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Billet de blog 5 septembre 2020

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APARTHEID ET COLONISATION PAR ISRAEL : QUAND LE DROIT S'AFFIRME

Le rapport de l'ONG israélienne Yesh Din (Médiapart du 01/08/2020) confirmant le nom d'apartheid pour le régime israélien, s'ajoute à l'arrêt du 11 juin 2020 de la Cour européenne des droits de l'homme, qui légitime l'appel au boycott des produits israéliens et condamne la France pour violation de la liberté d’expression. Analyse dans la revue chrétienne progressiste "Parvis" (N° 100, sept. 2020)

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"PARVIS" N° 100 (septembre 2020, pp. 32-33)

Boycott légitimé : une victoire de la liberté

Pour les anticolonialistes, demain sera différent : la Cour européenne des droits de l’homme
a légitimé les appels au boycott des produits israéliens.

Le 11 juin 2020, la CEDH a unanimement condamné la France pour violation de la liberté d’expression après la condamnation pour incitation à la discrimination économique de onze membres du Collectif Palestine 68, relai local de la campagne internationale Boycott, Désinvestissements, Sanctions (BDS).

En 2009 et 2010, ces militants appellent au boycott dans un hypermarché d’Illzach (Haut-Rhin), sans violence ni dégâts. Le magasin ne se constitue pas partie civile.

Le procureur les poursuit devant le tribunal correctionnel de Mulhouse pour « provocation à la discrimination, à la haine, à la violence, à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion, une nation », au titre de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.

Le 15 décembre 2011, le tribunal les relaxe, considérant que les termes employés ne visaient qu’à inciter les consommateurs à ne pas acheter de produits israéliens, et convaincu « de l’absence d’incitation à la haine raciale voire antisémite au vu de la personnalité des membres du Collectif 68 issus de mouvements non connus pour leurs prises de position racistes ou antisémites [et du témoignage] d’un évêque connu pour ses prises de positions en faveur des minorités [Mgr Gaillot] ».

Le 27 novembre 2013, la cour d’appel de Colmar infirme ce verdict, jugeant que « la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël ». Chaque prévenu est condamné à 1 000 € d’amende avec sursis, et au paiement à chaque partie civile de 1 000 € pour préjudice moral et 3 000 € pour les frais.

Les requérants, invoquant la violation par l’Etat de l’art. 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, se pourvoient en cassation. Le 20 octobre 2015, ils sont déboutés au motif que l’exercice de la liberté d’expression « peut être soumis à des restrictions ou sanctions constituant des mesures nécessaires à la défense de l’ordre et à la protection des droits d’autrui. »

Ils saisissent alors la Cour européenne des Droits de l’Homme. Celle-ci note la volonté de la France de pénaliser les appels au boycott des produits israéliens par la circulaire du 12 février 2010 (dite Alliot-Marie), très contestée par les défenseurs des droits humains. Elle cite le rapport de l’ONU du 20 septembre 2019 sur la liberté de religion ou de conviction : « En droit international, le boycott est considéré comme une forme légitime d’expression politique, et les manifestations non violentes de soutien aux boycotts relèvent, de manière générale, de la liberté d’expression légitime qu’il convient de protéger [bien que] les propos nourris de clichés et de stéréotypes antisémites, le rejet du droit d’Israël d’exister et l’incitation à la discrimination contre les juifs en raison de leur religion doivent être condamnés. »

Les requérants rappellent que l’art. 24 de la loi de 1881, qui réprime la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion, ne vise pas la discrimination économique. Ils expliquent leur condamnation par une dénaturation des faits puisqu’ils n’exprimaient qu’une critique de l’État, ce qui n’est pas punissable en droit français, l’art. 24 ne protégeant que les personnes. Ils observent que de nombreuses juridictions internes ont refusé d’appliquer cet article et que la doctrine a fortement critiqué les décisions rendues dans leur cas ; que le droit français ne sanctionne pas l’appel au boycott car il « s’inscrit dans une longue histoire de protestation ou de contestation civiques non violentes, destinées à informer les consommateurs sur le sens politique, économique et éthique de leurs achats » ; qu’examinant le rôle des compagnies pétrolières sur l’environnement, les parlementaires ont retenu que « l’appel au boycott comme arme ultime d’une consommation responsable doit être considéré comme licite dès lors qu’il est établi par des rapports crédibles qu’une multinationale viole délibérément et gravement la légalité internationale » ; qu’en l’espèce, cette violation serait attestée aussi par l’avis de la Cour internationale de justice relatif à l’illégalité du mur de séparation israélien. Ils rappellent les dispositions de l’art. 10 de la Convention :

– toute personne a droit à la liberté d’expression, sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques ;

– l’exercice de ces libertés peut être soumis à certaines restrictions nécessaires pour la sécurité nationale, la protection de la santé, les droits d’autrui.

