Loïc Céry
Directeur du CIEEG (Centre international d'études Édouard Glissant) et du pôle numérique à l'Institut du Tout-Monde, Directeur des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ». VOIR SITE PERSONNEL (fonctions-références-actualités) : www.loiccery.com
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Billet de blog 24 août 2022

Loïc Céry
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Paganini, le feu et le chant

Pour beaucoup, Niccolò Paganini demeure lié à la légende du virtuose qui fait son apparition au XIXe siècle. Si sa musique incarne depuis longtemps l'éclat d'une virtuosité inatteignable, elle est tout autant empreinte d'une beauté farouche où se croisent le spleen et l'élan du chant. Itzhak Perlman et Salvatore Accardo, ont pu transmettre cette intense dualité.

Loïc Céry
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Illustration 1

Que ceux qui seraient tentés de réutiliser une fois encore le vieux poncif du violoniste « diabolique » eu égard à son jeu flamboyant et ce qu'il a apporté à l'approche du violon, se ravisent, et y regardent à deux fois. Car s'il est un musicien qui, en dépit même de la gloire assez phénoménale qu'il connut de son vivant (il est la première figure « star » de l'instrumentiste), a aussi dû subir sa légende, c'est bien Paganini. Imaginez que cette légende d'un virtuose qui aurait pactisé avec le diable a suivi le compositeur jusque dans sa tombe, puisqu'à l'image de sa vie rocambolesque, et alors qu'il meurt en 1840, aucun cimetière n'accepte son corps et qu'il faut attendre une réhabilitation religieuse par le Pape Pie IX en 1876 pour qu'il soit inhumé à Parme. Tous comme les comédiens excommuniés, celui dont la réputation même sentait le souffre a donc aussi subi la sottise et la superstition de ses contemporains.

Reste une musique bifide, elle-même trop souvent résumée à la seule virtuosité technique. Certes, il y a les Caprices, eux-mêmes bien au-delà d'un feu unilatéral. Et puis les concertos, au charme brillant de cantilènes inoubliables, qui laissent souvent poindre une sombre mélancolie. Et puis il y a tout le reste de l'œuvre, la plus méconnue et la plus diverse, les pièces de musique de chambre, les nombreuses pièces pour guitare. Paganini est en grande partie un compositeur qui reste à découvrir, sous la légende dorée ou sulfureuse qu'on a bien voulu lui prêter.

LES CAPRICES : LA PERFECTION PERLMAN

À la fois le cauchemar et le rêve de tout violoniste, les 24 Caprices de Paganini, dont la publication date de 1819, sont l'alpha et l'omega de la virtuosité violonistique, de la part de celui qui, de son vivant, incarna pour tout le XIXe siècle la légende et l'image d'Épinal du virtuose, avec Liszt pour le piano. Les Caprices ne se résument pas pourtant à des pièces purement démonstratives, ils renferment les repères d'une sensibilité du pur chant qui construit l'illusion harmonique d'un instrument purement mélodique à la base.

Des dizaines d'enregistrements existent des Caprices. Et j'apprécie certains d'entre eux, mais finalement pas tant que ça : il faut dire que l'œuvre est si exigeante que les moindres approximations sont légion. Récemment, la version de Julia Fischer m'a agréablement surpris.

Illustration 2

Mais au sommet des meilleures versions, figure selon moi celle qu'Itzhak Perlman a gravé pour EMI en 1972 et à laquelle je demeure viscéralement attaché. L'autre référence discographique de l'œuvre a été enregistrée à mes yeux par Shlomo Mintz pour DG juste dix ans après, en 1982.

La version de Shlomo Mintz, est un modèle de régularité et de précision. Mais justement, ces qualités-là, indispensables dans ce sommet de l'art violonistique sont encore rehaussées par Perlman qui enregistre là sans doute la version définitive des Caprices, selon moi. À la précision, Perlman ajoute l'incomparable puissance de son jeu et l'éclat proverbial de sa sonorité (une projection sonore et une sorte de réverbération naturelle servies par une prise de son remarquable). Ses choix d'interprétation sont aussi souvent plus conformes à l'esprit virtuose de Paganini, là où Mintz est parfois « timoré ». Le violon de Perlman incarne mieux que tout autre l'inspiration de ces Caprices qu'on disait diaboliques pour leur difficulté, en oubliant le plus souvent leur musicalité. Je ne connais pas de version plus convaincante que celle-ci : une fois entendus, les Caprices par Perlman demeurent la référence à avoir et dont on ne peut pas se lasser.

Nicolò Paganini - 24 Caprices Op.1, Caprice No.24 + Presentation (Century's record.: Itzhak Perlman) © Classical Music/ /Reference Recording

 LE SACERDOCE PAGANINI DE SALVATORE ACCARDO

Illustration 4

Il n'y a pas si longtemps, Deutsche Grammophon sortait la très utile compilation des enregistrements Paganini réalisés par le violoniste Salvatore Accardo dans les années 70 et 80. Une somme Paganini, qu'il est loisible de retrouver en digipack, même si on a déjà la plupart de ces enregistrements séparés, et pour être sûr de ne pas manquer les raretés de cette intégrale.

Il est temps qu'on sache reconnaître en Salvatore Accardo indéniablement l'un des plus grands violonistes du XXe siècle. Il est incontestablement le vrai spécialiste de Paganini. Et même si son interprétation des Caprices n'égale ni celle de Perlman ni celle de Shlomo Mintz, Accardo a su mieux que quiconque immortaliser les concertos du diabolique maître du violon virtuose, servi qui plus est par un orchestre philharmonique de Londres dirigé si intelligemment par Charles Dutoit.

Illustration 5

Ces enregistrements sont un ravissement de précision et bien sûr de virtuosité aussi époustouflante que maîtrisée. Et pour ceux (nombreux) qui ne parviennent pas à reconnaître l'intelligence simplement musicale de Paganini en dehors de la virtuosité violonistique, cette véritable somme saura montrer combien, certes autour du violon comme pivot de l'écriture, ses partitions ne sont pas uniquement des supports servant à faire briller l'instrument : il se dégage notamment des six concertos une sorte de brio romantique remarquable en soi. Et même si l'orchestre demeure un faire-valoir du soliste (en réalité, pas plus que chez le Chopin des concertos pour piano), cette musique conçue autour de l'instrument recèle une beauté farouche qui va droit à qui l'écoute, le saisissant entre quatre cordes, une « âme » en bois et les crins d'un archet. Il s'agit d'une musique essentielle, conçue PAR et POUR le violon : la nuance est là. Salvatore Accardo et Charles Dutoit excellent dans la transmission limpide de cet art violonistique, en conférant à chacune des pièces son caractère propre. Une merveille.

Ici le concerto N° 1 : 

Salvatore Accardo Plays Paganini Violin Concerto No.1 LP Version © Vinyl Classical Fans

Ici dans l'allegro du concerto N° 4 :

Paganini: Violin Concerto No. 4 in D Minor, MS. 60 - Cadenza: Salvatore Accardo - I. Allegro... © Salvatore Accardo - Topic

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