Un texte d'appel est en train de circuler pour signature dans les milieux "intellectuels", à l'initiative de Frédéric Lebaron, Claude Poliak et Louis Weber. Il exprime une opposition ferme à toute intervention militaire "punitive" en Syrie et insite sur le fait que les intellectuels ne peuvent pas rester silencieux devant le danger d'une telle aventure.
Pour le signer, envoyer un message avec éventuellement qualité et institution à weberlouis@gmail.com (tel : 06 80 98 76 59)
Texte de l'appel
Les attaques à l’arme chimique perpétrées en Syrie le 21 août confirment l’horreur d’une guerre civile qui a déjà fait plus de 100 000 victimes et qui crée une très grave crise humanitaire dans l’ensemble de la région.
Une solution politique et une réponse humanitaire d’ampleur à cette guerre civile sont plus urgentes que jamais et toutes les parties concernées au niveau régional et international, y compris la Russie, doivent y contribuer énergiquement.
Le déclenchement de la mécanique malheureusement connue d’une intervention des puissances occidentales hors de tout cadre légal est, à l’opposé, particulièrement dangereux et menace d’aggraver encore un peu plus la crise.
On ne peut agir avec efficacité et légitimité que sur la base d’une connaissance des faits solidement établie, et notamment de la responsabilité des uns et des autres – régime dictatorial de Bachar el Assad et opposition armée – dans l'utilisation des armes chimiques. Et non sur celle de l’affirmation répétée d’un credo, fût-il relayé ad libitum par le système médiatique occidental. Le précédent irakien devrait ici servir d’expérience et inciter à la prudence.
En tout état de cause, une action hors du cadre de l’ONU, au nom d’une « mission » particulière des puissances occidentales, n’aura pour conséquence que le discrédit de l’ONU et une régression accrue de la crédibilité du droit international. C’est le principe même d’une intervention unilatérale de quelque État que ce soit qui nous semble inacceptable, et qui traduit en réalité une vision désormais dépassée de l’ordre mondial. Aucun État n’incarne une justice ou une morale supérieure à celle de la communauté internationale sous sa forme organisée, et c’est seulement en améliorant le fonctionnement des institutions internationales, non en les contournant et en les ridiculisant, que l’on pourra à l’avenir combattre les crises aiguës de cette nature.
Dans ce cadre, la position du gouvernement français, selon laquelle une intervention est nécessaire quel qu’en soit le cadre, est aujourd’hui non seulement moralement condamnable, mais aussi politiquement aberrante. Comment la France peut-elle être à la pointe de la réédition d’une opération de police internationale voulue par les États-Unis, analogue à celle qui a conduit au déclenchement de la guerre en Irak, dont le bilan se chiffre aujourd’hui en centaines de milliers de victimes, et après avoir contribué à accroître le chaos en Libye en outrepassant la mission concédée par l’ONU ? Comment la France peut-elle accepter le contournement du droit international, alors qu’elle avait fait de son respect un principe d’action depuis le précédent de 2003 ? Au nom de quelle supériorité morale, enfin, la France, ancienne puissance coloniale, peut-elle aujourd’hui continuer à agir comme au dix-neuvième siècle, en considérant le Moyen-Orient comme un terrain naturellement acquis à ses intérêts et à sa vision du monde ?
Nous appelons l’ensemble des parlementaires sollicités mercredi pour un débat sur la légitimité de cette intervention militaire à prendre clairement position contre la participation française et à œuvrer sans plus tarder à la recherche rapide d’une issue politique au conflit syrien, avec tous les États concernés.
Premiers signataires :
Frédéric Lebaron, sociologue, université de Versailles-Saint Quentin en Yvelines
Claude Poliak, sociologue, CNRS
Louis Weber, coordinateur de la rédaction de la revue Savoir/agir