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Billet de blog 2 juillet 2013

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L'Altersummit, tentative de bilan

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Pour un certain nombre d'organisations de la gauche européenne, les Forums sociaux ont été des lieux de réflexion et de rencontres particulièrement utiles, à l'instar des Forums sociaux mondiaux organisés à partir de 2001. Mais ce "modèle" a progressivement épuisé son caractère innovant et productif. D'où l'idée, depuis deux ou trois ans, de changer de formule et, surtout, de mieux intégrer les grands syndicats et des personnalités politiques de la "gauche radicale" dans le processus. Ce qui a conduit à la première expérience d'Altersummit, qui s'est réuni à Athènes, pour des raisons symboliques évidentes, les 7 et 8 juin derniers. Le texte qui suit est une première tentative de bilan, à partir d'une expérience qui reste bien évidemment à confirmer et à compléter

Quelques réflexions sur l'Altersummit (Athènes, 7-8 juin 2013)

La réunion d'Athènes a montré une fois de plus la capacité d'un certain nombre d’acteurs du mouvement social européen à organiser des débats qui, dans l'ensemble, traduisent bien les grandes préoccupations des populations européennes. De ce point de vue, la rédaction du Manifeste des peuples élaboré au cours des derniers mois mais aussi le simple énoncé du programme de l'Altersummit montrent les progrès accomplis depuis les premiers forums sociaux européens il y a plus de 10 ans maintenant.

Ce qui est évidemment positif et peut constituer un stimulant pour les luttes nationales aussi bien que pour les actions à vocation européenne, malgré les difficultés connues pour organiser les convergences à ce niveau. Une question-clé pour une initiative comme l'Altersummit est évidemment de savoir dans quelle mesure elle permet de surmonter ces difficultés et, par conséquent, de favoriser une issue politique qui apparaît aujourd'hui fort incertaine. C'est là précisément que le Forum social européen avait échoué, ce qui a été la cause principale de l'impasse dans laquelle il s'est retrouvé, notamment après les expériences assez négatives de Malmö (en 2008) et Istanbul (en 2010).

Une autre dimension de ce type d'initiative est importante : c'est l'écho rencontré dans le pays d'accueil. Idéalement, une manifestation comme l'Altersummit devrait stimuler l'activité de la gauche de transformation dans le pays d'accueil. C'est d'ailleurs une des raisons pour laquelle Athènes a été choisie1. L'acquis des forums sociaux est inégal de ce point de vue : si le départ fut tonitruant avec une énorme manifestation à Florence en 2002, dont on peut penser qu'elle a eu un impact certain sur la gauche politique et syndicale italienne (pas très durable malheureusement !), les derniers forums ont sous cet angle aussi été plutôt un échec (peu de participation suédoise, notamment syndicale, à Malmö, absence quasi totale des organisations turques à Istanbul). À cet égard, l'Altersummit relève plutôt de cette dernière catégorie. La manifestation de clôture de l'Altersummit a été en effet moins nombreuse que les précédentes (y compris celles des derniers forums sociaux européens). Ce qui traduit le nombre plus réduit de participants à l'Altersummit (moins de 3000 probablement), ce qui était en partie voulu. Mais aussi, ce qui est plus étonnant, une implication très faible des organisations grecques.

I. L'Altersummit comme lieu de convergences et d'élaborations politiques

Les difficultés de ce point de vue ont des aspects internes au mouvement social lui-même : hétérogénéité des situations et par conséquent des urgences nationales, inégal développement des courants antilibéraux, etc. Mais il y a aussi, et peut-être avons-nous trop tendance à l'oublier, tout au moins à le sous-estimer, la tendance des instances européennes (principalement de la Commission) à organiser un espace public européen où les lobbies – il en existe de gauche – et les stakeholders2 sont considérés comme des interlocuteurs représentant l’intérêt général alors que l'on refuse aux peuples la capacité de donner leur avis sur les grandes questions qui se posent aujourd'hui à l'UE et dans l'UE. Ce qui est certainement un frein aux mobilisations sur les questions européennes, l'espace européen apparaissant comme très lointain et le sentiment d'impuissance étant dominant. Sauf pour les groupes et organisations qui, devant la difficulté à se faire entendre par les instances européennes, ont fini par considérer que le fait d'être écoutés (ou être admis comme un interlocuteur) était un objectif en soi, indépendamment du résultat. C'est le reproche qui a longtemps été fait à la CES, dont l'action, selon les syndicats les plus critiques, visait d'abord à se faire « reconnaître » comme « interlocuteur » par la Commission. Ce qui pouvait la conduire, pour ne pas compromettre cet objectif, à refuser de mettre en cause en quoi que ce soit la façon dont les politiques européennes étaient décidées et mises en oeuvre.

