Le film de Gilles Perret n’est pas un documentaire à proprement parler. C’est avant tout une suite de plan et saynètes collectés au cours de la campagne présidentielle, de façon discrète, sans filtre ni voix off. Que faut-il en retentir ?
L’image de Jean-Luc Mélenchon
Forcément centré sur Jean-Luc Mélenchon, les habitués de sa chaine YouTube ne vont rien apprendre de plus sur ce personnage, ce qui constitue une nouvelle en soi : Mélenchon est naturel. Pas de calcul, de rôle ou de « stratégie de communication », ses aspects râleurs et son souci de l’explication sont bien réels. Comme ses émotions qui le traversent, et l’attention qu’il porte à ses collaborateurs.
Pour ces détracteurs, le contraste avec le personnage médiatique des plateaux télévisés sera plus saisissant. Mais la subjectivité fera probablement davantage retenir ses complaintes contre les journalistes que ses sincères émotions. Sa joie face aux foules venues soutenir la campagne, son étonnement devant sa progression dans les sondages, son désespoir face à la défaite.
Ainsi, Gilles Perret nous montre un personnage profondément humain, avec ses qualités et ses défauts. Les électeurs insoumis seront probablement touchés par les premières, et ses détracteurs galvanisés par les seconds. Telle est la nature humaine.
La vérité sur de nombreuses polémiques
Bien sûr, les extraits de réunion et les confidences en off sont coupées au montage, laissant sur sa faim le politologue amateur que je suis. Malgré la discrétion, les équipes de Mélenchon savaient que la caméra tournait. Pourtant, il s’agit bien d’un échantillon réel de stratégie politique, très incomplet, mais néanmoins révélateur. Il faudrait faire preuve de la plus profonde mauvaise foi pour ne pas prêter crédit aux images.
D’un point de vue du journaliste politique, ce film apparait donc comme une mine d’information, un trésor de confidences. En particulier:
1) La polémique sur l’alliance de la gauche
Au fil des réunions stratégiques, on réalise que si l’équipe de campagne ne semblait pas intéressée par une alliance avec le PS, ses motivations semblent légitimes. Outre l’incompréhension qui règne face à l’attitude du PS, on réalise la crainte d’une fuite des électeurs en cas d’alliance. Surtout, on comprend à quel point la lucidité des insoumis leur fait anticiper à l’avance le rôle que va jouer Benoit Hamon, celui d’un tampon entre Macron et Mélenchon.
Lorsque les courbes de sondages se croisent définitivement, Mélenchon donne des consignes claires : aucune attaque contre Hamon. De façon prémonitoire, il explique à l’avance celles à venir de ce dernier, qui utilisera Poutine pour affaiblir l’insoumis. « C’est sa seule excuse pour ne pas me rejoindre ».
Au journaliste de France Bleu venu l’interviewer, il détaille son analyse de la stratégie du PS. « Cambadélis vient de la confirmer dans une longue interview », le PS se prépare à gouverner avec Macron. Donc Benoit Hamon n’est là que pour contenir le candidat insoumis. Mélenchon s’étonne que cette révélation explicite du premier secrétaire du parti socialiste ne soit pas reprise par les analystes.
2) Le vote utile Macron
À travers l’analyse des courbes de sondage et la dynamique de campagne, Mélenchon nous livre une clé de l’élection qui torpille partiellement la fameuse théorie de l’union de la gauche.
Lorsque Mélenchon rejoint Fillon et devient qualifiable au second tour, le vote utile Macron pour éviter un duel Fillon-Le Pen perd en essence. Ce qui va maintenir Macron à 23% est tout autre chose, ça sera le vote utile contre Mélenchon d’une partie de la gauche.
À la lumière de la politique menée par le gouvernement actuel, on comprend à quel point les électeurs ont été trompés. Car si Macron fut dépeint comme un homme « de gauche et de droite » alors qu’il mène la politique la plus à droite de l’histoire du pays, le côté « dangereux » et « diviseur » de Mélenchon fut largement exagéré.
3) Mélenchon diviseur ?
À de nombreuses reprises, le documentaire nous permet de saisir la stature « d’homme d’État » de Mélenchon, et son souci de rassembler les Français.
Les consignes de non-agression contre le PS en sont une. Si quelques mots durs avaient pu être prononcés, en particulier le terme de « corbillard », les attaques personnelles et les polémiques ne seront pas autorisées par Mélenchon, malgré des suggestions de la part de ses conseillers.
De même, lorsque les marchés s’inquiètent (selon les Echos) de la percée de Mélenchon, celui-ci refuse de répondre sur ce thème, en dépit de la suggestion de Sophia Chikirou. « Surtout ne pas leur faire peur » explique-t-il.
Enfin, le soir de l’élection, la consigne est claire. En cas de second tour, Mélenchon veut être le président de tous les Français, pas d’une classe contre une autre. Un langage que ne tiendra pas Emmanuel Macron lors de son duel contre Marine Le Pen.
4) Mélenchon seul contre tous, hégémonique ?
Enfin, le film montre à quel point la campagne s’effectue sur un budget ridicule, mais avec une efficacité et une organisation redoutable. Si Mélenchon tranche de nombreuses questions stratégiques, il est à l’écoute, demande sans cesse conseil.
Le nombre de femmes qui l’entourent et l’attention qu’il porte à leurs avis contrastent avec le portrait de guru peint par les médias.
Le rôle des médias
Le principal enseignement qui ressort de ce film est peut-être celui du rôle des médias. Tel un fil directeur, on comprend à quel point ces derniers on prit parti contre la France Insoumise (et pour Macron). D’abord en faisant porter le chapeau de la désunion de la gauche aux insoumis, et surtout pas au PS, en dépit des évidences sur le manque de sincérité, de cohérence et de vision de ce dernier.
Ensuite, avec une constance surprenante, ils ont refusé d’analyser la stratégie mensongère du PS, que Mélenchon a le bon goût de détailler au journaliste de radio France en citant Cambadélis dans le texte. Les électeurs socialistes méritaient probablement mieux que cela.
On comprend ensuite à quel point l’équipe de campagne redoute les passages sur le service public. A raison, c’est précisément Patrick Cohen (France 5 et France Inter) qui déclenchera la polémique sur l’Alba et la « fake news » qui va avec.
De même, l’anticipation en off avec Elizabeth Martichoux sur le matraquage médiatique à venir et le rôle du « parti de l’argent » témoigne de la lucidité de Mélenchon.
Sur la forme enfin, la critique de Sophia Chikirou face à l’organisation du premier débat, qui sera rapporté par les journalistes comme « une explosion de colère », transpire la pertinence. Alors qu’elle se plaint du désintérêt pour la démocratie, on entend la journaliste de TF1 commenter la hauteur des talons de Marine Le Pen.
Conclusion
À travers ces échantillons passionnants de stratégie politique, on découvre à quel point la presse française n’avait pas su ou voulu rendre compte d’un point de vue objectif des enjeux de la campagne, y compris dans sa dimension purement stratégique. Il est fort à parier que cet objet audiovisuel sera platement ignoré par nos commentateurs et experts, pour la simple raison qu’il apporte la preuve de leur incompétence, ou duplicité.
On attend le film avec impatience !
Le documentaire ici : https://www.youtube.com/watch?v=nz_UrxPdpUw&t=1s
L’interview de Gilles Perret par les Inrocks là: http://www.lesinrocks.com/2017/07/31/actualite/un-documentaire-revele-les-secrets-de-la-campagne-presidentielle-de-jean-luc-melenchon-11970849/