Une chose est certaine et incontestable : il va me falloir beaucoup de sang froid et des trésors d'efforts pour ne pas vociférer ici, ce qui n'est pas mon but. Car comme certainement beaucoup de gens, de diabétiques et de médecins qui, je l'espère, ne manqueront pas de réagir dans les jours qui viennent, je suis terriblement furieux, révolté et effaré après avoir visionné le documentaire qu'Arte a diffusé le 18 juillet sur le diabète. Mon seul souci : alerter sur le danger infini qu'il y a à diffuser de telles conneries par le biais d'une chaîne publique. Je ne saurais le qualifier. Car la chose est gravissime : on peut parier qu'après la diffusion de cette chose, bien des diabétiques seront tentés d'arrêter leur traitement. Ce qui est fatal.
Irresponsabilité à tous les étages, de la part des producteurs et réalisateurs de ce reportage, qui ne connaissent STRICTEMENT rien au fonctionnement même du diabète, si l'on se fie au nombre affolant d'approximations et d'erreurs commis ne serait-ce que dans l'exposé liminaire de la définition de la maladie. On confond tout, hypoglycémie et hyperglycémie, fonctionnement du pancréas dans le type 2, nature du type 1. Mais ça continue sans fin, et on comprend au bout de quelques secondes que cette chose est censée dénoncer les prétendus « profits de l'industrie pharmaceutique » dans le commerce de l'insuline. Le pire, c'est que comme on sait, ce type d'argument aujourd'hui qui fait mouche, systématiquement auprès du grand public, toujours prompt à penser que la vérité leur est cachée, et que des profiteurs se gavent dans leur dos. Alors bien sûr, on va motiver une ribambelle de soi-disant spécialistes, dont pas un seul vrai diabétologue français, à part Benard Charbonnel, ici présenté pour ses prétendus liens avec « Big Pharma ». Et voilà, on en est revenu aux temps les plus terrifiants de la pire propagande complotiste « antivax » qui s'est déroulée au cours du Covid, et qui avait conduit à la production d'un film heureusement contré (Hold-up), rempli de contre-vérités avec les pseudo-scientifiques vrais militants que l'on connaît.
Ici, tout est entendu d'avance, et chaque individu mobilisé est là pour conforter le discours décidé par le réalisateur, discours effrayant que l'on pourrait résumer par ces trois affirmations :
1) L'industrie pharmaceutique complote dans le dos des malades pour se faire des marges inouïes avec l'insuline
2) L'industrie pharmaceutique complote pour rendre les malades dépendants à de nouveaux traitements qui n'ont pas été correctement testés ou alors de manière biaisée
3) L'industrie pharmaceutique est responsable du maintien des diabétiques dans leur état, alors que ces derniers peuvent se passer de traitement.
Je dois avouer que même en sachant le ressort énorme qui a fonctionné à plein régime au cours du Covid, sur l'attaque systématique et ultra-complotiste de « Big Pharma », même en sachant les ravages délétères des arguments complotistes aujourd'hui, même en ne minorant pas la diffusion des arguments contre-scientifiques dans l'opinion aujourd'hui... je ne me serais jamais douté qu'un jour, on puisse voir sur une chaîne publique franco-allemande, Arte, un tel tissu de mensonges, de raccourcis, d'inepties dangereuses, bref, un tel concentré à la fois de bêtise et pour le redire, d'obscurantisme.
Alors ces gens croient sans doute qu'on les a attendus pour comprendre que le mode de vie actuel aggrave sur la planète une véritable épidémie de diabète de type 2. Et apparemment, ils ont découvert une chose énorme pour eux, c'est qu'avec de l'exercice physique à forte dose et un régime ultra-draconien, on pouvait, même pour les insulino-requérants, en arriver à se passer d'insuline. Il faut le savoir : ici, on a affaire à chaque seconde, à des dilettantes, des gens qui ont découvert le magnifique monde de la science sur wikipédia, et qui se permettent aujourd'hui de juger la pharmacopée existante.
Car le ressort est bien là : la diabétologie (et la française est l'une des meilleures au monde) aura beau avoir fait des bonds de géants pour la prise en charge de la maladie, les progrès cliniques effectués ces dernières années auront beau être gigantesques, l'essentiel était de tenir ici coûte que coûte le procès de l'industrie pharmaceutique.
Des gens qui confondent l'insuline lente avec « un nouveau type d'insuline » dans leur ivresse de mettre en cause SANOFI sous prétexte que c'est le laboratoire qui a mis au point la Lantus. Alors même que l'insuline lente à une tout autre fonction que la rapide : il suffisait pour le comprendre de poser la question à un bon généraliste.
Des gens qui vont interroger je ne sais quel bougre censé représenter une compétence supposée (tout comme dans ce film sur le Covid, fait avec des médecins totalement à l'Ouest, eux aussi ivres d'idéologie), qui ose sortir que le but du traitement du diabète n'est pas de réduire le taux de glycémie.
Des gens qui considèrent même l'adoption par la communauté scientifique de la mesure de l'hémoglobine glyquée comme suspecte, là encore parce que c'est le laboratoire SANOFI qui a attiré l'attention sur les performances de cet outil de mesure, unanimement adopté depuis partout dans le monde.
