La FSU dans et avec le « mouvement social » au cours de la décennie 1990-2000
Sollicité dans le cadre de la préparation d'une exposition sur la FSU, j'ai rédigé ce bref texte, qui est avant tout basé sur des souvenirs personnels, avec le risque que cela comporte (oublis, sur ou sous-estimation des faits, etc.). Pour qu'il ait quelque valeur, il faudra évidemment le confronter aux sources (les archives de l'époque sont aujourd'hui à Roubaix, au Centre des archives du monde du travail) et aux témoignages d'autres personnes ayant vécu cette période.
La FSU dans et avec le « mouvement social » au cours de la décennie 1990-2000
Sollicité dans le cadre de la préparation d'une exposition sur la FSU, j'ai rédigé ce bref texte, qui est avant tout basé sur des souvenirs personnels, avec le risque que cela comporte (oublis, sur ou sous-estimation des faits, etc.). Pour qu'il ait quelque valeur, il faudra évidemment le confronter aux sources (les archives de l'époque sont aujourd'hui à Roubaix, au Centre des archives du monde du travail) et aux témoignages d'autres personnes ayant vécu cette période. Mais, tel qu'il est, il peut, à mon avis, intéresser celles et ceux qui cherchent des récits donnant à voir des aspects souvent méconnus de l’ascension de la FSU dans les années 1990, qui s'est révélée irrésistible alors que beaucoup, et notamment dans le camp de l'ancienne fédération de l'Education nationale, croyaient en avoir fini avec un syndicalisme à maints égards original dans ce secteur de la Fonction publique.
Quelques précisions à propos de mes fonctions à l'époque. Membre du secrétariat général du SNES (avec Monique Vuaillat, Pierre Toussenel et moi-même étant ses adjoints. L'habitude aujourd'hui prise des co-secrétaires généraux n'existait pas encore). J'étais en même temps secrétaire général de la fédération internationale des professeurs de l'enseignement secondaire officiel (FIPESO) et, à ce titre, membre du Comité mondial de la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE), une des quatre internationales de l'enseignement qui existaient alors (des fusions vont intervenir très rapidement). Ironie du sort, je siégeais dans cette instance en même temps que Jean-Claude Barbarant, le secrétaire général du SNI-PEGC, qui allait être, de façon plus ou moins consentante disait-on, un des artisans de l'éclatement de la FEN. J'étais donc tout « désigné » pour m'occuper des questions internationales et de celles, souvent liées, des droits et des libertés, dans le (petit) groupe qui allait à partir de 1993, constituer la première équipe proprement fédérale au sein de la FSU.
A. Pour commencer, quelques éléments du contexte.
Le fait est, ce qui constituait d'ailleurs un paradoxe, que la FSU a très rapidement pris la place de la FEN dans le domaine où, paradoxalement, celle-ci avait été le moins contestée par sa principale minorité, Unité Action : celui des droits, libertés, etc.
On peut risquer plusieurs explications à cela, qui doivent être comprises comme complémentaires et non pas exclusives l'une de l'autre :
Paradoxalement, les équilibres internes à la FSU, encore instables et sources de tensions entre les syndicats nationaux, ont joué un rôle dans sa visibilité externe. Pour les syndicats membres, échaudés par l'expérience de la FEN et la tentative de celle-ci d'élargir constamment le champ fédéral, il n'était pas question de laisser à la nouvelle fédération une prise trop grande sur ce qui faisait leur cœur de métier : la pédagogie (c'est-à-dire la politique éducative) et le corporatif (à l'exception des questions de fonction publique, où seule la FSU était connue et reconnue par le ministère compétent. Mais le mode de fonctionnement était dans ce cas plus intersyndical que proprement fédéral). Les commissions et autres instances fédérales dans ces domaines fonctionnaient donc au mieux comme des organes de coordination, sans réelle activité concrète (le ministère traitait en effet ces questions avec les syndicats nationaux, qui n'avaient nullement l'intention de céder la place). Restait donc pour l'activité fédérale entre autres l’immense champ des droits, libertés et de la solidarité internationale. La prééminence fédérale y était d'autant plus facilement admise que les syndicats nationaux, à l'exception du SNES, n'avaient ni les forces, ni les compétences pour le faire et que les partenaires potentiels (associations, mouvements, autres syndicats) s'adressaient spontanément à la FSU en tant que fédération syndicale de l'enseignement plutôt qu'à tel ou tel syndicat plus spécialisé. Ce qui n'allait cependant pas sans mal, les syndicats insistant souvent pour être ès qualités membres de tel ou tel collectif, même lorsque la FSU y était et/ou qu'elle en était l'élément moteur (ce qui était fréquent compte tenu de sa taille et de ses moyens matériels). Ce qui ne manquait pas de susciter l'étonnement chez nos partenaires. Par ailleurs, si le terme « solidarité internationale » a été retenu, on verra plus loin que c'est parce que les syndicats ayant déjà une présence internationale (le SNES, le SNETAA, le SNESUP dans l'enseignement supérieur notamment) ne tenaient nullement à voir la FSU prendre la relève. Étonnement là encore, dans les instances internationales cette fois !
