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Directeur du CIEEG (Centre international d'études Édouard Glissant) au sein de l'Institut du Tout-Monde, des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ». VOIR SITE PERSONNEL (fonctions-références-actualités) : www.loiccery.com

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Billet de blog 3 juillet 2024

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Le Concerto pour violon de Sibelius par Janine Jansen et Klaus Mäkelä

L'enregistrement du Concerto pour violon de Sibelius par Janine Jansen avec l'orchestre philharmonique d'Oslo sous la direction de Klaus Mäkelä : merveille d'une nouvelle approche.

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Illustration 1

Dans la foisonnante actualité discographique, on peut légitimement compter sur les chroniques tenues soit par la presse écrite spécialisée, soit la radio, essentiellement France Musique en l'occurrence, pour être alerté. C'est récemment par « En pistes » du 17 juin dernier que j'ai repéré cette merveille mise en lumière en « disque classique du jour », ce tout nouvel enregistrement (2024, Decca) du Concerto pour violon en ré mineur op. 47 de Sibelius par l'excellente violoniste néelandaise et le jeune prodige finlandais de la direction. 

Je ne parlerai volontairement que de cette nouvelle version du concerto de Sibelius, car je n'ai jamais été qualifié, et je ne le suis toujours pas, pour parler de Prokofiev.

Onirique jusqu'à l'éther du lyrisme

Surprise extrêmement réjouissante, que d'être encore étonné par une nouvelle approche de ce concerto de rêve, quand on en a entendu des dizaines et des dizaines de versions. L'approche de Janine Jansen est étonnante et très personnelle. Là où ses collègues versent souvent dans la surenchère, même efficace (j'ai longtemps été marqué par Vengerov, dans le sillage de Heifetz - ma version préférée dans cette veine romantique et virtuose demeurant celle d'Isaac Stern), rien de tel ici. Sans pâtir le moins du monde à l'expressivité, la violoniste a choisi, comme naguère sa collègue Hilary Hahn, d'emprunter un autre chemin que celui de la redondance de ce qui est déjà écrit dans la partition, dans le registre du relief. L'allegro initial le proclame : il sera question ici de clair et d'obscur, en une voie sûre ou plus exactement assurée, des attaques ultra-sensibles et parfois des ralentis qui toujours se justifient. Lyrisme déclaré, volontaire, utilisé pour exprimer et porter à péroraison le voile onirique propre à ce concerto et particulièrement ce premier mouvement. Là-dessus, un orchestre à se juste place, qui soutient la recherche des accents, sait se déchaîner à bon escient, et se maîtriser, mené par une sorte de vieux moine bonze de 28 ans.

La somptuosité se déploie en pure émotion tout au long du splendide adagio élégiaque de ce violoniste contrarié que demeura toute sa vie Sibelius. Et ici le Philharmonique d'Oslo déploie des graves profonds et intranquilles en diable, pendant la traversée douce-amère d'une soliste méditative. Remarquable.

Ceux qui s'attendent à un allegro final encore dans la surenchère virtuose à laquelle on est habitué seront frustrés. Ici, encore une nouvelle voie, là où les accents qu'on connaît et qu'on attend sont assurés, mais « d'une autre façon », qui ne cherche pas à séduire mais à cheminer. Toujours dans la lyrisme et les moment diaphanes d'un rêve, qui fait place au jour. Et Mäkelä ici est énergie, Jansen est fureur. Merveille. Le chef révèle au disque ses qualités de soutien orchestral d'une geste concertiste de haut vol - chose que les spectateurs de la Philharmonie de Paris ont pu tant de fois déjà apprécier, et savent déjà par conséquent. Janine Jansen confirme qu'elle, Hilary Hahn et Julia Fisher constituent la nouvelle trinité féminine du violon.

Il n'est d'ailleurs pas inutile de mentionner ici cette trinité féminine car en l'occurrence (j'en suis en tout cas convaincu), le renouvellement de l'approche du concerto de Sibelius, dans une autre veine que celle de l'enveloppe romantique et virtuose, est justement dû à ce que je considère en l'espèce comme un tournant : je veux parler de l'enregistrement de l'œuvre par Viktoria Mullova en 1985 avec l'orchestre symphonique de Boston dirigé par Seiji Ozawa. C'est à mon sens à partir de cette version qu'on s'est cru autorisé à délaisser les rives de la virtuosité brillante de l'école russe dans ce concerto pour tenter une approche plus mélancolique, plus diaphane aussi.

Sibelius: Violin Concerto in D minor, Op. 47 - Viktoria Mullova, Seiji Ozawa, Boston Symphony © Sebastián Rodríguez González

Voilà ce que cela donne sans Makela : Janine Jansen dans le Sibelius en 2019 avec l'orchestre symphonique de la Südwestrundfunk dirigé par l'inimitable Christoph Eschenbach : 

Janine Jansen: Violin Concerto in D minor, Op 47 (Jean Sibelius) - 2019 © 1210beth

Et on notera que l'interprétation de Janine Jansen a sensiblement évolué entre 2019 et 2024 : un style plus nerveux et plus marqué avec Eschenbach, là où l'enregistrement de Decca avec K. Mäkelä est nettement plus éthéré, dans le sens de l'éther dont on fait les rêves.

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