
Carl Philipp Emanuel Bach : en général, rares sont ceux qui, ne connaissant pas l'œuvre de CPE Bach, peuvent même se douter de cette écriture pétulante ou carrément pré-romantique. Pour reprendre des termes de la novlangue d'aujourd'hui, je dirais que se musique est à la fois « hallucinante » et en fait même l'un des « punks » de son époque. Blague à part, je suis personnellement assez fasciné par ces compositeurs qui sont vraiment à la charnière d'époques esthétiques très marquées, et avec CPE Bach, on entend dès ses premières notes, qu'on n'est plus vraiment dans le baroque, sans être encore de plain-pied dans le classicisme. Mais c'en sont néanmoins les prémisses, mais alors vraiment, avec des éléments qui ne reviendront finalement que dans les marges de Haydn, dans le dernier Mozart et bien sûr qui exploseront avec Beethoven : ce qui n'est pas encore vraiment le « Sturm une Drang », mais qui donne une place absolument inédite aux accents d'individualité et d'épanchement souvent violent. D'où une constante « nervosité » dans l'écriture de CPE, chose absolument impensable évidemment pour son père.
Les concertos pour violoncelle sont à ce titre très représentatifs, mais je dois avouer que j'ai une prédilection pour ses concertos pour flûte, où cet espèce de nervosisme est certainement à son paroxysme. J'en avais eu la révélation par un enregistrement dirigé par Ton Koopman pour Erato, sans me douter que bien des années plus tard j'allais découvrir un nouvel enregistrement de ces merveilles par le plus grand flûtiste français depuis JP. Rampal, Emmanuel Pahud avec l'académie de chambre de Potsdam dirigée par Trevor Pinnock (des tempi absolument fous, et une énergie décuplée suivie de moments d'abattements qui conviennent vraiment à cette musique).

À propos des fils Bach justement, je recommande également l'excellent ouvrage de 1997 de Marc Vignal, Les fils Bach (Fayard). Je recommande trois choses pour entrer en CPE Bach comme on entrerait en religion d'une musique exacerbée sous tous les angles :
- profiter de ce très récent enregistrement de François Lazarevitch et Justin Taylor des sonates pour flûte et pianoforte : magnifique enregistrement publié par Alpha, des Sonates pour flûte et pianoforte de Carl-Philipp Emanuel Bach (une musique si attachante, si variée et si audacieuse), par les excellentissimes François Lazarevitch, le maître français de la flûte baroque, et Justin Taylor, claveciniste surdoué de cette jeune génération de musiciens français (lui est franco-américain) qui ne cesse d'enchanter tout le monde et de rafler à juste titre toutes les distinctions de la presse musicale pour leurs productions. François Lazarevitch est quant à lui non seulement le musicien accompli qu'on connaît et dont les enregistrements sont des merveilles, mais aussi le créateur de l'une des formations les plus marquantes de ces dernières années, Les Musiciens de Saint-Julien.
- cet enregistrement absolument inouï d'Emmanuel Pahud des concertos pour flûte ;
- l'excellentissime coffret paru en 2014 chez Warner Classics, « The Collection CPE Bach », où en 13 cd des enregistrements les plus fondamentaux (Philippe Herreweghe, Anner Bylsma, Ton Koopman - avec une reprise, justement, de cet enregistrement mythique des concertos pour flûte où je les avais découverts -, Gustav Leonhardt...), on a un panorama remarquable de l'œuvre, et une découverte de sa musique sacrée pour ceux qui ne la connaîtraient pas : une pépite discographique indispensable, qu'il faut compléter par ailleurs.
Je recommande en particulier de se précipiter vers le Magnificat de CPE Bach (loin, très loin de celui de son père quant à l'esthétique mais qui contient justement un hommage appuyé à JS. Bach dans une fugue), une merveille absolue de lumière, qui rappelle et anticipe les Messes de Haydn : voir une excellente version par le Riaskammerkor chez Harmonia Mundi. Quand on commence avec CPE Bach, quand on met le doigt dans l'engrenage de cette musique si imprévisible, si inattendue, si singulière (et dont Beethoven était singulièrement épris, ce qui ne m'étonne pas), on en redemande. Il est selon moi, des quatre fils compositeurs Bach, de loin le plus important.