Si la FSU a été d'emblée choisie comme interlocuteur privilégié par de nombreuses associations, c'est aussi parce que la deuxième moitié des années 1980 a été marquée par divers événements qui ont été à l'origine de rapprochements jusqu'alors inédits à la gauche du Parti socialiste. Il ne peut pas s'agir ici de faire œuvre d'historien, ce qui ne serait pas à ma portée. Mais divers faits me paraissent devoir être relevés, qui auront leur importance par la suite. Des relations au départ plutôt individuelles se sont par exemple nouées entre militants Unité Action plus ou moins dissidents du Parti communiste et de sa mouvance et militants de la LCR. C'était l'époque aussi de « dissidences » comme celles de Charles Fiterman, entraînant à sa suite des militants agissant dans des structures diverses et qui ne se rencontraient pas toujours auparavant.
Quelques faits pour illustrer cela de façon concrète. Quand le syndicat SUD-Ptt s'est créé en 1988 à la suite de la grève du tri postal et des exclusions prononcées par la direction de la CFDT, Christophe Aguiton s'est adressé au SNES pour solliciter conseils et aide. Il est venu me voir au siège du syndicat (je le connaissais pour des raisons personnelles) et je l'ai mis en relation avec Jean-Louis Auduc et le secteur spécialisé dans le droit syndical qu'il animait. D'autres relations se sont nouées avec la « gauche CFDT » (pour l'essentiel des militants de la LCR, plus ou moins en rupture de ban pour certains), où Pierre Toussenel, Pierre Cours-Salies, François Labroille et René Mouriaux ont joué entre autres un rôle actif. Ce qui évidemment était porté à la connaissance des militants de l’École émancipée liés à la LCR (Danièle Czal notamment, mais aussi des personnes comme Alain Cyroulnik ou Anne Leclerc, etc., qui allaient jouer un rôle important dans l'arrivée très précoce à la FSU de syndicats comme le SNPES-PJJ). Il serait intéressant de faire témoigner tout ce monde sur le rôle que la LCR a joué à ce moment-là pour faire advenir ces nouvelles alliances (nommément entre trotskistes et sympathisants communistes, membres ou non au demeurant des partis politiques concernés), impensables au cours de la décennie précédente et qui, de mon point de vue, ont été historiquement une des causes de l'image de dynamisme de la FSU à ses origines (contrairement à l'image de ses grands syndicats !).
