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Billet de blog 4 février 2024

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Une marche pour Fanta, 3 mois, décédée à cause de la « négligence » de la préfecture

Le 4 novembre 2023, Fanta est décédée à Lille d'une intoxication au monoxyde de carbone. Elle avait 3 mois. Sa mère, réfugiée ivoirienne en attente de son titre de séjour, avait multiplié les alertes auprès de la préfecture. Une marche s'est tenue le 3 février à Lille pour rendre hommage à la petite fille et dénoncer l'inaction de la préfecture du Nord.

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300 personnes se sont réuni-es pour rendre hommage à la petite Fanta, décédée en novembre dernier.

Lille (Nord).

« Je suis venue le 13 janvier 2020 en France, chercher la protection française mais la France n’a pas pu me protéger ».

Retenant ses larmes, digne et fière, Fatima prend la parole ce samedi sur la place de la République, devant les quelques 300 personnes venues rendre hommage à sa fille, Fanta, décédée en novembre dernier à l’âge de 3 mois d’une intoxication au monoxyde de carbone. Ne pouvant pas travailler, reconnue réfugiée depuis le 4 novembre 2022 mais n’ayant pas reçu son titre de séjour, Fatima ne pouvait plus payer ses factures d’électricité. Elle et son conjoint décidèrent un soir d’allumer un feu dans un brasero, avec du charbon, dans l’appartement insalubre que le couple occupait avec ses 3 enfants pour se réchauffer, ce qui sera fatal pour Fanta. Elle avait 3 mois et est morte dans la nuit du 4 novembre 2023, « la veille de l’examen de la loi immigration par le Sénat ».

Sa mère, d’origine ivoirienne, a alerté à plusieurs reprises la préfecture de sa situation qui, selon son avocate, Caroline Fortunato, « a réagi, mais a réagi trop tard ». Pour cette avocate spécialisée en droit des étrangers, « la préfecture n’a pas ouvert les grilles [à Fatima]. J’ai compris qu’elle devait mendier pour manger, alors qu’elle avait accouché il y a moins d’un mois. J’ai écrit à la préfecture, le 18 octobre 2023. J’ai dit : Fanta va mourir, et si elle meurt pas d’hypothermie elle mourra de faim ».

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Fatima, la mère de Fanta, et Caroline Fortunato, son avocate, prennent la parole sur la place de la République, à Lille. © Louise Bihan / louisebihan.com

Fatima et son avocate se tiennent, se soutiennent, accompagnées de différents collectifs de soutien aux exilés, comme le Comité des Sans-Papiers du Nord ou le collectif Galois, qui accompagne des étudiant-es exilé-es. La jeune mère n’hésite pas à dénoncer « la négligence » de la préfecture, elle qui a enfin reçu son titre de séjour le 22 janvier dernier, 18 mois après avoir été reconnue réfugiée par la France. Elle parle, s’arrête un moment, s’excuse : « Désolée, j’en ai trop sur le cœur ».

L’appel à manifestation appelait à venir habillé-e de noir, avec une peluche d’enfant. Un amoncellement de peluches trône silencieusement sur le sol pavé de la place, aux côtés de photos de la fille décédée, accompagnées d’un « Ciao » et d’un dessin de cœur brisé. Derrière les peluches, des manifestant-es tiennent une banderole au slogan éloquent : « La dématérialisation tue ».

C’est elle qui est mise en cause dans l’affaire : la complexité, la froideur administrative, face à des situations de détresse humaine, urgentes. Une situation dénoncée de longue date par les collectifs de sans-papiers et différentes associations d’accompagnement social et de défense des droits humains. Un ensemble d’associations dénonçait dans une lettre ouverte le 18 septembre dernier, à propos des ruptures de droits pour les personnes ayant déposé une demande de renouvellement de titre de séjour :

« Nous regrettons qu’aucun accès physique ne soit possible pour venir se renseigner directement en Préfecture. A défaut, nous utilisons les boîtes mails dédiés pour prendre attache avec vos services. Toutefois les réponses restent rares, rendant l’accès au service public impossible. »

Fatima, venue en France par la mer Méditerranée, affirme, l’air grave : « C’est dur chez nous, donc on vient ici pour chercher l’abri mais on est tué-es par la France. Ils sont en train de nous tuer, ils s’en foutent de ce qu’il se passe ».

Sarcasme du sort, les manifestant-es en deuil ont dû faire face à un autre rassemblement. Les policiers municipaux étaient en effet appelés ce 3 février à se rassembler devant les différentes préfectures de France pour réclamer une meilleure reconnaissance de leur travail et une revalorisation des primes et des retraites. À plusieurs reprises, les manifestant-es ont tentés d’aller négocier auprès des policiers « en colère » pour leur demander de respecter les prises de parole et en particulier, la minute de silence.

Si cette dernière a été respectée par les policiers, ces derniers ont empêchés une dernière prise de parole avant le départ en manifestation, chantant la Marseillaise et criant « Qui ne saute pas, n’est pas policier » derrière leurs banderoles. Et ce, malgré les demandes, voir les implorations, des manifestant-es venu-es rendre hommage à la petite Fanta. Après quelques tensions la manifestation a pu enfin partir, menée par le célèbre petit camion rouge de la CGT.

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© Louise Bihan / louisebihan.com

Pour les manifestant-es, cette situation a été volontairement provoquée par la préfecture, alors que le départ de la marche devait initialement se tenir rue Jean Sans Peur, à quelques pas de la place, là où les personnes en situation d’exil viennent prendre rendez-vous pour leurs dossiers de régularisation.

« J’ai ma carte de séjour mais j’ai pas mon bébé. La préfecture est la seule responsable de la mort de Fanta. »

La manifestation, qui réunira près de 300 personnes, se déroulera dans le calme et la détermination. Fatima tiendra tout du long une peluche et une photo de sa fille dans ses bras, comme pour rappeler sa présence, quelque part, dans les mémoires et les slogans des manifestant-es venu-es soutenir la mère endeuillée en demandant « l’ouverture des guichets » au nouveau préfet fraîchement débarqué d’Essonne, Bertrand Gaume. Il vient remplacer Georges-François Leclerc au pied levé, parti diriger le cabinet de Catherine Vautrin, la nouvelle super-ministre du Travail, de la Santé, et des Solidarités.

Un rappel simple à destination des parlementaires fier-es d’avoir gravement porté atteinte aux droits des exilé-es au nom de la lutte contre un prétendu « appel d’air » (dont la communauté scientifique s’accorde à dire qu’il n’existe pas), que l’avocate de Fatima portait par ses mots sur la place de la République :

« Ce que ce décès vient nous dire, c’est que le ministre de l’Intérieur répond à une réalité qui n’est pas la réalité des étrangers. Il vient répondre à une réalité de fantasme. La réalité des étrangers, aujourd’hui, c’est l’impossibilité d’accéder à leurs droits, c’est les ruptures de contrat de travail, c’est les expulsions de leur logement, c’est la mort qui attend. »

Reste l’espoir de la mobilisation pour que cela ne se reproduise plus. Ciao Fanta.

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La mère de Fanta, reconnue réfugiée en novembre 2022, ne recevra son titre de séjour qu'en janvier 2024. © Louise Bihan / louisebihan.com

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