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Depuis le milieu des années quatre-vingt dix et sans crier gare, il s'est imposé au fil du temps et d'enregistrements sans cesse plus denses comme l'un des maîtres actuels du violon baroque, le faisant sortir du périmètre des seuls connaisseurs. Naguère élève de Nathan Milstein, Giuliano Carmignola incarne l'élégance et la virtuosité de la haute tradition italienne du violon. Plus que tout, il a réussi le pari par la seule grêce de ses enregistrements, à démontrer que l'énonciation baroque au violon pouvait aussi rimer avec ampleur sonore, lui qui a apporté à la technique même de cette énonciation un surcroît de puissance dans le maniement de l'archet notamment - cet « archet Bach » comme on dit couramment, à la tenue et au maniement sensiblement différent que dans le champ du violon dit moderne. Mais l'apport de Carmignola n'est pas seulement celui d'un technicien subtil, il est aussi celui d'un transmetteur hors pair des répertoires qu'il approche, Bach et Vivaldi en tête.
GIULIANO CARMIGNOLA DANS LES CONCERTOS POUR VIOLON DE BACH : UN MIRACLE D'INTELLIGENCE

Seuls les très grands musiciens ont cette capacité rare de pouvoir surprendre par un souffle tout à fait nouveau dans une interprétation, tout en respectant pleinement le caractère d'une partition. C'est éminemment le cas ici, de la part de celui que je ne suis pas loin de considérer comme l'un des violonistes majeurs de sa génération, et en tout cas le maître du violon baroque. Car si le livret de ce splendide album des concertos de Bach nous propose l'idée d'un « Bach italien », il ne s'agit ni d'une méprise ni d'un anachronisme, mais d'une plongée parfaitement maîtrisée dans l'inspiration italienne des concerti de Bach et d'une bonne part de son art du violon. Une plongée qui restitue à cette musique son souffle, son rythme, son énergie et sa clarté, qualités longtemps étouffées sous le style sévère des interprétations constipées. Ici, rien de tel, et dans le même esprit que celui du Café Zimmermann (réussite absolue dans les six volumes de leurs versions des « Concerts pour plusieurs instruments » de Bach), on ne pourra déplorer aucune surenchère dans laquelle bien des baroqueux se perdent et se discréditent (cf. Fabio Biondi par excellence).
La rigueur de Carmignola, celle-là même qu'on peut deviner derrière un sens aigu du brillant dans ses différents et merveilleux albums des concerti de Vivaldi entre autres, est mise au service de la respiration juste de la phrase de Bach, d'un contrepoint expressif et non pas refermé sur lui-même comme c'est trop souvent le cas. Giuliano Carmignola est, pleinement, un maître de la mesure entre respect du texte et expressivité, cet alliage inaccessible à tant de musiciens baroques. On pourrait entrer ici dans les détails des concerti connu, du BWV 1042 pour deux violons (avec l'excellente Mayumi Hirasaki) ou des très savantes reconstitutions des versions initiales pour violon des BWV 1056 ET 1052, mais c'est toujours la même justesse de ton, la même merveille d'expression, la même énergie qui sont si rares dans l'approche renouvelée et juste de Bach. Café Zimmermann et Giuliano Carmignola, même combat dans ces champs. Et avec le Concerto Köln ici, la réussite est totale (parfois, orchestre légèrement en retrait, mais c'est infime).
Hommage soit rendu à ce violoniste d'exception que vous devez impérativement écouter dans Bach pour comprendre l'étendue de son talent. Et je ne parle même pas de sa version magistrale des Sonates et Partitas enregistrée pour DG de 2018, qui se hisse au panthéon des meilleures versions de ce chef d'œuvre de l'humanité (version sur laquelle je reviendrai dans un prochain billet). Alors oui, en écoutant cet album-là et ces versions des concerti pour violon de Bach, vous serez à même de mesurer l'importance considérable de Giuliano Carmignola dans l'histoire du violon de ces dernières décennies : une place cruciale, que l'on peut réaliser uniquement en découvrant l'intégralité de sa discographie. Je note pour finir la prise de son exceptionnelle, proverbiale aux enregistrements du label Archiv Produktion de DG : une merveille de clarté qui rehausse l'émotion considérable des mouvements lents (voir le Largo du concerto pour 2 violons BWV 1043), avec cette impression de chuchotement de ces violons splendides. Précipitez-vous, c'est un conseil.