Une des premières initiatives qu'on peut considérer comme structurante a été la création de Ressy en 1992. L'objectif était de rassembler des « syndicalistes d'appartenance diverse, mais qui avaient en commun la volonté de ne pas se résigner à l'accommodement avec l'ordre social existant : dans ce domaine aussi, il fallait oser le rapprochement, le coude à coude, le tous ensemble » et des « chercheurs de toutes disciplines ». On peut noter les éléments de langage, dont certains allaient faire fortune (le « tous ensemble », par exemple, ou la transformation sociale), alors que d'autres sont moins utilisés aujourd'hui (le syndicalisme d'accommodement ou d'accompagnement, qui servait à cette époque à « disqualifier » de façon globale ce que pouvaient incarner la majorité de la CFDT ou de la FEN). En revanche, dans le long texte du manifeste fondateur, on ne trouve pas le mot libéralisme et encore moins l'ultralibéralisme, ce qui aurait été impensable dix ans plus tard. Ressy a permis au cours de la décennie 1990 un premier travail en commun entre la gauche CFDT et par exemple Unité et Action (plus crûment : entre les militants éventuellement dissidents de la LCR et les militants de tradition communiste, plus ou moins dissidents eux aussi et/ou rénovateurs). On voit apparaître aussi les syndicats qui seront quelques années plus tard parmi les initiateurs d'ATTAC et de la Fondation Copernic : des fédérations de la CFDT (Finances, FGTE), de la CGT (Finances, UGICT), la FSU et ses syndicats, les syndicats qui allaient quelques années plus tard créer Solidaires (SNUI, Sud-PTT, etc.), l'UNEF. Le spectre allait d'ailleurs s'élargir avec l'entrée d'un représentant du SE-FEN. Jacques Kergoat était le président de Ressy, où figuraient aussi nombre de chercheurs. Ressy continuera ses activités (colloques, notamment sur le travail et sur le syndicalisme, publication d'ouvrages, notamment chez Syllepse dont c'est aussi l'entrée en scène, universités d'été, interventions dans les formations syndicales, etc.) jusqu'à la fin des années 1990.Il ne s'agit évidemment pas d'établir un lien mécanique entre ces divers facteurs (auxquels il faudrait évidemment ajouter la perte totale d’attractivité de la FEN de cette époque, dont un des symptômes marquants a été l'important gain d'adhérents d'un syndicat comme le SNES dès après son exclusion de la FEN). Ce qui était à l'exact opposé des espoirs et des calculs des dirigeants syndicaux ou politiques qui avaient orchestré la scission de la FEN et sa disparition en pariant, chute du mur de Berlin aidant, sur la fin de l'influence des communistes dans les syndicats. Mais la diversité politique au sein de la FSU (gauche/extrême-gauche bien sûr, ce qui était nouveau, et non pas gauche/droite ou gauche/centre), jointe à la diversité professionnelle, avec des syndicats d'autres ministères particulièrement dynamiques, ont eu un effet que je juge très positif a posteriori sur l'image de la FSU auprès de l'immense nébuleuse des organisations et collectifs avec lesquels nous avons travaillé au cours des années 1990 (j'ai quitté mes fonctions en juin 1999 et ne peut donc guère parler de la suite). Et, comme on peut s'en douter, cela fonctionnait en boule de neige, avec des effets collatéraux inattendus. Un exemple : nous rencontrions les organisations de jeunesse (FIDL, UNEF(s), autres mouvements lycéens) dans divers collectifs, que la FEN ignorait ou boudait. Ce qui a fait que ces organisations s'adressaient spontanément à la FSU, alors qu'elles auraient « logiquement » (c'est-à-dire compte tenu des courants politiques dominants en leur sein) dû être dans la mouvance de la FEN, quand elles avaient besoin d'un service. Cela pouvait aller du tirage de tracts à la mise à disposition de salles, etc.
Les personnes que je cite ci-dessus sont celles qui me reviennent spontanément en mémoire parce que j'ai été personnellement en contact avec elles le plus souvent. J'en oublie sûrement ! Mais d'autres personnes ayant vécu cette période en citeront peut-être d'autres.
B. Quelques initiatives en France
