qui l’angoisse, le touche, le bouleverse. En articulant la trame de ce spectacle autour de la vie banale d’un couple au bord de l’explosion, Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel orchestre une symphonie troublante, humaine, qui se fait et se défait au rythme des beats électro qu’ils jouent en live. Mêlant numéros d’acrobatie, quelques pas de deux, performance scénique, ils nous charment, nous emballent, nous ensorcellent.
En ces temps troublés, où la violence, la peur tétanisent nos réactions, Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel donnent du baume au cœur, de la chaleur et illuminent le temps d’une soirée notre ordinaire, notre quotidien. Certes quelques longueurs, quelques redondances, émaillent ce spectacle hors norme, mais ce n’est que détails infimes, tant ils nous bouleversent et nous emportent dans l’extraordinaire poésie de leur univers singulier. Un moment hors du temps qui nous laisse exsangue, profondément secoué, ému, hors d’haleine à l’image de ses deux artistes impressionnants, magistraux.
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore pour l'Œil d'Olivier.
GRANDE– de Tsirihaka Harrivel & Vimala Pons. Monfort théâtre. jusqu'au 6 mai 2017.