Des gens en somme, obnubilés par un éventuel complot des grands laboratoires. Des gens qui n'ont que ce prédicat comme boussole. Paranoïa ? Pas du tout : idéologie. Quand il est mobilisé selon cette modalité pavlovienne, étroitement militante et finalement aveuglante, l'anticapitalisme, généralement évoqué par ceux qui en bénéficient en priorité, est bien aujourd'hui le recours final et la pierre philosophale de ceux qui ne pensent pas. Qui n'ont jamais pensé, parce qu'ils n'en ont pas les moyens, je veux parler des connaissances suffisantes qui leur permettraient de savoir de quoi ils parlent, historiquement, économiquement ou sur un tout autre terrain. Parler doctement d'un sujet qui échappe à son propre entendement : la définition même de la bêtise. En tout cas l'une de ses définitions, car la bêtise est l'autre nom de l'infini, pour paraphraser Flaubert.
Nier le progrès scientifique, celui qui ne cesse d'améliorer le traitement du diabète (les médicaments de dernière génération, de la classe des GLP-1 sont eux aussi vilipendés), est une faute grave, et une responsabilité énorme que prend aujourd'hui Arte devant les diabétiques.
Il est urgent que la communauté scientifique réagisse, tout comme l'Association française des diabétiques. Pour dire que personne n'est dupe d'un discours étroitement idéologique. Non, si vous êtes diabétiques, ce n'est pas à cause du capitalisme, non l'insuline que vous vous injectez n'est pas une manne financière de Big Pharma. Au siècle dernier, si deux chercheurs n'avaient pas mis au point les moyens de produire de l'insuline artificielle (donnant la voie à la production ultérieure d'insuline humaine à provenance génétique), les millions de diabétiques dans le monde n'auraient pas survécus. Si les fabricants de médicaments n'avaient pas investi des millions de dollars et d'euros dans la recherche comme cela continue de se faire, ces traitement ne seraient pas en constante amélioration. Attaquer l'industrie pharmaceutique pour la situation américaine est une supercherie : aux États-Unis, si des millions de diabétique doivent payer leur insuline de leur proche, c'est bien la faute du système de santé américain défaillant. Que les prix doivent être régulés par ailleurs est une évidence, mais quand donc ces gens cesseront-ils de transformer toute une industrie dont ils bénéficient quotidiennement en diable, en responsable de tous les maux.
Inconscience, ignorance historique, négation du progrès. On nage bien en plein obscurantisme, moyenâgeux. Tout se passe en effet comme si la médecine, ça n'existait pas, et comme si en somme le XVIIIe siècle des Lumières n'avait jamais existé. Nous sommes en totale régression, on le savait déjà avec l'épidémie de Covid et sa pelletée de charlatans-gourous médiatiques. Mais ici qui plus est, si vous êtes malades, sachez-le c'est la faute au capitalisme, à la mal bouffe. Ces abrutis ne sont pas au courant que le diabète est l'une des maladies les plus anciennes de l'humanité. Que le nom même de diabète remonte au grec ancien. Qu'on n'a pas attendu la « malbouffe » pour connaître le diabète de type 2, qui comporte bien d'autres causalités que celle de la seule alimentation : maladie endocrinologique, le dérèglement de fabrication d'insuline par le pancréas est souvent dû à des problématiques chimiques à l'origine d'une glycémie incontrôlée.
Ignorance, donc. Et terrible ignorance. Mais une ignorance irresponsable qui prend surtout une accablante responsabilité de la part de cette chaîne, de terminer son verbiage inepte par ce message aux malades : vous êtes plongés dans une sur-médication qui profite à l'industrie pharmaceutique. Regardez ce patient allemand, qui grâce à un régime draconien, ne prend plus d'insuline. On rêve. Où est-on ? Et dans quelle époque vit-on ? Et pourtant ces mêmes personnes ont parlé du nombre record d'amputations des membres inférieurs causés en priorité par le diabète chaque année. Ils ont parlé des ravages des complications ophtalmologiques, cardio-vasculaires, rénales... Il faut croire, il faut comprendre qu'une telle énumération n'est valable que quand on est réellement conscient que ces chiffres désignent des réalités vécues. Alors oui, dans ce cas, dire ces chiffres sans en prendre pleinement et réellement l'ampleur dans l'ensemble d'un pauvre argumentaire de foire, cela se nomme par deux termes : inconscience et irresponsabilité.
Aujourd'hui où le diabète se répand sur tous les continents et fait des ravages, ce type de discours étroitement anti-scientifique, complotiste envers l'industrie pharmaceutique, est bien la pire chose à laquelle on pouvait s'attendre. Que ceux qui en sont responsables assument les conséquences de leurs propos, qu'ils soient mis enfin devant leurs vraies responsabilités, ne serait-ce que par l'ARCOM. Et que la communauté scientifique se lève pour dénoncer l'escroquerie qui se déverse là, surtout quand elle est susceptible d'avoir des conséquences concrètes sur la vie des diabétiques, qui importe plus que toute idéologie de pacotille.