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Billet de blog 16 octobre 2022

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Une Nobélisée pour tous

Ce prix Nobel a couronné une femme osons le dire du peuple et en avance sur son temps dans un parcours de femme libre. Elle a mis au service de son langage de vérité un talent littéraire à la portée de tous et qui fait son talent universaliste.

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Oui, une Nobélisée pour tous car lisible par tous. Sur seize prix Nobel de littérature attribués à la France Annie Ernaux est la première femme élue par l'Académie suédoise. En d'autres temps la nation toute entière aurait été soulevée de joie et de fierté par cette récompense suprême qui distingue notre pays à travers cette femme écrivaine peu connue jusqu'ici si ce n'est de certains cercles littéraires dont les critiques méprisantes ont été relayées souvent avec complaisance par la presse. Annie Ernaux dans un de ses entretiens sur France Culture a rappelé que ses premiers écrits ont été jugés du niveau des magazines pour midinettes. Pour lever cet ostracisme Annie Ernaux qui menait une carrière d'enseignante avec son seul CAPES passa l'agrégation de lettres modernes. 

Dès la lecture des premières pages d'un ouvrage de notre Nobélisée ce qui saute aux yeux est la clarté de ses phrases souvent courtes avec l'emploi de mots qui sont justes et qui ne nécessitent pas la consultation d'un décrypteur. Pour les personnes de ma génération qui ont partagé le même enthousiasme pour la récompense attribuée à Annie Ernaux et pour Camus en 1957, le parallèle pour des personnalités si différentes pour la place qu'elles occupaient dans la vie publique reposait sur la facilité de lecture et de compréhension de leur prose à  l'image de La Peste. Pour le lecteur moyen auquel je m'identifie, ce prix Nobel nous fait partager un art de penser et de s'exprimer à la portée de tous contrairement à ces grands philosophes issus des meilleures écoles et Universités qui à l'image d'un Michel Foucault n'écrivent que pour les leurs c'est-à-dire un cercle étroit d'érudits qui sans pratiquer la langue de bois ne déclinent leurs raisonnements qu'en s'inspirant des grands noms de la pensée humaine.

Les Années est l'ouvrage recommandé pour entrer en littérature avec l'autrice. Sa lecture orale à plusieurs voix est disponible sur le site de France Culture. L'exercice d'une durée  de quatre heures s'est révélé un enchantement. Le récit se déroule en dix volets rythmés de l'un à  l'autre avec des chansons et chanteurs illustrant chaque époque. Ces Années sont annoncées par la présentation d'une photo, la première celle de l'écrivaine bébé et la dernière la femme d'aujourd'hui grand mère et sa petite fille sur ses genoux. Moi-même dans cette classe d'âge je me suis reconnu dans les moindres détails de cette vie d'enfant et d'adolescent de l'après guerre. Annie Ernaux a bénéficié de l'ascenseur social sans rendre sur le moment tout ce qu'elle doit moralement à  ses parents et son père en premier.Elle s'en acquitera au moment de leur disparition mais là n'est pas l'essentiel. Annie Ernaux nous donne un récit osé de sa puberté et de son parcours amoureux à l'âge mûr en femme de chair et de sang. Elle dévoile  sa vie intime qui est celle de madame tout le monde pour peu qu'elle le confesse. Elle donne à sa vie sexuelle de femme accomplie toute l'importance qu'elle lui doit après s'être libérée de tous les tabous de son époque. Mais l'intérêt de ce livre ne se limite pas à ses confessions de femme libre à  l'écoute d'elle même pour le plus grand profit de ses lectrices et pourquoi pas de ses lecteurs. Annie Ernaux commente les événements de son époque pour s'arrêter sur le choc de la chute de Jospin en 2002 devant un Le Pen dont elle retrace en des termes inégalés tout ce qu'il y a d'hideux dans les dénonciations du personnage. C'est une femme de gauche fidèle à ses convictions qui remontent à vrai dire à ces moments passés dans son enfance à  écouter dans le café épicerie tenu par ses parents les propos échangés entre sa mère et les clients des faubourgs oubliés de sa petite ville d'yvetot.Elle avait compris la dureté de la vie de ces laissés-pour-compte d'une petite bourgeoisie locale peu partageuse. Je n'ai que le regret qu'elle soit passée à côté de la guerre d'Algérie qui a marqué son époque et pour dénoncer l'utilisation faite des appelés du contingent par l'armée pour briser la révolte algérienne. J'en veux pour seule explication le fait que cette guerre d'Algérie n'a pas touché ses proches.

Ce prix Nobel a couronné une femme osons le dire du peuple et en avance sur son temps dans un parcours de femme libre. Elle a mis au service de son langage de vérité un talent littéraire à la portée de tous et qui fait son talent universaliste.

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