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Je me méfie par principe des « concepts-albums », selon ce terme que le marketing nous a appris à éprouver depuis bien des années. Et si je m'en méfie, c'est justement parce que ce genre de chose est le plus souvent l'émanation des services marketing des maisons de disques, toujours en quête de bénéfices juteux, dans un secteur en crise depuis longtemps. Pourtant, il est bien quelques rares exceptions où ce n'est pas tant le projet du label, que celui des musiciens eux-mêmes qui est à l'origine de tels albums. Dans ce cas, les préventions peuvent légitimement s'abolir et on a tout intérêt à suivre les intentions des musiciens, surtout quand à l'exemple de leur glorieux aînés, de jeunes musiciens de la nouvelle génération du baroque, empruntent une démarche de recherche musicologique remarquable en tout point.
L'exemple de « The Mad Lover », paru chez Harmonia Mundi en 2020, est de ceux-là. Le violoniste Théotime Langlois de Swarte et le luthiste Thomas Dunford nous proposent une plongée dans un répertoire très rarement exploré. Un répertoire à la croisée des XVIIe et XVIIIe siècles anglais, là où Purcell ne fut pas le seul, et où ne serait-ce que son cousin Daniel côtoient des maîtres virtuoses très peu connus, John Eccles, Nicola Mattheis père et fils. Une plongée qui vous ramènera, et alors commence l'étonnement, à une incroyable continuité de ces thématiques du Mad Lover, avec bien des lieux de la musique populaire de nos jours. Pas si mystérieux que ça : il y a là, dans ce baroque anglais empreint de style italien et si éloigné du style de cours, une alliance avec la musique populaire, alliance inattendue pour qui n'aurait pas été prévenu, et alliance qui par de lointains soubassements pourtant manifestes, travaille en profondeur la musique populaire d'aujourd'hui même.
Les mots manquent forcément devant un tel accomplissement. Un talent pur entièrement mis au service de la transmission juste d'une musique si sensible qu'il est capital de la faire connaître : un pan du baroque qui, comme l'écrit Théotime Langlois de Swarte, échappe de très loin au style de cour français et qui est dévolu à l'expression brute des sentiments.
Alors oui, le marketing est pourtant bien là, et il faut bien s'y résoudre, quand il s'agit simplement de faire la promotion d'une belle réussite comme celle-là - voici donc le « teaser » en forme de clip (puisqu'il en faut un) de ce magnifique album :
Sans oublier les apparitions télé, par exemple sur France 5, où les deux expliquent remarquablement leur projet :
et la présentation de l'album réalisée par Harmonia Mundi :
À retenir surtout l'émission faite avec les deux sur France Musique en janvier 2021.
Ces deux musiciens de génie incarnent bien l'excellence de la jeune génération du baroque français, un baroque porté par des jeunes qui ont à peine la trentaine et parfois moins. Théotime Langlois de Swarte est aujourd'hui ce qui se fait de mieux dans la violon baroque, avec un autre jeune Français, Augustin Lusson. Ces deux-là sont la crème de la crème du violon baroque d'aujourd'hui, et ils sont Français tous les deux. J'en profite pour recommander un autre cd lumineux qui devra être considéré de pair avec cette sorte d'anthologie proposée par T. Langlois de Swarte et T. Dunford : celui qu'Augustin Lusson justement a enregistré en 2018 avec son excellent Beggar's Ensemble autour des œuvres de Richard Jones (même période, même contexte), enregistrement couronné d'un Diapason d'or, tout comme les cd du Consort, la formation de Théotime Langlois de Swarte, elle aussi abonnée si justement aux Diapasons d'or. Avec ces jeunes violonistes, tout est mis au service de la transmission et de la clarté, très loin de toute esbroufe dans laquelle peuvent se perdre certains de leurs collègues. Attention : ici, la perfection, c'est savoir justement s'emparer avec intelligence et justesse du discours, d'un contexte si éloigné, pour en faire une évidence. Métier et intelligence.
Et allez voir cette merveille absolue qu'il a enregistrée en 2021 avec William Christie sous le nom de « Générations » toujours chez harmonia mundi, des Sonates pour violon et clavecin de Jean-Baptiste Senaillé et Jean-Marie Leclair (l'un des Chocs Classica de l'année 2021 :
L'extase continue, face à la subtilité du jeu de Théotime Langlois de Swarte. On est comblé à tous les étages et sur tous les tons.
Thomas Dunford est quant à lui ce qui se fait de mieux dans le luth (voir sa discographie déjà imposante, notamment cet excellent album Jupiter autour de Vivaldi) : précision du touché, phrasé assuré et délicat, bref, tout pour l'émerveillement.
C'est l'émerveillement justement, qui vous attend face à ce cd qui est un voyage en pleine intelligence : pas un prétexte thématique, mais réellement de quoi éclairer cette part du baroque anglais et vous rappeler que ce baroque ne se retreint pas à Henry Purcell (d'ailleurs également présent ici, avec un Prélude en sol mineur) ou à Haendel. Désormais, Eccles, les deux Mattheis et Daniel Purcell, le cousin de l'autre, n'auront plus de secret pour vous, au prix d'un émerveillement intime pour lequel on doit remercier ces deux musiciens majeurs de notre temps, Théotime Langlois de Swarte et Thomas Dunford. Un album salué par la critique comme tous les enregistrements de ces musiciens enchanteurs.
Sur Deezer : https://www.deezer.com/search/The%20Mad%20Lover