Giuliano Carmignola accompagné de son vieux complice le violoncelliste Mario Brunello dans le Concerto et ré mineur BWV 1060 de Bach :
LES SONATES ET PARTITAS POUR VIOLON SEUL DE BACH PAR GIULIANO CARMIGNOLA : UN SOMMET, POUR L'EVEREST DU VIOLON
À propos de l'importance considérable de ce que représente aujourd'hui Giuliano Carmignola dans le monde du violon, je ne peux pas m'arrêter à la seule mention de sa version des Concertos de Bach. Car justement dans Bach, ce violoniste a fait quelque chose d'encore plus invraisemblable : une version que je crois sincèrement majeure des Sonates et Partitas, et que je voudrais décrire ici si cela est possible, pour ne pas m'en tenir à un simple
panégyrique de ce violoniste d'exception, qui représente certainement ce qui a pu arriver de plus décisif ces dernières années dans le champ du violon baroque.
Et avant tout, pour savoir de quoi je parle, je m'appuierai sur un répertoire sélectif de cette merveille, qui a été mis en ligne sur YouTube, et qui vous donnera certainement envie d'acquérir cet album qui, en plus, est un très bel objet comme sait encore en faire DG :
Graver les Sonates et Partitas de Bach, c'est pour un violoniste prendre le risque considérable de s'inscrire dans une longue lignée, et c'est aussi avoir l'honneur de s'y inscrire d'ailleurs. Le risque est bien là pourtant et c'est celui de la comparaison inévitable, fatale. Comparaison qui change d'ailleurs pour chacun, en fonction de ses propres références, voire son propre « classement ». En ce qui me concerne, au panthéon des plus grandes versions, onze m'ont marqué définitivement, quel que soit le style adopté et des versions les plus réputées aux plus récentes : Jasha Heifetz, Nathan Milstein, Shlomo Mintz, Itzhak Perlman, Hilary Hahn, Julia Fischer, Hélène Schmitt, Leyla Schayegh, et Christian Tetzlaff dans ses trois versions successives.
Références éclectiques donc, de l'approche très personnelle de Milstein à l'autorité suprême de Heifetz, aux larges phrases et à l'éclat de Perlman (que détesteront les baroqueux qui n'y verront que du romantisme, mais tant pis pour eux), à la brillance de Shlomo Mintz (pour moi, une référence très marquante) et d'Hilary Hahn (parfois exagérée dans ses attaques mais d'un souffle irrésistible). Et de la suavité de Julia Fischer à l'extrême précision de l'accentuation d'Hélène Schmitt et tout récemment Leyla Schayegh. Quant à Christian Tetzlaff, trois enregistrements à des moments clés de sa carrière, comme le laboratoire de recherche de la juste énonciation (par dessus tout, sa dernière version de 2017).
Dans la discographie pléthorique, d'autres versions me semblent tout à fait convenables mais n'apportant pas cette touche personnelle qui fait émerger une lecture qui retient l'attention. Parmi ces versions valables mais pas vraiment renversantes, je citerais à titre d'exemple Leonidas Kavakos, dont on a beaucoup parlé. D'autres me laisse froid, simplement, comme Isabelle Faust, aigre et sans pulsation. D'autres me paraissent relever de visions trop personnelles dans le pire sens du terme, avec des libertés inutiles prises parce que le but atteint est plus que discutable : Christian Zimmermann en tête.
La version de Giuliano Carmignola confirmera à ceux qui pouvaient encore en douter que ce violoniste est sans doute aujourd'hui le maître du violon baroque, celui à avoir trouvé le plus juste équilibre entre l'approche historique et le souffle bien distribué. Alors oui, découvrir cette merveille permet de comprendre aussi ce qui fait de Carmignola ce maître incontesté et l'un des violonistes majeurs de notre temps.
Rigueur et souffle (justement) de l'énonciation (sur Guarnerius), intériorisation spiritualisée (sans doute inattendue pour ceux qui pourraient penser que Carmignola n'est que ce virtuose étourdissant dans Vivaldi), et cette sorte d'évidence surtout, dans le phrasé de l'écriture fuguée, qui prend tout son sens dans ce type d'approche. Ici, dans ce phrasé qui fait tout entendre, rien de mécanique (comme c'est parfois le cas dans les versions contestables) dans la lecture de la fugue, rien de statique mais au contraire une découverte qui chemine, un dévoilement progressif du paysage. C'est cela même qui fait je crois la différence entre les grands interprètes des Sonates et Partitas et les autres : ce sens du cheminement, de la structure parfaite certes mais qui se construit sous vos yeux, et que l'interprète est chargé de véhiculer. Et ici, Giuliano Carmignola tire usage de sa parfaite maîtrise de l'énonciation baroque, lui qui en connaît la respiration caractéristique, pour nous faire lire Bach avec cette sensation étonnante de ceux qui le découvriraient pour la première fois.
