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Accroché aux cintres du théâtre du Ranelagh, un blason, rappelant les armes de la Castille du Léon, domine la scène. Seul décor, il sera le témoin
des amours contrariées et malheureuses de Chimène (Manon Gilbert énervante à souhait) et de Rodrigue (ténébreux et fougueux Thibault Pinson), tous deux descendants de deux nobles familles de ce royaume d’Espagne. Si les tourtereaux sont liés par une passion dévorante et brûlante, il semble bien que les rapports entre leurs pères sont plein de rancœur et d’animosité. Alors que le vieux père de Rodrigue (singulier Yves Roux) vient d’obtenir un poste prestigieux à la cour, celui de Chimène (Sombre et tonitruant Stéphane Dauch) ne décolère pas estimant être un meilleur choix. Un soufflet vient clôturer l’âpre discussion.
En bon fils, Rodrigue, pour sauver l’honneur de sa famille n’a pas d’autre choix que de provoquer en duel le père de sa tendre aimée. Déchiré entre le devoir et l’amour, sachant que quelle que soit l’issue il perd sa promise, il part au combat l’âme en peine et tue son adversaire. Le monde de la capricieuse et pénible Chimène s’effondre. Partagée par les mêmes sentiments que son bel amant, elle doit choisir entre la raison et le cœur. Par bravade, pour la gloire de sa maison, elle préfère à son corps défendant la vengeance implacable et demande la tête de Rodrigue au Roi (Fascinant Alexandre Bonstein). Commence alors entre les deux soupirants, un jeu de cache-cache infiniment long qui verra l’amour triomphait de la haine.
Spécialisé dans la revisite des grands classiques, Jean-Philippe Daguerre, avec l’aide de sa troupe « le Grenier de Babouchka », fait une nouvelle fois des miracles. Passionné de la langue française, il s’attache avec une infinie minutie à dépoussiérer les alexandrins, leur redonner vie. S’appuyant sur une rythmique plus pop, il s’amuse à confronter la tragédie cornélienne avec un jeu mêlant facéties et pantomimes. Raccourcissant les vers, resserrant l’action, il permet de (re)découvrir ce chef d’œuvre de Corneille d’un œil nouveau tout en en gardant la substantifique moelle. Grâce à deux musiciens (Petr Ruzicka et Antonio Matias) placés en arrière-plan, qui jouent des sérénades sévillanes quitte à couvrir parfois le texte, le metteur en scène nous entraîne dans une Espagne moyenâgeuse fière et forte.
En accentuant les traits archétypaux des personnages, Jean-Philippe Daguerre souligne le comique de situation de certaines scènes. Ainsi, Manon Gilbert campe une Chimène particulièrement insupportable et capricieuse. Thibault Pinson un Rodrigue amoureux transi et taciturne mais héros malgré lui. Alexandre Bonstein un roi fol, grotesque et manipulateur. Sophie Raynald une Elvire effrontée qui tient tête à son odieuse maîtresse. Edouard Rouland un don Sanche bellâtre belliqueux. Charlotte Matzneff une princesse amoureuse mais résignée. Tous de leurs jeux ciselés, de leurs facéties, concourent à faire de la pièce de Corneille une farce tragique, drôle et enlevée.
i on peut déplorer quelques longueurs, quelques sanglots longs et trémolos de trop, ce Cid dépoussiéré perd en dramaturgie ce qu’il gagne en lisibilité, légèreté et force tragi-comique. Il devrait séduire les plus jeunes et ravir un public plus aguerri.
Olivier Frégaville-Gratian d'Amore pour l'Œil d' Olivier.
Le Cid de Pierre Corneille
Théâtre du Ranelagh
5, tue des vignes
75016 Paris
Jusqu’au 15 janvier 2017
du mercredi au samedi 20h45
Durée 1h40