La Cour déclare recevable le grief des requérants, qui soulignent que :

– BDS est une campagne internationale non-violente « qui vise la politique coloniale d’occupation israélienne et ses partisans, qui s’adresse au citoyen en tant qu’acteur social et politique et au consommateur afin qu’il fasse une distinction entre les produits sur la base de motifs politiques légitimes et raisonnables », en réaction à « l’inertie des puissances dominantes à faire respecter leurs propres résolutions et au refus d’Israël de se conformer au droit international » ;

– cet appel au boycott s’inscrit dans une grande et ancienne tradition d’action citoyenne non-violente (contre l’apartheid sud-africain, la discrimination aux États-Unis) et dans le mouvement plus récent du boycott consumériste pour inciter chacun à mettre sa consommation en harmonie avec ses convictions ;

– la campagne BDS bénéficie du soutien majoritaire de la communauté internationale ;

– leur liberté d’expression sur un sujet éminemment politique et relevant du débat d’intérêt général (question israélo-palestinienne et application effective du droit international) a été violée « alors qu’ils appelaient publiquement et sans contrainte les consommateurs et la direction d’une grande surface à ne pas acheter les produits fabriqués en Israël en raison de la politique menée par cet État ».

Ils soulignent que les appels au boycott de ces produits ne sont pas des provocations à la haine ou à la violence puisque exempts de diffamation, insultes, propos racistes ou antisémites, appels à la commission d’une infraction ou apologie de crimes internationaux. Ils ne seraient pas non plus des provocations à la discrimination puisqu’ils viseraient uniquement des produits non nécessairement manufacturés par des personnes de nationalité israélienne. Ils en déduisent que « leur expression a été artificiellement et arbitrairement dépolitisée afin de la soustraire au régime protecteur du discours politique ». Ils observent que les juridictions internes n’ont pas précisé en quoi leur appel au boycott pouvait être attentatoire aux droits d’autrui ou à l’ordre public, et qu’elles ont développé « une interprétation excessivement large des exceptions au droit à la liberté d’expression ».

Le gouvernement fait valoir que ces actions ne sont pas la manifestation d’une opinion politique ou militante mais relèvent de propos appelant à la haine, la violence, la discrimination ou l’intolérance. Les Ligues des droits de l’homme précisent qu’elles défendent, au nom de la liberté d’expression et de manifestation, « le droit de participer pacifiquement et d’appeler à des mesures de boycott, de désinvestissement et de sanctions, tout en refusant que des discours antisémites soient proférés. » Elles invitent la Cour « à distinguer nettement entre les discours défendant ou justifiant la violence, la haine, la xénophobie ou d’autres formes d’intolérance – lesquels méritent d’être vivement combattus – et les discours et actions qui aspirent uniquement à dénoncer une politique gouvernementale perçue comme contraire aux droits et libertés. » Elles l’invitent à « retenir une présomption de protection renforcée au profit des appels au boycott motivés par des objectifs politiques, cette présomption pouvant être renversée lorsqu’il est démontré que le discours ou l’action en cause sont entachés de racisme ou d’antisémitisme. »

La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, la liberté d’expression est un fondement essentiel d’une société démocratique « qui vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent » ; que « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture étant nécessaires à la vie démocratique, le besoin de restreindre cette liberté doit être établi de manière convaincante ». Elle considère que l’appel au boycott, qui « vise à communiquer ces opinions tout en appelant à des actions spécifiques, relève de la protection de l’art. 10 de la Convention » ; qu’il constitue cependant « une modalité particulière de la liberté d’expression qui, selon les circonstances, peut constituer un appel à la discrimination. Or celui-ci relève de l’appel à l’intolérance, qui est une des limites à ne dépasser en aucun cas. Toutefois, inciter à traiter différemment ne revient pas nécessairement à inciter à discriminer. »

Relevant que le droit français interdit tout appel au boycott de produits à raison de leur origine géographique, elle constate que la cour d’appel n’a pas établi que la condamnation des requérants était nécessaire pour protéger les droits d’autrui. « Une motivation circonstanciée était d’autant plus essentielle qu’on se trouve dans un cas où l’art. 10 de la Convention exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression », car les actions et les propos reprochés concernaient un sujet d’intérêt général (le respect du droit international par Israël) et s’inscrivaient dans un débat contemporain ouvert en France comme dans la communauté internationale. En outre, la Cour a souvent affirmé que l’art. 10 laisse peu de place à des restrictions de la liberté d’expression dans le domaine politique ou de l’intérêt général. « Par nature, le discours politique est source de polémiques et est souvent virulent. Il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance. »

La Cour en déduit que la condamnation des requérants ne repose pas sur des motifs pertinents et suffisants. Elle ordonne à l’Etat français de verser à chacun 7 380 € et ensemble 20 000 € pour les frais.

Cet arrêt historique ne devrait-il pas obliger la France à annuler la liberticide circulaire Alliot-Marie ?

Laurent Baudoin

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