Les accents dans ce cas sont à leur juste place, le léger vibrato s'allie à cet archet qui sait donner les impulsions nécessaires à cette phrase qui se déploie en un art où Bach est parvenu à faire du violon mélodique un univers harmonique. C'est sans nul doute son art de l'archet qui fait de Giuliano Carmignola ce maître du violon baroque qu'il est. Savoir impulser la phrase et entrer dans la corde là où il le faut, et demeurer aérien là où cela s'impose à l'intelligence et la sensibilité de ces chefs-d'œuvre : c'est ce que peu de violonistes baroques parviennent à faire avec une telle maîtrise. Voir l'allegro de la Sonate N°2 :
ou encore l'adagio et la fugue de la Sonate N°3 :
Ce violoniste est un pilote d'ULM, il vole très haut et vous volez avec lui au-dessus d'un paysage de sérénité et de hauteur spirituelle. Et c'est là, très exactement là que vous pouvez être porté à rejeter violemment a posteriori toutes les versions « pesantes » qu'il vous a été donné d'entendre par le passé. Car c'est l'esprit même de cette musique qui n'est qu'esprit, qui en vient à être transmis par ce biais d'un archet qui ne connaît aucun obstacle : c'est toujours le cheminement qui prime, mais sans jamais tomber dans l'excès ou la superficialité du survol (le vol n'est pas le survol). Chez les très grands violonistes, les difficultés techniques disparaissent, s'évaporent de sorte que vous ne vous en rendez plus compte, en pouvant dès lors vous concentrer uniquement sur la musique sans passer en cuisine.
Au fond, Giuliano Carmignola parvient dans sa version des Sonates et Partitas et dans ses versions de Bach en général (voir ses splendides enregistrements des concertos pour violon et pour deux violons) à ce prodige particulier qu'il avait déjà réussi dans ses interprétations de Vivaldi : donner encore un angle neuf et comme jaillissant à cette musique mille fois interprétée. Un angle qui ne se résume pas à la formule « interprétation baroque », car ici la maîtrise et l'homogénéité du style deviennent une évidence et non une postulation ou une posture. Giuliano Carmignola nous mène dans cette évidence de la construction d'une cathédrale parcourue avec plus d'intimité que de distance, plus de proximité que de grandiloquence. Il signe là l'une des références majeures de ce patrimoine de l'humanité, restitué à la fois avec profondeur, maîtrise complète et ce qu'on pourrait nommer « puissance de l'intimité ». L'immensité métaphysique et spirituelle des Sonates et Partitas de Bach aura rarement été servie avec une telle profondeur alliée à un tel dépouillement, une telle justesse de phrasé : voici peut-être LA version qui vous donne à la fin de l'écoute, le sentiment que rien décidément n'y est ni trop ni trop peu, et que le musicien habite littéralement l'âme de cette musique.
La preuve, s'il en fallait une, à ce que je dis là : écoutez ne serait-ce que la Partita N°2, là où les violonistes généralement se croient obligés d'en faire des tonnes pour parler vulgairement :
Eh bien ici, rien de tous ces excès : l'émotion pure vous attend dans les moindres recoins d'une musique qui se développe comme un ruban à la fois mystérieux et simple, comme la nature elle-même (les belles photos du livret de ce bel objet en digipack, de Carmignola en forêt sont peut-être bien senties, compte tenu de cette force simple). Alors oui, vraiment, vous avez la sensation de n'avoir jamais entendu le violon de Bach si « directement », dans sa profondeur intrinsèque. L'« interprète » disparaît, il ne fait que servir la partition avec humilité et recueillement. C'est pourquoi pour ma part je comparerais cette version de Carmignola à celle d'Hélène Schmitt (enregistrée chez Alpha), par sa pureté et sa force. Les deux d'ailleurs partagent ce petit inconvénient facilement oubliable d'une respiration toujours présente au micro (mais c'est aussi le jeu baroque qui requiert ça, il faut s'y faire). Alors pour de bon, quand arrive le sommet, quand vient la Chaconne (car elle vient, vous saviez qu'elle serait là, et elle se vous arrive comme une révélation suprême), on est littéralement ébloui par ce qui s'accomplit là d'équilibre suprême et où, sans besoin de nul effet extérieur, la Chaconne se déploie comme ce qu'elle est, une musique de l'âme humaine et un chant de l'univers. Et comme vous n'êtes pas embarrassé par l'ego du musicien, vous êtes là au cœur d'un chef-d'œuvre de l'humanité, qui passe par un Guarnerius conduit par un musicien qui sert la musique. La Chaconne tient dans la temporalité de son déploiement, et Giuliano Carmignola sait mener tout cet ensemble à sa hauteur spirituelle, une élévation qui n'est pas forcée et qui provient de l'intérieur des cordes, de l'âme, du chevalet, de cet archet impeccable tenu environ à 15 cm du talon comme l'exige le jeu baroque. Difficile d'entendre cette VRAIE Chaconne ailleurs sans que jamais ne puisse défaillir la tension d'un chemin à la fois d'offrande et de miséricorde. Somptueux, simplement somptueux.
