La communication de Lafarge sur sa fusion dans le suisse Holcim, très enveloppée de bonnes paroles pour conforter les petits actionnaires par des messages rassurants sur la création de valeur attendue de cette perte d'identité française, marque en fait le vrai visage de Bruno Lafont, son PDG, qui soutenu par son conseil d'administration n'a que mépris pour ce petit monde de petits porteurs et fonds d'investissement. Cette mise en cause de l'éxécutif de Lafarge est justifiée dès la présentation des éléments clés du projet le 7 avril 2014 par l'annonce que le rapprochement proposé est conditionné à l'approbation des actionnaires de Holcim alors que, entrave outrancière à la plus élémentaire démocratie actionnariale, le vote des actionnaires de Lafarge à la prochaine assemblée générale du 7 mai ne sera pas sollicité. Au final, un an après l'annonce triomphaliste de Bruno Lafont sur les promesses de cette fusion, le succès de la mainmise du cimentier suisse sur le français trouvera un épilogue tragicomique pour Bruno Lafont avec l'annonce le 20 mars 2015 de sa mise à l'écart des responsabilités opérationnelles du nouveau groupe, un moindre mal comparé à l'acceptation par son conseil d'administration de la révision en faveur d'Holcim de la parité d'échange qui n'est plus d'une action Holcim pour une action Lafarge mais de 9 actions Holcim pour 10 actions Lafarge. Ultime démonstration de la position de faiblesse de Lafarge dans la dernière ligne droite de ses tractations avec le Suisse, le communiqué capitulard pour le Français du duo franco-suisse en date de ce 20 mars est libellé à l'entête de Zurich et Paris et non plus comme dans celui du 7 avril 2014 de Paris et Zurich.
Comment comprendre cette fusion marquée par la perte de contrôle d'un poids lourd de l'industrie française avec un chiffre d'affaires de 13 milliards d'euros, sans avancer deux hypothèses. La première serait liée à l'affaiblissement de la performance de Lafarge pour 2014 avec un manque de perspectives réelles résultant des annonces trop optimistes pour être perçues comme crédibles par les marchés. La seconde serait la conséquence de la fuite en avant de Bruno Lafont jouant de sa personne pour obtenir une promotion flateuse telle que publiée par le communiqué du 7 avril 2014, celle de CEO (Chief Executive Officer) du nouveau groupe.
Quittons le cas de Bruno Lafont dans cette affaire pour aborder la question de la passivité du gouvernement français devant le passage sous pavillon suisse d'un puissant groupe industriel tel Lafarge avec pour conséquence la menace toujours possible d'une réduction de ses rentrées fiscales au titre des résultats imposés en France, sans compter les pertes d'emplois, si d'aventure le nouveau groupe suisse aux commandes décidait unilatéralement d'y réduire ses activités pour des raisons stratégiques. L'équilibre de la gouvernance entre Holcim et Lafarge annoncé aujourd'hui est susceptible d'être remis en cause plus tard dans l'intérêt du Suisse qui contrôlera le capital. Pouvait-il en être autrement en l'absence de tout dispositif législatif pour protéger un outil industriel comme Lafarge en France de toute prise de contrôle et, éventuellement, d'un démantèlement ?
Autre débat, autre question, quelle est la motivation des deux grands actionnaires de Lafarge, GBL (Groupe Bruxelles Lambert) et NNS Holding Sarl, totalisant 34,80 % du capital, qui ont conclu des accords les engageant à soutenir l'opération même au prix d'une décote de la parité d'échange ? Très réalistes sur la capacité du management actuel de Lafarge pour faire progresser le groupe, ils préfèrent s'en remettre à l'efficacité de "l'horloger" suisse. Pour s'en convaincre, rappelons les promesses du nouveau business model avec une capacité exceptionnelle de génération de cash flow, le nerf de la guerre pour les investissements, alors que la grande faiblesse des chiffres clés publiés par Lafarge pour ses résultats 2014 est le recul de 21 % du cash flow libre !
Comment conclure sans dénoncer les échecs d'un certain management très surestimé de la sphère économique française. Après les pertes colossales des deux grandes banques, Société Générale et BNP Paribas, la vente surprise par Alstom de ses activités énergie à General Electric, voici que nous assistons au passage sous pavillon suisse d'un grand groupe, autrefois réputé bien français.