Le collectif laïque, dit du 16 janvier : il tient une place à part dans la montée en ligne de la FSU. La laïcité était en effet un sujet où la majorité fédérale s'était montrée plutôt à l'offensive jusque-là. Cela restait d'ailleurs vrai car la toute jeune FSU n'avait guère réagi au vote en juillet 1993 par le Sénat de la loi Bayrou supprimant les limites au financement des établissements privés du second degré fixées par la loi Falloux. La FEN, par contre, n'a cessé d'intervenir sur ce dossier dès le mois de juin, malgré les divergences apparues à ce sujet en son sein entre le syndicats des enseignants (SE-FEN) et la FEN elle-même. Quand le gouvernement Balladur a décidé de faire passer le projet de loi devant l'Assemblée nationale en décembre 1993, le SNUIPP a réagi par un mot d'ordre de grève sans être suivi par les autres syndicats de la FSU (la FEN en avait lancé un pour sa part). Les réunions se sont succédé sous l'égide de la FCPE pendant la première quinzaine de janvier 1994, maintenant la manifestation prévue pour le 16 janvier malgré la décision du Conseil constitutionnel de vider la loi d'une grande partie de sa substance. Dans cet environnement très Comité national d'action laïque (CNAL), en principe donc favorable à la FEN, les élections professionnelles de décembre 1993 avaient produit un certain effet avec le score inattendu obtenu par les syndicats de la FSU et notamment le SNUIPP. À ma grande surprise, nous étions plutôt écoutés au cours des réunions et avons pu imposer un ordre du défilé très favorable à la FSU (avec la Bretagne en tête !) alors que la FEN s'y était très fortement opposée (prônant la règle selon laquelle les sections les plus éloignées de Paris devaient défiler en tête, soit l'Aquitaine, encore majoritairement acquise à la FEN). À ce moment-là, avec le soutien de la Ligue de l'enseignement et, pendant un temps, de la FCPE, lasses de la domination de la FEN, nous avons cru pouvoir défaire le CNAL et le remplacer par le Collectif du 16 janvier, beaucoup plus large et reconverti à cette fin en Carrefour laïque. Celui-ci a fonctionné pendant quelques mois, boudé par la FEN. Ce que confirme le secrétaire général de la FEN de l'époque, Guy Le Néouannic. Dans un texte présenté devant le Centre Henri Aigueperse, le centre de recherche de l'UNSA, il écrit ainsi, après avoir noté que la FEN venait de subir une défaite aux élections professionnelles, : « Et ce Carrefour était pour la FSU un extraordinaire vecteur de propagande démagogique dont le héraut était Louis Weber. La FEN, je dois le reconnaître, ne fit donc rien pour la faire vivre ». Mais l'actualité a fait ensuite que nous sommes passés à autre chose, laissant le CNAL occuper seul le terrain.
Personnellement, j'ai toujours été convaincu que l'immense succès du 16 janvier sur un sujet qui était devenu beaucoup moins conflictuel ne peut se comprendre si on ne tient pas compte du fait que la gauche – et singulièrement la gauche socialiste – avaient absolument besoin de revenir dans le paysage après la déroute électorale de l'année précédente. En ce sens, le mouvement social, terme qu'on n'utilisait cependant pas à l'époque dans son sens actuel, a permis à la gauche de retrouver des couleurs à peu de frais (ce qui ne veut pas dire évidemment qu'il faut chercher là une cause du mouvement lui-même !).Le Collectif national pour les droits des femmes : en janvier 1995, un événement a fait craindre des reculs en matière d'avortement et de contraception, à savoir le défilé de 10 000 femmes opposées à la législation alors en vigueur. Cette manifestation a eu lieu au moment où les actions contre les cliniques pratiquant l'IVG se multipliaient un peu partout. Sous l'impulsion de Maya Surduts et d'autres militantes, un collectif national a commencé à se réunir. J'y participais pour la FSU dès le début avant que Anne Leclerc et d'autres ne prennent le relais. C'est la CADAC (coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception) qui était la colonne vertébrale du mouvement. Elle avait pris la suite, sous une forme plus combattive, des associations féministes « historiques ». La FEN et la CFDT y participaient au début mais ont quitté le navire en 1995, en désaccord sur les actions qui s'annonçaient. Ce collectif a travaillé pendant toute l'année pour préparer une manifestation prévue dès le départ pour le 25 novembre 1995. Du coup, elle a pris un relief inattendu avec le mouvement de décembre 1995 qui commençait. L'objectif initial, faire au moins aussi bien que les « réacs » en janvier (10 000 manifestants), qui semblait un temps hors de portée, a été très largement dépassé. Cet exemple me paraît être significatif des formes d’organisations qui se sont développées au cours de cette période : plutôt qu'une organisation, les animateurs (trices) créaient un collectif au statut incertain, avec des organisations mais aussi des individus. Comme il était impossible de déterminer une clé de répartition entre organisations parfois nombreuses, d'autres nettement plus petites et des individus, la seule forme de démocratie praticable était le consensus. On pourrait écrire des livres sur ce que cela signifiait réellement ! Ce mode d'organisation, qui allait se diffuser rapidement, permettait aussi une grande liberté de manœuvre (pour la bonne cause, bien sûr) et de rassembler très largement.
