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Billet de blog 4 janvier 2025

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Le travail totalitaire

Ce livre, Le Travail Totalitaire, explore comment, depuis 1968, s’est déployé un processus d’intrusion du travail dans le quotidien. Associé aux pratiques managériales de l’urgence, le travail totalitaire engloutit la moindre parcelle de temps libre. Il s’accapare notre intimité jusque dans l’offre et la consommation de loisirs planifiés et minutés. Il fait de nous des « esclaves modernes ».

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Illustration 1

Le travail totalitaire, parution janvier 2025 aux Editions Syllepse (18 euros), poursuit l’analyse critique entreprise de Razzia sur le travail ( Syllepse en 2017) sur les formes d'exploitation et de domination des populations par le capital.

Razzia sur le travail critiquait la dynamique d’une mise au travail combinant harmonieusement trois dimensions au seul profit du capital :

  • L’expansion des nouvelles technologies de la communication
  • Le développement d’organisations managériales « toujours dans l’urgence » permettant de mobiliser l’exploitation des salariés 24H/24, sept jours sur sept, même pendant leurs temps de vacances.
  • Et cerise sur le gâteau la mise au travail gratuite du plus grand nombre en substitut à la disparition de l’emploi sur un nombre croissant de machines et médias dans les secteurs marchands mais aussi dans le secteur public. 

Le travail totalitaire étend cette approche en examinant ce processus au regard de ce qu’il produit dans nos vies quotidiennes. 

Le conflit y est permanent entre d’une part le capital et ses servants qui cherchent à contrôler l’écoulement du temps en imposant besoins et valeurs : du travail aux loisirs sans négliger l’activité ménagère ni les modes de repos, et d’autre part celles et ceux qui luttent pour une réduction massive du temps assujetti afin d’ouvrir un processus de désaliénation : l’imposition d’un temps à soi et pour soi permettant aussi d’œuvrer à démocratiser la société avec les autres.

Ces cinquante dernières années, les rapports de forces et le renoncement de certains au bien-fondé du droit à la paresse ont permis de voir s’imposer une main mise quasi totale du temps du capital sur la vie quotidienne. On peut citer ici trois piliers essentiels de ce processus :

  • L’invention de l’aménagement du temps de travail et des contrats précarisant qui ont contribué à dissoudre l’unité autour de la lutte pour une diminution égale, pour toutes et tous, du temps à devoir travailler,
  • La Refondation sociale du Medef légitimant l’entreprise comme seule cellule de base de la société propre à la défense des "soi-disant" intérêts communs du capital et du travail,
  • La diffusion massive et imposée des outils technologiques de communication à distance qui encadrent la programmation du travail, mais aussi le temps et l’organisation des loisirs afin de nous contrôler et de tendre à nous éloigner de toute flânerie oisive non connectée !

Cette mainmise hyper aliénante sur notre temps de vie s’applique donc du travail aux loisirs, de l’usine au bureau tout autant que dans la soi-disant intimité du domicile, jusque dans les lits, et elle le fait désormais de 2 à 99 ans.

Triste mais profonde réalité… Pour autant l’espoir d’une émancipation est toujours permis à conditions qu’une critique collective de la vie quotidienne s’introduise dans les réflexions et les pratiques des populations et dans toutes les formes de vie associative.

Si vous n’avez pas juste envie de rêver à une société des égaux mais si vous pensez pouvoir agir pour la création d’une vie quotidienne émancipée combinant dimensions affectives, écologiques, artistiques, alors n’hésitez-pas à lire Le travail totalitaire pour mieux le subvertir dès demain….

TABLE DES MATIERES

Introduction :     Au travail dès deux ans, les capitalistes à la fête ! 

Des mythes pour contraindre imaginations et consciences et faire consentir à l’esclavage moderne

Un affrontement essentiel et permanent sur le sens de la vie

Un livre pour contribuer à penser, à lutter et à débattre pour concevoir un temps

de la vie quotidienne émancipée du temps de travail

Chapitre 1

Subordination au temps du capital ou « droit à la paresse » ?

Les habits neufs d’un conflit inhérent à la logique d’exploitation… 

L’intrusion permanente du travail dans les temps du quotidien

Le rythme effréné d’une représentation médiatique sanctifiant le primat du travail astreint

Domestiquer les moeurs insoumises à la morale productive !

