Loïc Céry
Directeur du CIEEG (Centre international d'études Édouard Glissant) et du pôle numérique à l'Institut du Tout-Monde, Directeur des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ». VOIR SITE PERSONNEL (fonctions-références-actualités) : www.loiccery.com
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Billet de blog 5 févr. 2023

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Dans la demeure de l'enchanteur : Jean-Marc Luisada, de musique et de cinéma

Dans un récital flamboyant de sons et d'images, Jean-Marc Luisada évoque les musiques de quelques-uns des films qui ont marqué la passion viscérale qui le lie au cinéma. Un récital plébiscité par le public, donné à la Folle Journée de Nantes, bientôt repris à Paris (Salle Gaveau) et qui fera également l'objet d'un cd à paraître fin mars 2023.

Loïc Céry
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Les connaisseurs de l’art et du parcours de Jean-Marc Luisada le savent de longue date : le fabuleux pianiste est aussi un passionné de cinéma. Ce sont les parents du musicien qui lui ont communiqué dès l’enfance le goût des esthétiques et des narrations cinématographiques et on ne peut s’empêcher d’y voir une conjonction avec l’un des aspects d’un style pianistique où on a appris à apprécier au fil des années les talents d’un authentique conteur de la musique (un metteur en scène des émotions musicales), que ce soit dans Schubert, Chopin, Beethoven ou Schumann. Un musicien cinéphile donc, comme il y en a sans doute d’autres, mais un cinéphile d’une culture cinématographique d’une telle étendue qu’elle pourrait en devenir intimidante et où l’essentiel pourtant est une passion éminemment communicative et je dirais même immédiatement contagieuse en quelque façon - et c’est ce qui fait déjà la différence. Car Jean-Marc Luisada vous parlant des films qui l’ont marqué et qui continuent d’occuper son esprit, vous plonge instantanément dans l’intensité d’atmosphères inoubliables. 

 Atmosphères, vous avez dit atmosphères ? Eh bien justement, voici le musicien qui nous parle directement au cours de ce récital d’un genre unique en soi, de ces films évoqués sur scène au moyen de très subtils et très intuitifs montages effectués par le vidéaste Julien Hanck. On le comprend vite, le jeu ne consiste pas ici à être illustratif à propos de ces films où les œuvres de Mozart, Brahms ou Chopin ont imprégné images et scénarios, mais bien d’épouser les ondoiements des ambiances et des musiques, dans l’esprit d’un réel compagnonnage. Un compagnonnage oui, une intimité même, où se ressent à chaque note et à chaque image soigneusement choisie, l’irremplaçable viatique d’une longue fréquentation de ces films et de ce qu’est le cinéma pour Jean-Marc Luisada : une  manière de vivre, et de vivre mieux. 

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 Quel est donc l’office d’un « passionné » et d’un fin connaisseur auprès de ceux à qui il s’adresse ? Ce n’est sûrement pas de faire montre d’un savoir thésaurisé, jalousement accumulé puis débité ex cathedra, mais d’être à même de partager « simplement » ce savoir et d’entraîner les autres sur les chemins d’un certain éveil. C’est incontestablement ce que réussit Jean-Marc Luisada dans ce récital, où le public est guidé, épaulé, et d’ailleurs accompagné, moyennant l’évocation visuelle, dans l’ « antre » même du pianiste : son appartement parisien littéralement envahi par les DVD, jusque dans la salle de bain de son aveu même. Un appartement dont il a récemment ouvert les portes à la rédaction du magazine Classica, qui lui consacre un bel article dans son numéro de février.

Illustration 3

Et dans le spectacle, on est littéralement immergé dans cette demeure du musicien cinéphile, le spectateur regardant par-dessus l'épaule de l’artiste et dans la connivence hospitalière à laquelle il le convie, ces images évocatrices des films admirés ou parfois simplement évoqués, mais aussi des images de son propre parcours de musicien. On le revoit, depuis que jeune pianiste entouré de parents aimants et modestes, il a débuté son apprentissage aux côtés de Denyse Rivière puis Marcel Ciampi, avant d’intégrer la Yehudi Menuhin School à Londres puis le Conservatoire de Paris où il rafle les prix avant de triompher plus tard au Concours Chopin et d’entamer la carrière que l’on sait.

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 Nostalgie, vous avez dit nostalgie ? Sûrement pas en tout cas au sens de cette fixité émolliente que peuvent cristalliser certains souvenirs, mais plutôt dans le sens de la recherche d’une quintessence. En voyant défiler sur scène à la Folle Journée de Nantes vendredi 3 février toutes ces photos de vie et de cinéma, il m’est revenu à l’esprit une formule à la fois lumineuse et mystérieuse d’André Breton qu’il choisit d’ailleurs pour épitaphe : « Je cherche l’or du temps ». Le musicien d’exception et cinéphile de passion qu’est Jean-Marc Luisada est lui aussi en quête de cet or du temps, ce temps passé et présent de spectateur d’un art qu’on dit être le septième et qu’on pourrait presque dire immortel, et ce temps décuplé et comme diffracté de la musique, qu’il a su saisir dans ses enregistrements simplement miraculeux et tout aussi immortels de Chopin ou Schubert. Ce temps du spectateur et de l’auditeur nous est restitué à notre tour : un « temps retrouvé » qui revit par mille et une madeleines que nous offre le pianiste - et le spectre est large : de l’adagietto de la 5e symphonie de Mahler (dans une merveille de transcription que l’on doit à Alexandre Tharaud) qui fait revivre Mort à Venise de Visconti également évoqué avec Ludwig et les élans hallucinatoires de Wagner, à la Mazurka en la mineur op. 17 N° 4 de Chopin qui appelle la trace de Cris et chuchotements de Bergman, en passant par la Rhapsody in Blue de Gershwin qui ressuscite Manhattan de Woody Allen… et les exemples choisis sont encore nombreux et parfois surprenants, au gré d’un humour irrésistible de pince-sans-rire.

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 Ce récital est une offrande aux grands disparus de Jean-Marc Luisada, ces présences aussi vives que l’absence, ces êtres qui d’outre-tombe, veillent sur ses jours. Par eux et en leur souvenir, s’est effectué le cheminement serein d’un musicien, par eux et en leur trace se sont déposées les lentes sédimentations d’un passionné de cinéma qui sait transmettre sa passion comme nul autre.

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En 2022, tout comme le public de la Folle Journée de Nantes alors dédiée à Schubert, j’avais été littéralement ébloui de ce que Jean-Marc Luisada avait su atteindre d’accomplissement existentiel dans la dernière sonate du compositeur (un miracle absolu, un prodige décisif gravé au disque chez Dolce Volta et récompensé par les prix, dont un Diapason d’or de l’année 2022).

F. Schubert - Piano Sonata D960 / Jean-Marc Luisada © La Dolce Volta
F. Schubert - Piano Sonata D840 / Jean-Marc Luisada © La Dolce Volta

Cette année, par ce récital bientôt repris à Paris et qui sera également pérennisé par un enregistrement, il aura su non seulement conquérir encore une fois les âmes, mais il aura de surcroît cheminé avec son public, dans la fraternité et les hautes cimes d’un cœur intelligent.  Moteur !

Au cinéma ce soir, récital de Jean-Marc Luisada, Paris Salle Gaveau mercredi 19 avril 2023.

Au cinéma ce soir, album à paraître chez Dolce Volta le 31 mars 2023 (enregistrement live du récital, Opéra de Liège, juin 2022).

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