Si vous désirez encore entendre ce qu'est l'équilibre en musique, la Partita N°3 vous apportera encore cette même sensation de la découvrir, rien que dans le prélude où l'enthousiasme n'a pas besoin d'être exagéré pour vous atteindre (comme le croient tant de violonistes, à la limite de surjouer à ce moment-là, versant dans l'hystérie).
Carmignola n'hésite à jouer sul ponticello (tout près du chevalet, le son devenant alors assez aigre) quand cela s'impose de soi, et ses accents s'imposent aussi d'eux-mêmes. Écouter, rien qu'écouter attentivement ce violon est une leçon de violon pour tout violoniste : vous y apprenez le sens de la projection sonore. Il y a là de la perfection, il faut savoir le reconnaître.
À y réfléchir, en étant à ce point comblé, on a peut-être atteint là ce point d'équilibre si rare dans une version longtemps recherchée, parfois approchée mais ici accomplie dans son intégralité et son intégrité : il semble bien que nous soyons devant la version des Sonates et Partitas de Bach qui pourrait faire passer toutes les autres au second plan. On n'ose pas le penser, mais à vrai dire c'est un constat personnel : dans l'enthousiasme de l'écoute, on en vient à ressentir que cette version détrônerait aisément toutes les autres, bien que j'aurais tendance à y placer ex aequo les versions de Perlman, Milstein et Schlomo Mintz (preuve encore qu'il n'est pas question de style).
En tout état de cause, cette version prodigieuse des Sonates et Paritas Carmignola, sera dorénavant celle qui pourra désormais servir de maître-étalon à toute approche de ces chefs-d'œuvre. Un cd donc à vénérer à toujours avoir avec soi, à se repasser, quand le sens s'évapore. Grandeur de Carmignola, éternité de Bach.
VIVALDI PAR GIULIANO CARMIGNOLA : LE PUR PLAISIR DES CLAIRS-OBSCURS VÉNITIENS
Je ne comprendrai jamais ceux qui sont heurtés par les tempi démoniaques et l'énergie débordante d'interprètes tels que Guiliano Carmignola dans les concertos de Vivaldi. Ceux-là se sont peut-être habitués à entendre cette musique en version anémiée ou au contraire dans le sillage d'exagérations caricaturales. Car qu'il s'agisse des Quatre Saisons à la discographie si pléthorique, ou des autres concerti dans lesquels a pu s'illustrer le virtuose italien, certes, on sort résolument des interprétations sages et mesurées, mais alors quel pur plaisir pour les vrais amateurs de baroque et de cordes...

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Avec Carmignola dans Vivaldi, tout est énergie, vigueur des attaques, relief des accents, bref tout ce qui convient à cette musique. Et on peut à la fois aimer Trevor Pinnock avec Simon Standage, et ces accents survitaminés de Carmignola et Andrea Marcon. La ligne et le relief. Tout en y puisant toujours intact, le plaisir charnel si vif de cette musique éternellement jeune.
Tous les volumes des concertos de Vivaldi par Giuliano Carmignola, soit chez Archiv Produktion (DG) soit dans trois cd époustouflants qu'il a enregistrés au cours des années 2000 chez Sony Classical, sont à vrai dire de pures pépites de plaisir vrai dont il faut se délecter sans retenue. Doit-on le répéter : Giuliano Carmignola, de tous les violonistes baroques de la troisième génération, est incontestablement celui qui a su trouver l'équilibre le plus accompli entre une virtuosité étourdissante et une musicalité d'une intelligence rare dans l'approche de Vivaldi (loin des pitreries de Fabio Biondi, et de quelques autres).
