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On connaît la déclaration (déjà tant commentée) d'Emmanuel Macron pour justifier le recours de son gouvernement à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution jeudi 16 mars, au terme d'un lamentable vaudeville politique avec sa succession de « réunions » de la dernière minute, de portes qui claquent et le retour en catastrophe de la Première Ministre, à quelques minutes d'un vote finalement ajourné : « en l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands ». Je n'ai pas lu tous les commentaires, et sans doute l'aura-t-on déjà dit : cette seule déclaration, qui vaut justification d'un recours honni encore quelques heures auparavant, place tout un chacun à peu près au milieu de l'inconscient présidentiel, à l'unisson de cette déclaration que fit Margaret Thatcher dans l'un de ses discours : « There is no alternative », formule rendue célèbre depuis lors par l'acronyme TINA. Autrement dit, et on le sait bien, et on ne le sait que trop pour y être soumis matin midi et soir par les médias : les politiques libérales et néolibérales sont inévitables. On parlait il y a quelques années de cela, du « cercle de la raison » censé synthétiser tout ce que le réalisme politique porte du réalisme économique, là où se rejoignent les esprits acclimatés. Être raisonnable, dans cette phraséologie, c'est savoir se tenir dans la juste énonciation de ce qui provient de la rigueur, de la responsabilité économique, contre l'irréalisme de tout ce qui vient contester le dogme. Une certaine ligne de réforme des retraites fait partie de ce dogme, je ne vais pas enfoncer une porte ouverte.
Les chaînes d'information en continu regorgent actuellement de ces députés Renaissance ou de ces économistes patentés et autres spécialistes autoproclamés qui se font les relais disciplinés depuis jeudi, de la déclaration d'Emmanuel Macron. Tant pis si la majorité d'un peuple ne veut pas de cette réforme, tant pis si les syndicats dans leur ensemble et unis comme jamais le rejette, tant pis si dans leur sillage huit « journées de mobilisation » ont réunis 3,5 millions de personnes dans les rues : face au réalisme économique donné pour tel, la légitimité populaire s'annule d'elle-même. Celui qui porte en lui toute légitimité, à l'entendre, et qui est bien plus conscient que tous des « risques économiques » encourus si cette réforme ne vient pas à s'imposer par tous les moyens, celui-là donc, nous aura bel et bien rappelé que non, décidément non, « Il n'y a pas d'alternative ».
On a décrit à juste titre la dérive autoritariste d'un pouvoir minoritaire à l'Assemblée, on a assisté au coup de force d'un gouvernement affolé. C'est pourtant en méditant encore et encore cette déclaration faite en marge du conseil des ministres du 16 mars décidant du recours au 49-3 qu'on sera à même d'entendre la conviction profonde d'un homme de tout savoir mieux que quiconque. La conviction néolibérale, c'est cela même qui se manifeste jusque dans l'inavoué d'un projet politique profondément antidémocratique, parce que l'autoritarisme commence précisément là où on est convaincu de détenir la science du réel. Celui-là, ou celle-là vous dira à tout coup que si vous déviez ne serait-ce que d'un iota de ce que dit la norme, vous êtes décidément un dangereux hérétique à cette nouvelle religion du réalisme économique. Cette conviction est portée jusqu'au FMI.
Le vieux slogan porté par mai 68 nous rappelle ce en quoi consistait l'opposition frontale (et pas seulement « poétique ») au dogme en question : « Soyez réalistes, demandez l'impossible ». C'est bien d'une inversion qu'il s'agit, et il faudrait aussi que les foules spontanées qui se sont réunies depuis jeudi s'en souviennent : il s'agit bien d'inverser la logique de ce qui est présenté à tous comme inévitable (parce que l'augmentation de l'âge légal du départ en retraite est une obligation, parce que le déficit à venir est inévitable, parce que, parce que...). Et inverser, c'est commencer là où s'achève le coup de force d'un pouvoir autocratique qui s'st manifesté jeudi 16 mars : rappeler que la res publica induit que la seule légitimité provient du peuple. À la République même, il y a pourtant une alternative : le régime monarchique. Alors même déguisé sous l'abus d'un article lui-même contestable, l'écho que donnent le Président de la République et son gouvernement au dogme néolibéral vise à soumettre un peuple entier au pouvoir d'un seul. Il se pourrait alors que l'inversion que doit viser le peuple français consiste avant tout à rétablir pour de bon le sens profond de l'idéal républicain