Le Manifeste constitue un formidable acquis en matière d'analyse et de propositions alternatives. Il l'est aussi à travers le renversement opéré dans le processus d’élaboration de ce texte. Pour la préparation et la conduite des forums sociaux, le leadership était en effet assuré par une conglomérat assez improbable de personnes dont la représentativité était parfois plus que contestable (s'agissant par exemple du mouvement syndical français, il y avait une sorte d'exclusivité au bénéfice de Solidaires et des tendances minoritaires de la FSU, la CGT se tenant et étant tenue à l'écart ; plus généralement, les groupes d'extrême-gauche étaient très fortement représentés). A partir de Malmö, et via la Joint social conference, les syndicats membres de la CES (et la CES elle-même, malgré quelques limites), mais aussi Transform ! (et ainsi, indirectement, les forces de la gauche alternative ayant une représentation parlementaire au Parlement européen mais aussi au plan national) et les associations de lutte comme Attac ou Copernic, ont joué un rôle moteur. Ce qui a eu pour effet de laisser moins d'espace aux innombrables ONG concentrant leur réflexion et leurs actions sur des objectifs certes respectables mais très « pointus », ONG qui avaient progressivement investi les forums sociaux en les détournant de leur objectif initial (créer les convergences pour des luttes d'ensemble au niveau européen). Ce qui était une des causes (pas la seule cependant !) du fait que la « production » de l'assemblée des mouvements sociaux se résumait à un catalogue de mobilisations d'importance très inégale et sans beaucoup de liens immédiats entre elles.

L'Altersummit a-t-il constitué un progrès de ce point de vue ? La réponse donnée ici à titre individuel ne peut être que partielle, compte tenu du fait que personne n'a assisté à toutes les activités et qu'il n'y a pas eu jusqu'ici d'analyse collective d'ensemble (le texte du communiqué de presse final, à vocation essentiellement de communication, ne pouvant jouer ce rôle).

L'Assemblée plénière au soir du premier jour avait pour objectif la présentation du Manifeste de l’Alter Sommet, des interventions sur les luttes et les soutiens européens. Suivie par quelques centaines de participants, elle pouvait difficilement être autre chose qu'une sorte d'auto-célébration de ce qui avait été réalisé au cours de la préparation de l'événement. Ceux qui attendaient une réflexion sur la situation politique en Europe et les stratégies possibles pour la gauche de transformation seront peut-être restés sur leur faim. Des questions politiques fondamentales comme : comment expliquer que la gauche « radicale », la seule force à proposer des politiques réellement alternatives, tire si peu de bénéfices (électoraux) de l'aggravation de la crise et continue à plafonner autour de 10%, sauf en Grèce où l'effondrement du Pasok a créé une situation particulière ? Ou, ce qui est une autre façon de formuler la même question (au fond, celle du manque de confiance dans la capacité du politique à trouver des solutions), comment expliquer que les mouvements sociaux de grande ampleur de ces dernières années (à quelques exceptions près) se développent généralement à la marge des partis politiques et même du mouvement syndical, quelques fois même contre eux, tout au moins dans l'esprit de quelques-uns de leurs animateurs ? Ces questions restent donc ouvertes après l'Altersummit d'Athènes.

S'agissant des autres activités, j'ai suivi une « rencontre des réseaux de lutte » (sur le logement et les expulsions) et une « assemblée de l'Altersummit » (Face à la pauvreté, des droits sociaux pour tous). La première (avec une participation assez réduite, une cinquantaine de personnes) a été l'occasion de présenter un dispositif déjà arrêté par un réseau existant (avec y compris quelques actions de caractère plutôt symbolique au niveau européen, la grande diversité des situations selon les pays rendant très difficile à envisager l'idée même d'une action transnationale). En même temps, elle a permis, au moins potentiellement, d'élargir ce réseau aux quelques organisations participant à l'Altersummit et non encore associées au réseau. On peut donc penser qu'il y aura une coordination européenne plus forte. Ce qui ne diffère pas fondamentalement de ce qui était déjà réalisé avec les forums sociaux et reste assez éloigné de l'objectif retenu pour l'Altersummit (ne pas faire de catalogue de mobilisations pour l’année mais rechercher quelques propositions qui pourraient mobiliser l’ensemble des Européens).