La journée de travail réduite à 8 heures, une revendication équivoque au regard du projet d’émancipation

qui oublie le temps libre pour les femmes…

Du loisir aux loisirs : défaite du « Droit à la paresse » et victoire de la marchandisation du temps libre

Chapitre 2

Face aux tentatives d’émancipation de l’esclavage moderne :

Angoisses et ripostes patronales (1970-2000) 

Lip, l’angoisse, le chaos puis la pacification

Le petit prix payé par le capital pour éteindre l’espérance…

L’invention de l’aménagement flexible du temps de travail (1968-2000)

Tomber les masques, vers une amplification de l’esclavage moderne

Chapitre 3

La « refondation sociale » : un aggiornamento parachevé de l’esclavage moderne 

Une rhétorique corrosive de soumission du travail aux valeurs du capital

Une soumission déjà bien ancrée dans l’organisation du travail en urgence

Le travailleur astreint figure emblématique de l’esclavage moderne

La « refondation sociale » apogée théorique d’une aliénation capitale

Chapitre 4

Quand le travail enserre dans ses griffes la totalité du temps quotidien 

Toujours se dépasser, aller plus vite, sans hésiter sur les moyens

L’installation du travail en urgence, sous astreinte, chez soi dans tous les coins

Le « travail multisitué chez soi » une forme originale de l’esclavage moderne

Sauf si malicieusement un espace-temps maîtrisé sapait cette aliénation !

Mouchards technologiques et retours sur site : deux outils complémentaires pour consolider le contrôle

Stop au travail passe-muraille qui dévore l’oisiveté !

Chapitre 5

Pour une critique radicale de la vie quotidienne 

Trois modèles aux sources de l’oppression quotidienne par le travail

Le modèle autoritaire : des diktats divins aux ordonnances républicaines

Le modèle de la raison réformiste : L’illusion d’un temps libre à soi

Le modèle de l’aliénation heureuse : Un temps libre dans la connexion !

Peut-on échapper à ces modèles qui aliènent notre vie quotidienne ?

Conclusion du livre :   Il est urgent de se réapproprier le temps de vivre pour décider ensemble de notre avenir 

BONNES FEUILLES

Au travail dès deux ans, les capitalistes à la fête !

Noël moment pour offrir aux enfants les joies de l’insouciance ou moment pour les intégrer brutalement dans le monde impitoyable du travail à perpétuité ? En relation directe avec cette interrogation, on ne peut qu’être admiratif ou horrifié par un des jeux mis sur le marché de Noel en ce mois de novembre 2023. Dès deux ans, la marque « Infini Fun » invite les parents à offrir à leurs enfants, pour moins de 40 euros et payable en trois fois, un kit de télétravail. La publicité le présente en des termes qui invalident toute ambiguïté : « Comme papa et maman : je passe des appels avec mon téléphone, je participe à des vidéoconférences avec mon ordi et mon casque … Le casque (factice) me donne l’air encore plus professionnel… ». Vive le travail et dès les fêtes ! Les commentaires des parents sont dans l’ensemble ravis, voire mêmes élogieux. Reviennent le plus des formules comme « Super imitation », « Super ludique » qui disent l’essentiel d’une adhésion à socialiser les enfants aux idéaux de la logique compétence dès leur sortie du berceau.

Du temps choisi aux 35 heures flexibles, l’illusion des contre-offensives réformatrices !

Au travail, il faut être sur le qui-vive et pour garder son efficacité, pendant « le temps libre », corps et esprit sont mobilisés par des activités minutées évitant le laisser aller. Une petite recherche iconographique sur ces années-là fait apparaître d’abord des photos valorisant la course à pied et les escape game avant d’autres qui orientent vers la visite des parcs de loisirs en tout genre. Il n’est pas étonnant que l’effort capitalistique de disciplinarisation construit au quotidien dans la chasse aux temps morts engendre, dans un univers fait plus dorénavant du croisement de temps variables à ajuster que de temps sacrés et communs à partager, un recours aux narcotiques pour tenter d’y échapper. Ce malaise dans la civilisation dépasse largement le mal être au travail mis dorénavant sur le devant de la scène sociale. Il ne provient pas seulement de mauvaises organisations ou d’abus dans l’exploitation du travail mais plus encore de l’imposition d’une marchandisation du temps dans la vie quotidienne.

 Stop au travail passe-muraille qui dévore l’oisiveté !

C’est juste une gymnastique à enseigner et à faire pratiquer. Le primat du travail dans la vie quotidienne l’autorise à s’insérer partout dans le quotidien, chez soi ou sur site, dans une chambre ou un atelier, un cabinet de toilette ou un bureau. L’injonction est permanente, tout au long de l’année, car il faut accepter de partager le temps, y compris celui d’une vacance, qui peut encore s’entendre comme dépaysement mais certainement plus comme détachement. Désormais, le travail circule avec soi, s’incorpore en nous, et nous l’emmenons partout d’une pièce à l’autre dans son habitat, d’un endroit à l’autre dans les sites de productions (usine, bureau), comme nous l’emportons dans les transports, voire dans des lieux publics y compris ludiques. Et il est vain de fermer des portes ou de chercher à se dissimuler du regard des autres ou des modes de surveillances, plus ou moins subtils, qui nous tracent sans relâches. Si l’économie des loisirs, aux temporalités strictement quantifiables, s’intègre sans trop de contradictions à cette économie du travail, l’oisiveté n’y est pas admissible car elle est et sera toujours hors contrôle et ferment permissif d’une sortie massive de l’esclavage moderne.

