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Directeur du CIEEG (Centre international d'études Édouard Glissant) au sein de l'Institut du Tout-Monde, des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ». VOIR SITE PERSONNEL (fonctions-références-actualités) : www.loiccery.com

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Billet de blog 6 juillet 2024

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Oui, la nouvelle adaptation de Monte-Cristo est un chef-d'œuvre

« Le Comte de Monte-Cristo » d'Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte est un chef-d'œuvre, il faut voir les choses en face.

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Illustration 1

J'ai eu la chance de voir quasiment toutes les adaptations cinématographiques du Comte de Monte-Cristo, le roman d'Alexandre Dumas / Auguste Maquet (je rappelle à ceux qui ne le sauraient pas, que ce roman n'a jamais été écrit par Dumas seul, mais bien par lui ET son « ghost writer » sans qui d'ailleurs il n'aurait pas écrit grand chose, à commencer par Les Trois Mousquetaires). Jusqu'à présent, je tenais l'adaptation réalisée pour la télévision dans les années soixante-dix par Denys de La Patellière avec Jacques Weber (mini-série en 6 épisodes) pour le sommet de cet exercice compliqué entre intériorisation du personnage et ce qui fut déjà l'un des premiers grands « feuilletons littéraires » du XIXe siècle. Lors de la promotion de l'actuel film, j'avais bien entendu son co-réalisateur, Alexandre de La Patellière, raconter qu'alors enfant, c'est sur les plateaux du tournage de cette mini-série par son père, qu'il a eu sa vocation de cinéaste. Le récit, assez incroyable en lui-même quand on voit ce fils aujourd'hui réaliser une nouvelle adaptation du roman, met en attente de ce que je tiens personnellement pour un chef-d'œuvre et en tout cas la meilleure adaptation qui puisse se concevoir du roman.

BANDE-ANNONCE : 

Le Comte de Monte-Cristo - Bande-annonce Officielle 4K © Pathe

Car tout y est, à la fois le grand spectacle facilité par un énorme budget, des décors réels inouïs, une beauté plastique à couper le souffle, et surtout un respect épatant des multiples péripéties de ce roman-fleuve. On le comprend dès le premier tiers de ce film de trois heures : ce sont là les moyens qu'il fallait déployer pour rendre justice à cette histoire à rebondissements, moyens qui sont déployés à ce niveau pour la première fois.

Illustration 3

Mais cette ampleur de la réalisation et de la production n'est rien, en comparaison du festival de virtuosité d'un casting où bien sûr, domine le talent qu'on savait déjà considérable de Pierre Niney, acteur surdoué dans tous les recoins possibles. La fameuse « noirceur » du personnage n'a sans doute jamais été rendue à ce point par un Monte-Cristo, mis à part, j'y reviens, Jacques Weber en 1979. Ici, je dirais de surcroît, c'est l'intime nervosité de l'acteur qui réussit à trouver les ressources d'une transformation à la fois physique et mentale, du jeune Edmond Dantès au Monte-Cristo entièrement rongé par son obsession de vengeance. On ressent physiquement une intériorité hantée par la passion du ressentiment et le désir effréné de la justice immanente : « Je suis le bras armé de la sourde et aveugle fatalité », ce credo du Comte, prend dans sa bouche des accents absolument terrifiants et proprement shakespearien qui rapprochent le personnage, de Hamlet.

Illustration 4
Laurent Lafitte campe un Gérard de Villefort effrayant de cynisme et de cruauté. Assurément l'un des plus grands rôles de l'acteur.

C'est précisément en passant par le théâtre qu'on se rappelle très vite que Pierre Niney fut jusqu'à 2015 pensionnaire de le Comédie-Française. Car la subtilité qui se joue là provient du théâtre, assurément, celui qui sait confronter les talents aux grands textes. Lui aussi encore récemment pensionnaire de la grande maison, l'autre phénomène invraisemblable de virtuosité (je ne trouve que ce mot pour qualifier de telles prouesses d'acteur) dans ce film : Laurent Lafitte. Désolé, mais là, si encore on peut comparer Pierre Niney à Jacques Weber, là, franchement, JAMAIS le procureur de Villefort n'a été campé avec une telle justesse. Laurent Lafitte incarne l'ordure absolue, et confère au personnage (si détestable qu'il peut en devenir caricatural s'il est interprété superficiellement), une telle épaisseur dans l'abjection, qu'il en devient un archétype du mal. Il en devient réellement effrayant. Pour ceux qui connaissent le roman et ses scènes les plus célèbres, la scène du tribunal est ici portée par un acteur qui passe de la morgue à l'inquiétude quand il en vient à être démasqué, passage proprement incroyable. Une transformation qu'on ressent physiquement là encore : Lafitte se met à respirer autrement, de manière saccadée, et surtout sa voix se transforme dans l'angoisse d'être démasqué. J'ai rarement vu ça au cinéma. Morceau de bravoure, mais pas seulement : ici la direction d'acteurs et si rigoureuse que ce type de prouesse est mis au service du texte et de l'action. Absolument étourdissant.

Je n'oublie pas les deux autres ordures de l'histoire, Fernand de Morcerf (ici Bastien Bouillon) et l'épouvantable Danglars (Patrick Mille), à l'ignominie rehaussée pour l'occasion, d'une identité de négrier. Chacun à sa façon, rend justice aux différentes facettes de la jalousie, de la bassesse et du complot que Dumas/Maquet ont voulu camper à travers ce que Balzac nommait quant à lui des « individualité typisées ». Face à ces modèles de l'horreur humaine, il faut savoir incarner la chair du vice et des passions, et c'est ce que réussissent à merveille ces acteurs : la jalousie calculatrice et la trahison pour Bastien Bouillon, l'opportunisme et la passion de l'argent pour Patrick Mille.

Illustration 5

Les autres acteurs ne sont pas en reste et confirment que l'ensemble du casting est renversant, à commencer par Ainaïs Demoustier en Mercédès de Morcerf, qui vacille « pour de vrai » quand elle est confrontée pour la première fois à Monte-Cristo, et qui vacillera encore quand elle le suppliera de laisser la vie sauve à son fils. Son fils, Vassili Schneider, en Albert de Morcerf, éblouissant et sensible, dans une grappe de jeunes premiers tout droit sortis du XIXe siècle : ils sont à manger, avec Anamaria Vartolomei en Haydée, Julien de Saint Jean en Andréa Cavalcanti ou Julie de Bona en Victoria Danglars. Ils sont beaux, incroyablement beaux, mais ils sont surtout talentueux et bien dirigés : aucune niaiserie dans les sentiments amoureux qui sinon auraient très vite pu tourner au berlingo collant. Non, ici, ils sont justes, terriblement justes dans cette ingénuité des jeunes personnages romantiques qu'il ne faut surtout pas rater en toute adaptation des romans de cette époque.

Illustration 6
Vassili Schnider et Anamaria Vartolomei

Tout est affaire de direction d'acteurs dans ce type d'adaptation, et le talent en revient aux deux réalisateurs, Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, pour film qui a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes 2024. Hors compétition, s'il l'avait été justement en compétition, il est vraisemblable qu'il aurait tout raflé. Ce film est une merveille. Et quand, face à une œuvre littéraire si connue, on en vient à réinventer le motif même d'une adaptation pour lui conférer une telle ampleur ; quand tout est au rendez-vous, les décors, la photo, les costumes, les acteurs au plus haut niveau... là, on ne peut pas nommer la chose autrement que chef-d'œuvre. Cela dépasse le film de genre (catégorie aventure ou thriller avant l'heure) : on est là face à du grand, du très grand cinéma.

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