Cet écart par rapport aux intentions initiales m'a semblé encore plus marqué dans le débat sur la pauvreté. Il était animé par les représentants des principaux réseaux qui agissent au niveau européen, soit pour un salaire minimum, soit pour une revenu décent « sans conditions » pour tous. Ce qui a conduit les intervenants à présenter très longuement leur activité (soit à travers une « initiative citoyenne », au sens du traité de Lisbonne pour le revenu de base sans conditions, soit directement auprès de la Commission et du Parlement européens, dans le cadre du système très officiel des lobbies enregistrés). En n’omettant pas, bien entendu, les querelles de spécialistes entre des personnes qui agissent pour une seule revendication depuis quinze ou vingt ans, voire davantage. L'objectif « politique » de ces réseaux est de convaincre la Commission européenne, seule habilitée à le faire, de proposer un acte législatif (directive) reprenant leur revendication. Paradoxalement, la seule présentation de nature un peu « politique » était celle d'un chercheur britannique mettant en cause le soutien à l'État-providence, qui aurait « endormi » la classe ouvrière en la privant des innovations sociales « autonomes » qu'elle a su inventer au dix-neuvième siècle (coopérative et mutuelles autogérées, etc.). Mais je ne préconise évidemment pas de reprendre cette analyse !

En somme, comme pour les forums sociaux, la difficulté demeure : comment « politiser » (c'est-à-dire inscrire dans une conception d'ensemble des alternatives) des questions et une action des associations qui, que ce soit pour le logement ou contre la pauvreté, est évidemment tout à fait respectable et nécessaire en l'absence d'une autre politique.

II. L'Altersummit et la Grèce

La Grèce nous a habitués depuis plusieurs années maintenant à de fortes mobilisations sociales contre les injonctions de la Troïka mais aussi pour soutenir les propositions de Syriza. On pouvait donc s'attendre légitimement à une forte participation « locale » à l'Altersummit. Cela n'a été le cas ni pour l'Altersummit proprement dit, ni pour la manifestation qui a marqué la clôture de l'événement.

Au cours des débats, la participation grecque était souvent réduite à l’animation des tables-rondes de présentation des ateliers et des assemblées. Certes, la question de la langue a pu constituer un frein, mais le grec figurait toujours, avec l'anglais et le français, parmi les langues bénéficiant de la traduction simultanée. On a parfois aussi avancé l'idée d'une certaine fatigue militante en Grèce, après des mois d'activité revendicative. Pourtant, il faut bien reconnaître que cette idée a été totalement invalidée depuis après les manifestations qui ont suivi la tentative gouvernementale de mettre un terme à l'activité de la radiotélévision nationale ERT.

Il semble donc qu'il faille réfléchir encore à la pertinence de la croyance en la possibilité d'assurer une forte participation nationale à un événement qui, comme l'Altersummit aujourd'hui (celui d'Athènes tout au moins) et les forums sociaux européens de naguère, est à peu près totalement piloté et financé de l'extérieur, tout au moins quand il s'agit de pays supposés être dans l'incapacité de le faire seuls3. Cette non-participation locale s'inscrit en effet dans un mouvement continu auxquels peut-être seuls les forums sociaux de Florence et de Saint-Denis ont échappé.

Cela ne veut pas dire, bien sûr, que la poursuite des Altersummits serait inutile. Mais il me semble que, pour qu'ils puissent répondre aux objectifs fixés, c'est-à-dire favoriser les convergences politiques et stimuler le mouvement d'ensemble qui s'impose en Europe, il faudra continuer à réfléchir aux modalités d’organisation, à la façon de poser et de traiter les questions, de créer les synergies avec les mouvements « réels » dans chaque pays et plus particulièrement le pays d'accueil.

Louis Weber

Juin 2013

1L'idée de l’organiser au vélodrome olympique, en plein centre des installations construites pour les Jeux olympiques de 2008 et à l’abandon aujourd'hui, constituait un symbole fort, tant ces installations symbolisent la politique de gabegie et à courte vue des partis traditionnellement au pouvoir en Grèce.

2Partie prenante parce que supposés d'être porteurs d'un intérêt (d'un groupe particulier, en principe) à défendre.

3Peut-on totalement écarter l'idée que cette situation crée une réticence du fait même qu'elle peut être vécue comme humiliante au plan local, au moment où les rapports de domination en Europe (voire néo-coloniaux) redeviennent des questions qui font débat ? De ce point de vue, quel a pu être l'impact auprès de la population athénienne d'une manifestation ressemblant fort, par les banderoles, les drapeaux et les slogans, aux manifestations parisiennes vues à la télé ?

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