Le miroir des jeux

L’oppression du travail sur les vies quotidiennes n’apparaît finalement qu’en cas d’accidents et d’abus, mais la plupart sont exposés à l’aune de l’idéologie américaine « de la pomme pourrie » où le système est toujours exonéré et la responsabilité attribuée aux seules défaillances humaines. Certes, on a pu voir distiller de-ci de-là quelques infos sur la réalité scandaleuse des salaires des personnels sous-traités, mais la plupart du temps a été valorisé l’apport des bénévoles, et leur travail gratuit, sans qui la fête n’aurait pu avoir lieu. On s’est aussi féliciter de ne recenser que 181 accidents du travail pour la construction des sites, dont seulement 31 graves et aucun mortel, soit quatre fois moins qu’en temps normal. Subrepticement, le précieux documentaire Futurs Champions, le prix de la gloire, analyse la tragédie du sport professionnel qui évacue comme ailleurs dans la production ceux et celles qui ne supportent pas physiquement et psychiquement l’oppression de leurs coachs et de leurs dirigeants.

 Cette dissimulation de l’oppression du travail et de ses conséquences fait pendant au diktat de l’industrialisation publicisée des loisirs en temps contraint. Les jeux configurent un temps social, tout à l’opposé du temps permissif des carnavals. Cette configuration industrielle aliène totalement d’imaginer la conception d’un temps de bien-être où les individus se prendraient à décider de participer selon leur désir à tel ou tel évènement. A contrario, dans ces jeux-spectacles chaque instant est planifié, encadré, policé : de la planification des billetteries et des sacrifices financiers qui leurs sont liés aux interdits de déambulation avant, pendant, voire même après les épreuves. Ces jeux éprouvent athlètes et spectateurs qui communient dans le respect des apprentissages liées au travail au 21è siècle. Toutes et tous ont incorporé le dépassement quotidien de soi dans l’application rigoureuse de la logique compétence qui se met en scène dans le culte hiérarchique des podiums dans les stades et des tableaux d’honneurs dans les lieux de travail. Malheur aux quatrième et suivants pour lesquels médailles et félicitations sont inexistantes à l’instar de la reconnaissance méprisée du travail effectué par la majeure partie de l’humanité.

 Le travail totalitaire n’a pas eu de médaille lors de ces jeux mais il en est l’incontestable MVP (Most Value Player), c’est à dire le concept le plus dynamique de l’exploitation dans le présent à venir !

Echapper aux modèles aliénants

Bertrand Russel dans son Éloge de l’oisiveté publiée en 1932 écrivait déjà : « La morale du travail est une morale d’esclave, et le monde moderne n’a nul besoin de l’esclavage ».

Un siècle s’est depuis écoulé sans que soit entravée cette domination triomphale ! On pourrait même dire que c’est devenu pire tant la marchandisation des rapports sociaux s’est étendue à tous les domaines de la vie quotidienne. Plus que de vous engager, on vous sollicite pour donner ! Plus que de militer, on vous propose de pétitionner ! Plus que de discuter, on vous demande de répondre à des sondages ! Plus que de manifester, on menace de vous verbaliser ! Plus que d’agir ensemble, on vous offre de voter puis de vous taire pendant cinq ans ! Au travail comme dans la cité, l’espérance d’une démocratie citoyenne qui s’impose pour gouverner a plusieurs fois surgi avant de se faire écraser de manière soft ou totalement violente. Et pourtant, existe-t ’il une autre issue possible pour s’en sortir ?

L’échec d’une mobilisation massive et unitaire comme dans la lutte pour préserver un peu de temps de vie à soi doit faire impérativement réfléchir dans ce sens. Les revendications étaient justes et raisonnables mais elles ont été piétinées par les servants du capital, car l’enjeu était pour lui de maintenir tant qu’il le peut les travailleur.e.s, la tête en bas, dans la narcose et la détresse. Faute d’affirmer un droit politique de vivre toute sa vie dans le bien-être, de le penser, de le débattre, d’en adopter ensemble les formules en imaginant des modalités démocratiques de consultations, il aura suffi d’un 49.3 pour siffler une fin prématurée et repartir vaincu.e.s. Les conditions d’une issue positive sont présentes en creux de cet échec. C’est dans l’autrement qu’elles se nichent, c’est dans l’autrement qu’il faut penser et agir pour se rapproprier dans le quotidien le temps à conquérir pour que la démocratie fasse sens et soit le fait de tous et non de quelques un.e.s !

Patrick Rozenblatt, engagé dans le mouvement social, a notamment participé à la fondation d'Agir ensemble contre le chômage (AC!) ainsi qu'à la création, à la fin des années quatre-vingt-dix, de L'Insoumis, un journal pour la démocratie. Sociologue du travail, professeur émérite de l’université de Lyon 2 et chercheur au Centre Max Weber, il a dirigé l’Institut d’études du travail de Lyon (IETL) et créé un master interdisciplinaire sur les inégalités et les discriminations.

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