
Professeur émérite à l'Université Paris-Sorbonne, Michel Crouzet est décédé le 29 septembre dernier à l'âge respectable de 96 ans. Son nom reste inséparable de celui de Stendhal, dont il fut l'un des plus éminents spécialistes et l'inoubliable biographe. Dans son remarquable hommage paru sur le site de la Société des Études romantiques et dix-neuviémiste, Didier Philippot souligne, outre la gigantesque érudition du personnage : « il exerçait en effet une manière de magistère intellectuel spontané, avec une puissance exceptionnelle qu’il devait à son immense culture, impressionnante, et à la combinaison d’énergie et de sublime qui faisait son génie. »
Pour avoir été un étudiant passionné de Michel Crouzet, je veux témoigner à mon tour, de cet exceptionnel aura d'enseignant qui faisait du moindre de ses cours une véritable pièce de théâtre, avec lever de rideau, action et dénouement. Jamais son érudition, bien réelle, ne pouvait être ressentie en surplomb, mais comme une énergie fondamentale qui permettait de tisser les liens souterrains qui liaient la littérature du XIXe siècle des Romantiques, à toutes les autres expressions artistiques et bien sûr aux soubassements de l'histoire. C'est avec cette énergie que Crouzet réussissait à éveiller non pas la seule attention, mais ce que je qualifierais de gloutonnerie de l'émerveillement devant l'immense aventure du Romantisme littéraire au sens large.

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Assister à ces hautes leçons de littérature si ouvertes sur la pluridisciplinarité, se familiariser en leur conseil, à Lucien Leuwen, à La Chartreuse de Parme ou au massif nommé Le Rouge et le Noir, c'était mieux que cheminer en apprentissage de l'esprit critique, être à même d'explorer Stendhal, Hugo, Mérimée ou Balzac en voyageur au long cours, dépositaire d'un souffle. Certes, la spécialisation des « études sur auteur » ne s'est pas éteinte quand toute une génération s'est retirée de l'université après de si brillantes carrières et des œuvres critiques si foisonnantes (Brunel, Autrand, Tadié, Zink, et tant d'autres), mais ce qui s'est certainement amoindri après leur départ, c'est un sens de l'intégralité de ce qu'on nomme culture, qui provient certes d'une certaine somme de connaissances donnée mais aussi d'un sens particulier des choses de l'esprit. Une manière de considérer les œuvres, d'entrer en leur compagnonnage, de se mouvoir en leurs présences. Un regard sur la création qui accroît la lucidité et nourrit la ferveur. Une écoute aiguë des harmonies intérieures de la littérature.
Pour tout cela et en tout cela, Michel Crouzet dont la voix de stentor et la gestuelle passionnée habiteront encore longtemps les amphis de la Sorbonne, aura marqué à la fois les fins connaisseurs du Romantisme et des générations d'étudiants.
C'est l'heure de le réentendre sur France Culture en 2014 au micro d'Adèle Van Reeth à propos de son cher Stendhal.