Cette stratégie s'est perfectionnée ensuite à travers la Marche mondiale des femmes. À l'origine, c'était vraiment une marche, l'initiative venant du Canada. Mais la marche faite, celles et ceux qui l'avaient animée continuaient à se réunir et à inviter largement à leurs réunions au nom de cette Marche, qui devenait du coup une organisation au statut encore plus incertain. Mais ça marchait ! Avec là aussi une certaine sur-représentation de l'extrême gauche.Les sans-logis : pour nous (c'est-à-dire pour ceux qui ne s'étaient pas spécialisés dans ce genre d'action), tout a commencé avec l'occupation de la rue du Dragon en 1994. J'y étais pour la FSU avec quelques autres dès le début. C'est là que le contact s'est fait avec Jean-Baptiste Eyraud, Jean-Claude Amara et d'autres figures de ces mouvements (le DAL mais aussi Droits devant!), ainsi qu'avec leurs « prestigieux » parrains (à l'origine, Léon Schwartzenberg, l'abbé Gaillot, Jacques Higelin et Albert Jacquard). Quand nous cherchions une salle, il arrivait que j’appelle Luc Muller, le responsable administratif du SNES, pour qu'il nous ouvre la rue de Villersexel, où nous pouvions aller à pied, salle qui a donc vu défiler tous les soutiens à cette action, de Dominique Voynet aux 4 parrains cités, en passant par Marina Vlady et bien d'autres personnages. Il faut noter que les grandes organisations (partis de gauche, syndicats autres que Sud et la FSU) n'étaient guère présentes, sans doute un peu désarçonnées par ces actions et ces nouvelles formes de résistance. Du coup, je faisais partie des quelques dizaines de « correspondants » qui étaient systématiquement alertés pour « accompagner » les occupants de divers lieux (des banques, tout un immeuble rue d'Aligre qui allait devenir la Maison des sans pour quelques années, etc.), la FSU apparaissant comme la plus « respectable » des organisations, dont la « protection » était par conséquent recherchée.
Les sans-papiers : là encore la FSU a participé aux grands moments de cette épopée (Michel Deschamps et moi-même étions par exemple à l'église St Bernard en 1996). Nous avons participé à d'innombrables initiatives à cette époque (réunions, accueil de ceux qui avaient été chassés de St Bernard, à la Cartoucherie, occupations, soutien aux grèves de la faim, dont celle à laquelle participaient Emmanuel Terray, Ariane Ascaride, etc.) Cet épisode a cependant montré quelques limites de nos actions : la FSU était présente à peu près partout mais dans les manifestations (à Paris en tout cas), nous n'étions parfois pas assez nombreux pour porter la banderole !
L'emploi, les chômeurs : toujours pour les raisons indiquées précédemment (les réseaux auxquels certains d'entre nous participaient), la FSU a tout de suite été partie partie prenante dans AC ! (tout en ayant de très bonnes relations avec les autres associations de chômeurs : APEIS, MNCP...), créé fin 1993, puis les marches des chômeurs en 1994. De la même façon, nous avons suivi les développements de la Marche européenne contre le chômage (1997, Amsterdam ; là aussi, la Marche « physique » a été suivie de la constitution de fait d'un mouvement du même nom qui existe toujours, en tout cas comme étiquette permettant la participation à d'autres initiatives et à grossir le nombre de signataires!)
La mouvance altermondialiste : nous n'étions à cette époque pas très branchés (personne ne l'était vraiment) sur les questions nouvelles liées à ce qui allait être connu sous le terme de mondialisation. Certes, grâce à nos activités internationales (surtout au SNES), nous savions ce qu'étaient les plans d’ajustement structurel mais pensions que cela était réservé aux pays en développement (et après 1989 aux pays de l'Est). Cela a changé avec l'action contre l'AMI en 1997 (accord multilatéral sur les investissements), principalement animé par les milieux de la culture qui craignaient l'invasion du cinéma américain. La FSU y a participé (meetings, déclarations...) Ce mouvement (en gros contre les méfaits du libre-échange et l'Organisation mondiale du commerce qui venait d'être créée en janvier 1995M), déjà très développé aux États-Unis et au Canada, a pris de l'ampleur après les grandes manifestations contre l'OMC à Seattle en 1999 (je venais de quitter mes responsabilités syndicales proprement dites en juin, le SNES était cependant bien représenté par Roger Ferrari et Monique Vuaillat notamment).
