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Directeur du CIEEG (Centre international d'études Édouard Glissant) au sein de l'Institut du Tout-Monde, des revues « La nouvelle anabase » et « Les Cahiers du Tout-Monde ». VOIR SITE PERSONNEL (fonctions-références-actualités) : www.loiccery.com

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Billet de blog 24 septembre 2024

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Lea Desandre et Mikko Franck étincelants à Radio France

Concert de rentrée étincelant de l'orchestre philharmonique de Radio France, avec Lea Desandre vertigineuse et Mikko Franck en juste puissance, le 13 septembre dernier.

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Illustration 1

Après l’ONF la veille, c’était au tour de l’orchestre philharmonique de Radio France d’assurer la rentrée de la saison musicale de l’Auditorium de Radio France, vendredi 13 septembre 2024 (concert audio en ligne sur le site de France Musique). Avec un programme mettant à l’honneur tout d’abord l’excellentissime mezzo-soprano franco-italienne Lea Desandre dans un répertoire qui lui est inhabituel, puisque la splendide voix baroque s’illustrait cette fois-ci dans l’un des fleurons de la mélodie française, le cycle des Nuits d’été de Berlioz, publié en 1841 sur l’inspiration de poèmes de Théophile Gautier (il en avait inauguré le genre avec Irlande en 19829, sur des poèmes de Thomas Moore). Un cycle dans lequel s’était distinguée par le passé l’incomparable Régine Crespin en 1963 (orchestre de la Suisse romande sous la direction d’Ernest Ansermet) :

Berlioz: Les nuits d'été, Op. 7 - 1. Villanelle © Régine Crespin - Topic

 Le romantisme de Gautier, celui dont que transcrit Berlioz à partir du recueil La Comédie de la mort, anticipe nettement sur une esthétique symboliste où la diversité des thèmes, dominés par la présence de la mort dans l’idylle, trouve des accents tragiques et plaintifs d’une certaine puissance dans la production du compositeur. La passion exubérante pour Harriet Smithson, l’Ophélie shakespearienne des années obsessionnelles et passionnées de la Symphonie fantastique, a fait place après un mariage difficile, à l’élan contrarié pour Marie Recio, dont Les Nuits d’été semblent porter à la fois l’idéal et l’amertume. Et rien de tel que l’interprétation « habitée », profondément inspirée, attentive au détail infime de l’énonciation, dont fait preuve au centuple Lea Desandre, pour aller droit au cœur de ces partitions qui rehaussent la poésie de Gautier d’un halo presque métaphysique. L’églogue parfois lénifiante de Vilanelle y côtoie les vertiges de Sur les lagunes, l’élan déchirant d’Absence rejoint l’élégie du Spectre de la rose, dans les neuf chants où la jeune cantatrice excelle, à cette frontière de fragilité et de force où l’incandescence elle-même prend des atours diaphanes. Pour de bon, Lea Desandre est une virtuose de l’émotion pure, dont l’élégance du phrasé et du timbre si reconnaissables aujourd’hui, en fait l’une des voix les plus impressionnantes de la nouvelle génération lyrique française. Et si cette incartade consentie en dehors de son répertoire habituel était un essai le coup de maître, il sera certainement encore réclamé par le public, qui fut enchanté de soir-là, du privilège d’un élargissement crucial. Quand l’intelligence musicale s’allie à une telle maîtrise, les voies sont encore incommensurables.

Ce concert d’achevait avec Une symphonie alpestre de Richard Strauss, l'un de ses plus magnifiques poèmes symphoniques (avec Une vie de héros, Don Quichotte et Ainsi parlait Zarathoustra). On a encore en tête la splendide version de Karajan à la tête du Philharmonique de Berlin quand, au soir de sa vie et en proie à ses multiples opérations du dos, le chef se métamorphosait pour livrer une version superlative de l’œuvre. On n’oublie pas non plus la référence que demeure en la matière la version du Rudolf Kempé à la tête de l’orchestre de la Staatskapelle Dresden.

R. Strauss: Eine Alpensinfonie - Karajan, © kis martus

Ce poème symphonique, profondément métaphorique comme tous ceux écrits par Strauss, déploie une vision de l'existence, comme acte de gravir la montagne, en l'occurrence les Alpes. Une « musique à programme », selon la formule du poème symphonique et du genre, depuis Liszt. Une musique volontairement descriptive, avec cette caractéristique : tous les « épisodes » du programme de l'ascension et de la descente sont donc à rapporter à la métaphore. La vision de la vie comme ascension puis descente. De quoi méditer bien sûr, mais devant un tel accomplissement esthétique, que Karajan vénérait d'ailleurs, on ne peut qu'être ébloui par la force, la puissance et la vision, par le génie de Richard Strauss. Et dans la version qu’offraient Mikko Franck et le « Philhar » l’autre soir à Radio France, tout, résolument tout était au rendez-vous de l’illumination. Des profondeurs de « La nuit » vers les sommets du glacier acquis de haute ascension, avant les tumultueux orages aux percussions vertigineuses et l’accalmie et le retour vers la nuit… Mikko Franck a su déployer là cette énergie irrévocable sans laquelle il est simplement impensable de se risquer vers de telles hauteurs. Et tout cela, avec cette limpidité des différentes sections des vents et cette profondeur des cordes, en cette approche à la fois « déliée » et synthétique qui fait sa marque (et le rapproche en cela de Klaus Mäkelä à mes yeux). 

Illustration 4

L'une des particularités de ce très beau concert, c'est que l'excellentissime jeune violoniste Nathan Mierdl débutait la saison en tant que premier violon solo de l'orchestre, poste prestigieux auquel il a été nommé en janvier 2023. Je reviendrai aussi prochainement sur ce talent précieux. En tout cas, pour un musicien lui-même épris des poèmes symphoniques de Strauss, il a su mener les choses avec brio, c'est le moins que l'on puisse dire, avec un Mikko Franck admirable de précision et d'ampleur, comme à son habitude, et comme le sait le public. Ovation longue et méritée pour le « Philhar » à son meilleur niveau.

 Il me semble qu’entre les deux parties de ce magnifique concert, une « œuvre de commande » ait été donnée. Je n’ai vraiment pas envie de ternir ma chronique par une note finale où je dirais des choses qui fâchent. Je m’en tiendrai là pour le moment : les cahiers des charges des organismes publics (en l’occurrence « favoriser la création contemporaine », selon la novlangue administrative, et selon une certaine idée de ce que doit être ladite création), tout cela ne me concerne pas, je ne m’en sens ni solidaire ni bénéficiaire de tant qu’auditeur. Les étranges arguments du programme (une compositrice « né en 1987 » : et alors ? – mais surtout le déploiement de toute sa généalogie : petite-fille d’untel, nièce d’une telle) ne me concernent pas davantage. Et même si je ne peux, au minimum, que déplorer la continuation de cette veine apparue il y a quelques années, qui consiste à intégrer à un programme splendide, ces œuvres qu’on dit contemporaines au seul prétexte qu’elles le sont… je n’aurai pas ici l’espace nécessaire pour argumenter sur le fourvoiement généralisé dont il s’agit, dans des choix à courtes vues, relevant de la myopie esthétique au mieux et de l’idéologie au pire. Car nous vivons aujourd’hui un renouveau, qui se déroule loin des réflexes convenus et des cahiers dont on se doit de porter la charge. Bref, passons. Restons-en à une ouverture de saison qui fut absolument magnifique pour l’orchestre philharmonique de Radio France.

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