Clemenceau tel qu’en lui-même
Voici la lecture que j’ai faite de cette nouvelle biographie parue sous le titre Clemenceau. La richesse de ce petit livre de Sylvie Brodziak, connue pour ses recherches sur la personne de cette grande figure de la République, est de faire parler les textes pour nous aider à pénétrer la pensée politique et sociale du grand tribun. Qui mieux que ses discours à la Chambre des députés puis, plus tard, au Sénat pouvaient nous faire comprendre son combat pour construire la République. Comme le souligne l’auteur : Par tempérament et par conviction, Clemenceau refuse d’être patient … En janvier 1880, il fonde un journal La Justice « pour servir la politique de réformes » Le 22 août 1880, il en appelle au partie républicain (aujourd’hui tous les partis de gouvernement) à « ne plus connaître que les luttes pacifiques et fécondes de la libre discussion. Les questions les plus graves et les plus urgentes s’imposent à lui. Le temps des récriminations est passé. Il faut agir. Les réformes urgentes se pressent et s’imposent … » Comme il est encore rappelé : Clemenceau est particulièrement attentif aux réformes sociales.
Combien prémonitoire est ce constat formulé par Sylvie Brodziak à la lecture de son article du 1er août 1895 dans la Dépêche du Midi pour traduire l’opposition de Clemenceau à la colonisation : Prédatrice, la colonisation avide de profits saccage la nature et abîme le milieu autant que les hommes. A propos de la guerre du Tonkin, prenant à partie Jules Ferry pour sa politique coloniale, dans son discours à la Chambre du 27 novembre 1884, il conclut : « Messieurs. J’ai fini … Je vous supplie de cesser de répandre à profusion comme on le fait depuis une année l’argent français, le sang français, pourquoi ? Pour couvrir des fautes qui ne sont encore que les fautes de quelques hommes et qui demain seraient les fautes du parti républicain tout entier. »
Constatons que ce message de grand visionnaire ne sera pas écouté par les fauteurs de guerres coloniales que furent, à tour de rôle, Guy Mollet et de Gaulle, de 1945 à 1962, en Algérie pour le premier, en Indochine puis, plus tard, en Algérie pour le second.
Comment ne pas s’interroger, à propos de l’actualité politique que connait la France aujourd’hui, sur l’analyse par Sylvie Brodziak de la démarche de Clemenceau confronté à la question sociale : Quoique privilégiant la question sociale, Clemenceau repousse, au nom de la liberté, le socialisme et le communisme, et tout régime où l’Etat serait omniprésent … L’Etat doit réglementer mais ne peut tout gérer … Clemenceau est viscéralement allergique au cadre rigide d’un parti … Le parti, organisation conjoncturelle, peut, par ses pratiques et ses divisions, figer et miner sa propre idéologie, oublier ses intentions premières. Mais, il faut reconnaître que, confrontée de nouveau aux réalités du pouvoir comme président du Conseil, de 1906 à 1909, l’action de l’homme d’Etat est mise en échec avec cette appréciation de l’auteur, historienne des idées : Sa logique du maintien de l’ordre dans la République ne trouve pas le moyen pacifique de répondre à la violence ouvrière suscitée par l’hypocrisie des patrons. Contesté par la classe ouvrière et non soutenu par les siens, le gouvernement Clemenceau ne tient pas ses promesses. A l’inverse, Clemenceau conduit la politique extérieure de la France avec discernement et une grande mesure, entre 1906 et 1909, analyse Sylvie Brodziak, tel que démontré avec l’accord entre la France et l’Allemagne, les deux ennemis de 1870, à propos de la tutelle du Maroc.
Le Tigre, son surnom de légende, retrouve sa dimension de grand homme politique à l’automne 1917, fort de cette personnalité que souligne encore Sylvie Brodziak : Ainsi, à un moment où la France subit des revers et connait d’importantes tensions intérieures, Clemenceau, par son franc-parler et ses coups de gueule au nom de la patrie en danger, gagne non seulement la confiance de ses concitoyens mais aussi celle d’une partie du personnel politique. Le 13 novembre 1917, Raymond Poincaré, président de la République, se décide à l’appeler à la présidence du Conseil comme chef de guerre. Dès lors, il n’aura qu’un objectif « faire e la guerre. Rien que la guerre. » Il a 76 ans. Il sera d’autant plus autoritaire qu’il s’agit de sauver la France. Il s’affirme comme le seul conducteur de la guerre. Le 11 novembre 1918, Clemenceau devient à jamais « Le Père la Victoire ».
J’encourage la lecture de ce livre, modeste par son format, grand par sa concision, par tous ceux qui ne connaissent que la légende de Clemenceau dans l’imaginaire de notre mémoire historique. Sylvie Brodziak projette sur les idées et l’action politique de l’un des pères fondateurs de la République, un regard lucide mais reconnaissant pour l’œuvre accomplie au cours d’une si longue carrière au service de la France.