En France, nous avons été associés dès le début à la création d'ATTAC (juin 1998). La FSU a figuré parmi les membres fondateurs, en même temps que le SNES, le SNUIPP et le SNESUP (voir plus haut, chacun de ces syndicats a, pour des raisons qui pouvaient être différentes, tenu à en être en tant que tel). Cette « famille » FSU a participé de façon importante au financement initial (plusieurs de milliers de francs de l'époque). L'idée dominante était en effet qu'ATTAC, créé par des revues à l'initiative du Monde diplomatique, deviendrait une sorte de think tank antilibéral (d'où son Conseil scientifique rassemblant ce qui constituait alors la crème des intellectuels, et sur tout des économistes, antilibéraux). Dans cette optique, la question du financement était cruciale. Fort heureusement, le succès très rapide de l'association lui a permis de vivre avec les cotisations de ses adhérents (individuels et collectifs) dès la deuxième année d'existence.La fondation Copernic : à peu près au même moment, à l'initiative de Jacques Kergoat, se mettait en place ce qui allait devenir la Fondation Copernic, créée officiellement en décembre 1998 « à l'initiative de 331 chercheurs, universitaires, militants associatifs, culturels, syndicalistes ou politiques ». La filiation avec Ressy vient à l'esprit : Jacques Kergoat, président de Ressy, est le président-fondateur de Copernic, les mêmes équipes de chercheurs et de syndicalistes se retrouvent dans Copernic à quelques exceptions près, etc. En même temps, l'idée était plus ambitieuse : rassembler les forces politiques, syndicales et associatives à la gauche du Parti socialiste, avec un mot d'ordre actualisé (« Pour remettre à l'endroit tout ce que le libéralisme fait fonctionner à l'envers »).
La coexistence Copernic/ATTAC allait parfois se révéler problématique, notamment au début du processus. Au titre des anecdotes : Kergoat avait au départ plus ou moins boudé ATTAC, se mettant en situation de rivalité ; quand il a vu que ATTAC prenait, il a voulu intégrer le mouvement au titre de revue fondatrice avec Politique La Revue ; ce qui n'allait pas de soi, les autres revues (plus particulièrement Pierre Tartakowski, qui représentait Options, la revue de l'UGICT, dans le groupe des quatre revues fondatrices qui étaient en situation dominante dans les premières instances d'ATTAC étant réticentes). J'ai donc plaidé la cause de Kergoat à sa demande et avec succès. Cela a permis plus tard, après le décès de Kergoat, à Pierre Cours-Salies d'être membre du collège des fondateurs d'ATTAC au titre de Politique La Revue, bien après la disparition de celle-ci ; comme quoi, il n'y a pas qu'en politique qu'on fait voter les morts !
Plus sérieusement, c'est la question du financement et de l'investissement militant qui se posait pour nous, au-delà des sentiments que l'on pouvait éprouver pour l'une ou l'autre de ces initiatives. Nous (principalement au SNES) avons donc décidé de mettre le paquet (financièrement parlant) sur ATTAC (voir plus haut) et de nous contenter d'un service minimum pour Copernic à travers ma seule participation aux instances de la Fondation Copernic (NB : 15 ans après je suis toujours au bureau de Copernic, alors que la FSU a depuis longtemps déserté ce terrain, comme d'autres au demeurant).
C. La dimension internationale
Comme il a déjà été dit, dans la répartition des compétences au moment de la création de la FSU, celle-ci a dû se contenter du champ de la « solidarité internationale », sans être « autorisée » à créer un « secteur international ». Cela mérite une explication. Cela ne voulait pas dire en effet qu'elle était interdite de relations internationales, qu'elle ne pouvait pas recevoir des délégations étrangères, etc. Par ailleurs, la FSU a participé à plusieurs reprises, par exemple, à la délégation française à l'Assemblée générale des Nations-Unies, où elle retrouvait les confédérations syndicale, sans que cela pose de problème de « compétences ».
Ce qui était en cause sans toujours être explicitement exprimé, c'était la possibilité d'adhérer à une organisation (syndicale) internationale. Compte tenu des règles en vigueur à ce niveau, une organisation internationale (européenne ou mondiale) accepte en effet soit une fédération syndicale, soit ses composantes individuellement. Mais évidemment pas les deux.D'où un conflit potentiel si la FSU avait demandé à adhérer à une organisation dont une ou plusieurs de ses composantes étaient déjà membres car cela aurait contraint celles-ci à s'effacer.