Avec le Venice Baroque Orchestra de son complice de toujours Andrea Marcon (claveciniste et chef d'orchestre hors pair) ou l'Accademia Bizantina de son vieil ami Ottavio Dantone, Carmignola donne à cette musique (concertos connus ou inédits ou concertos tardifs, pures merveilles dont il a réalisé les premiers enregistrements mondiaux dans certains cas, comme le RV 283) à la fois la pureté de son éclat et son esprit vrai. Oui, il s'agit ici avant tout de Vivaldi, et non de l'ego d'un instrumentiste étourdi par sa propre technique (je ne me remets toujours pas des puérilités de Fabio Biondi). Cela s'appelle la pure maîtrise, pour un style dans lequel il aura fallu attendre un tel moment pour parvenir à la formule vraie : liberté + éclat + maîtrise.
Deux belles suites de diamants. D'abord, avec le Venice Baroque Orchestra :
Et parce qu'il le faut bien, Carmignola dans les Quatre Saisons entre autres en 2014 :

Envisageons, entre autres merveilles, l'album « Vivaldi con moto », consacré aux concertos tardifs du Prêtre roux. Le Concerto en mi mineur RV 281 est étonnant, en termes de dynamique. Mais pas moins que l'invraisemblable théâtralité du Largo du RV 187 (ici, on est dans l'opéra italien, sans nul doute, avec un violon en cantilène - car Carmignola excelle dans tous les registres bien sûr, en tant que violoniste complet). Laissez vous surprendre de même par un autre largo, celui du concerto en fa majeur RV 283 enregistré en première mondiale, pour savoir ce que peut être l'élégie selon Vivaldi - c'est-à-dire une élégie qui tire toujours vers la lumière (le jeu des ombres et de la lumière est purement vivaldien, là où il est encore si proche de Canaletto). Et oui, encore l'opéra, pour ces années 1730 où Vivaldi connaissait la dernière partie de ses productions en la matière, avec des fortunes diverses. La théâtralité demeure l'un des ciments de ces concertos tardifs. Et s'il fallait décrire dans le détail toutes les merveilles réunies ici, on resterait encore au seuil du plaisir ineffable (véritable volupté à vrai dire) que procure constamment l'écoute de ces concertos quand ils sont interprétés avec une telle perfection de dynamisme, d'énergie, de clarté, et même de puissance, ce qui serait presque paradoxal pour une musique si nuancée, mais justement il s'agit d'une puissance tout en nuance.
Giuliano Carmignola est le maître du violon baroque et que ce soit dans Vivaldi, Corelli, Tartini, il est ici chez lui, cette musique a été écrite pour lui et les remarquables formations qui ont la chance de l'accompagner. Mais écoutez-le aussi dans les concertos pour violons et deux violons de Bach, et vous comprendre que son talent n'est pas unidimensionnel, en revigorant le phrasé de Bach d'une fraîcheur que seuls les merveilleux musiciens du Café Zimmermann sont également parvenus.
Écouter le baroque italien interprété comme ça vous donne envie de vous immerger dans un bain synesthésique, où la musique rejoindrait la peinture, la sculpture et la littérature. Particulièrement pour Vivaldi, se plonger dans les perspectives de Canaletto. Toute l'intelligence de cet esprit prend ici tout son sens. De sorte qu'il ne s'agit plus d'interprètes, mais de passeurs, en ce qui concerne ces musiciens. Alors oui, il faut posséder tous les volumes enregistrés ces dernières années par Giulano Carmignola pour compléter votre collection, et vous garantir des heures ininterrompues de plaisir - car seul Mozart à vrai dire procure un plaisir si grand de l'écoute : vous êtes sous le charme à chaque seconde de cet art du parfait, et vous en redemandez. Il y aura ceux qui préféreront écouter tout cela progressivement et à pas restreints, ou d'autres, comme moi, qui s'y émergeront intégralement et de manière obsessionnelle. Les violonistes comprendront, ou plutôt éprouveront la brillance, la sensualité, la maîtrise impeccable du jeu de Carmignola. Et tous les musiciens et mélomanes apprécieront sans fin la vigueur et l'énergie de ce type de formation baroque et non baroqueuse, dans l'équilibre établi avec le soliste.