Les adhésions internationales
Cela oblige à un petit détour par le contexte de l'époque, de ce point de vue. Cette question de l'adhésion de la fédération ou de celle de ses syndicats n'était pas nouvelle. Elle existait au sein de la FEN mais avec des caractéristiques particulières. Le SNES et le SNI-PEGC (ou les organisations dont elles sont issues) ont en effet été des éléments moteurs du syndicalisme international avant la Deuxième Guerre mondiale, c'est-à-dire bien avant que la FEN autonome, issue de la scission de la CGT en 1948, existe. Après une courte période d'unité syndicale internationale au sein de la Fédération syndicale mondiale (FSM) après 1945, un processus analogue à la scission de 1948 en France a conduit à la création de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), avec FO comme membre en France. Ce qui a porté à 3 le nombre de confédérations internationales (avec les chrétiens). Cette division (et les conflits violents de la guerre froide) sont une des causes qui expliquent le développement d'une Internationale autonome de l'enseignement, la CMOPE, à la fondation de laquelle le SNES et le SNI-PEGC ont participé en 1952. La CMOPE avait aussi l'avantage, pour le SNES et le SNI-PEGC, d'avoir deux « fédérations constituantes », une pour le primaire, l'autre pour le secondaire. Ces deux syndicats y jouaient un rôle très important. Le problème était que cela bloquait l'adhésion de la FEN, faute pour ces deux syndicats d'être disposés à lui céder la place. Et cela même à l'époque où la FEN et ses principaux syndicats étaient dirigés par la tendance autonome. Le changement de majorité au sein du SNES en 1967 allait bloquer encore plus le système. Pour la nouvelle direction (Unité et Action) du SNES, l'appartenance à la CMOPE et à sa fédération du second degré (où le syndicat occupait historiquement une place de choix) était la seule fenêtre possible pour participer de façon autonome au syndicalisme international. Cette situation est une des raisons pour lesquelles la FEN a finalement décidé dans les années 1970 d'adhérer à la fédération de l'enseignement de la CISL (son rapprochement alors avec le Parti socialiste est une autre raison).
Tout cela allait changer profondément avec la fusion de la CMOPE et du Secteur professionnel de l'enseignement de la CISL, en janvier 1993, les discussions ayant cependant commencé dès 1991. Il serait intéressant à ce propos de voir en quoi les deux événements (éviction du SNES de la FEN et fusion internationale ont à voir avec la chute du mur de Berlin mais ce n'est pas le propos ici. Le lien est évident et explicite au plan international. Mais, en France aussi, existait l'idée qu'un syndicat politiquement marqué comme l'était le SNES – c'était tout au moins ce que pensaient certains des boute-feux à l'origine de la scission – ne pouvait que péricliter après 1989).
Le calendrier a joué, de façon sans doute fortuite, en faveur du SNES. En effet, si le congrès de fusion au niveau international (et la création de l'Internationale de l'éducation qui en a été le résultat) avait eu lieu avant le congrès de la FEN entérinant définitivement l'exclusion du SNES, celui-ci n'aurait pu être membre fondateur de l'Internationale de l'éducation, celle-ci n'acceptant pas plus que les organisations qui l'avaient précédé l'adhésion d'une fédération et celle d'une de ses composantes. Mais la question ne s'est pas posée puisque, en janvier 1993, le SNES, exclu de la FEN, pouvait entrer de plain pied à l'Internationale de l'éducation (la même chose est vraie bien sûr pour les autres syndicats ayant quitté ou ayant été exclus de la FEN).
Cette histoire peut contribuer à expliquer pourquoi les syndicats de la FSU adhérant à l'Internationale de l'éducation (notamment le SNES et le syndicat des lycées professionnels, le SNETAA) ne tenaient pas à ce qu'une éventuelle adhésion de la FSU les prive de leur propre qualité de membres à part entière de l'Internationale de l'éducation (la question de savoir dans quelle mesure ils étaient ainsi bien compris par les syndicats des autres pays reste ouverte !). La position du SNESUP était la même mais pour des raisons différentes : il continuait en effet à adhérer à la fédération de l'enseignement de l'ancienne FSM, pourtant en voie de disparition à cette époque. S'y ajoute aussi le fait que le SNES, par exemple, avait un secteur international particulièrement actif (vestige de la FENbis où le SNES jouait le rôle principal ?) qui ne tenait nullement à s'effacer ou à se fondre dans une instance fédérale alors même que la FSU restait une structure faible, dont l'avenir était encore incertain. Un syndicat comme le SNETAA, lui aussi membre de longue date de la CMOPE et de sa fédération du second degré, avait sans doute de son côté encore plus nettement importé de la FEN à la FSU son refus de tout empiétement fédéral pour les questions qu'il estimait relever de sa compétence.
Vus de l'étranger, ces conflits devaient cependant paraître bien étranges et pour tout dire... très français. La scission de la FEN, plus précisément l'exclusion du SNES, a d'autant plus surpris que le SNES entretenait des relations suivies avec beaucoup de syndicats dans le monde et que, au sein de la CMOPE qui rassemblait la plupart des syndicats européens de l'enseignement, la présence simultanée du SNES et du SNI-PEGC se traduisait plus souvent par des positions communes que par des oppositions. De plus, la scission intervenait à un moment où, pour diverses raisons, on assistait plutôt à des fusions syndicales dans beaucoup de pays.
Dans le syndicalisme international, l'heure était donc plutôt à l'attente de la suite qu'aux exclusions. Ayant été avant la scission membre du Comité mondial de la CMOPE, j'ai été par exemple nommé sans difficulté particulière président du comité du second degré dans la nouvelle Internationale. Et, pour les collègues étrangers, je représentais certes le SNES mais aussi la FSU en construction. Dans les congrès internationaux, il y avait, aux yeux des autres délégations, des représentants de la FSU et des représentants de la FEN. Dans ce contexte, les élections professionnelles de plus en plus favorables aux syndicats de la FSU ont évidemment changé le regard porté sur les syndicats français. Ce qui était pour une part des querelles de préséance et de légitimité entre la FSU et ses composantes apparaissait largement anecdotiques aux yeux des autres syndicat (tout comme d'ailleurs les mises en garde de la FEN contre les « communistes » qui, héritage de la CISL, ont continué, j'en ai été témoin, jusque dans les années 1990). Mais il es vrai aussi que le fait que la FSU apparaissait en ordre dispersé pouvait constituer un handicap réel quand il s'agissait de désigner les organismes de direction.Quelques initiatives à caractère international
À la réflexion, il me semble donc que la distinction représentation au titre de la FSU et représentation au titre d'un syndicat national faisait beaucoup plus sens dans les débats internes à la FSU que dans l'activité internationale concrète.
Ceci dit, l'activité de « solidarité internationale » a été conséquente. Elle a pris des formes diverses – déclarations de soutien, réception de délégations, participation à l'organisation de meetings de solidarité, actions plus concrètes malgré la faiblesse des fonds dont pouvait disposer la FSU pour ce type d'activités, etc.
Les centres d'intérêt étaient évidemment fonction de l'actualité politique de l'époque et, il faut le reconnaître aussi, de l'histoire individuelle ou des convictions politiques des membres du secteur. La guerre en Bosnie a ainsi beaucoup occupé le secteur, qui a reçu à plusieurs reprises les dirigeants bosniaques réfugiés en France. Plus tard, ce fut le Kosovo et l'intervention de l'OTAN contre la Serbie.
La guerre civile en Algérie a aussi mobilisé le secteur en 1993-1994. La FSU a reçu par exemple Khalida Messaoudi, militante féministe et laïque alors en pointe du combat contre les intégristes du Front islamique du salut (FIS) et la revue de la FSU Pour a publié une longue interview de celle qui deviendra quelques années plus tard ministre de la Culture dans son pays.
Ces actions ne gommaient pas, bien entendu, les divergences qui pouvaient exister chez les membres du secteur (plus ou moins favorables par exemple aux « éradicateurs » s'agissant de l'Algérie ou entre pro et anti-serbes, ou croates, en Yougoslavie).
La solidarité internationale a pris aussi des formes plus concrètes. Une opération « Des cartables pour le Kosovo » a permis par exemple de réunir et d'acheminer vers les camps de réfugiés du Kosovo en Macédoine des centaines de cartables avec cahiers, crayons, etc. Avec Daniel Le Bret, à l'époque secrétaire général du SNUIPP, nous les avons acheminés à Skopje dans un... avion de l'armée française où nous étions les seuls messagers. De la même façon, en liaison avec des syndicalistes belges de la FGTB, des actions de solidarité ont eu lieu avec la Slovénie.
Cette brève énumération ne comporte que les seules activités où la FSU était en position d'organisateur. Il est évidemment difficile de les distinguer toujours des activités internationales (hors participations aux organisations internationales) des syndicats, les militants impliqués étant souvent actifs à la fois dans leur syndicat et au niveau fédéral.
Louis Weber, septembre 2012