La situation des travailleurs et travailleuses de cette communauté, rendue publique dans une enquête de StreetPress le 21 juin dernier, interpelle, choque, celles et ceux qui viennent en prendre compte. Élus, journalistes, simples passantes, ont toutes et tous la même réaction face à ce que remontent les 26 grévistes de la halte : un travail de 40 heures/semaine en moyenne, payées 150 euros/mois une fois déduits le loyer de l’hébergement et la restauration fournie par Emmaüs (1,50e/jour, pour une nourriture composée exclusivement de dons).
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Leur récit interpelle tant que le parquet de Lille a décidé fin juin d’ouvrir une enquête préliminaire pour « traite d’être humains et travail dissimulé ». Les locaux de la communauté ont également été perquisitionnés par l’Office central de lutte contre le travail illégal mardi 13 juin. Mise en cause par son comportement jugé « intimidant » et « menaçant » à l’égard des compagnons, mais également de propos racistes (« il y a trop de Noirs ici », « rentrez dans votre pays »…), la directrice de la halte Anne Saingier (également directrice d’Emmaüs Nord-Pas-de-Calais) nie toutes ces accusations. Les compagnons demandent, eux et elles, son remplacement.
Les petites mains de la Halte Saint-Jean sont celles qui sélectionnent, trient, réparent les objets donnés à Emmaüs pour ensuite les revendre.
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Tous les compagnons décrivent des conditions de travail « insupportables » et des violences psychologiques « permanentes ».
"En 2023, l'esclavage existe toujours. Je gagne 150 euros par mois et je paie les charges du logement fourni par Emmaüs, je paie le téléphone, je paie la nourriture, je paie tout."
Un compagnon de la Halte Saint-Jean
Sur le piquet de grève, un barnum permet aux grévistes et à leurs soutiens de se protéger de la chaleur étouffante de ces derniers jours. On y discute, on boit un coup, et on écoute de la musique sur l’enceinte fournie par la CGT. Sous un arrêt de bus posté à quelques mètres de là, les passants regardent, interrogatifs, les grévistes qui font passer le temps. Certains vont et s’arrête discuter, la plupart repartent en adressant un rapide soutien. Les voitures qui passent devant le piquet de grève, pour beaucoup, klaxonnent à la vue des drapeaux CGT, pour exprimer leur solidarité avec le mouvement. Un militant du CSP me rapportait :
« Au début de la grève, les voitures klaxonnaient peu. Aujourd’hui, avec la médiatisation qui commence, les marques de soutien se font de plus en plus courantes »
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La police passe de temps à autre pour interpeller à propos de la musique, jugée « trop forte » dans ce quartier d’habitude assez calme. Si les grévistes ne se laissent pas faire et que les échanges peuvent parfois paraître tendus, jusqu’ici tout se passe plutôt bien. Les grévistes misent sur le nombre :
« Ces travailleurs sans papiers, sans salaire, et à qui on cherche à ôter toute dignité se dressent courageusement dans la lumière pour faire connaître la réalité de leur situation. Ils ont un urgent besoin de la solidarité des autres travailleurs et travailleuses. »
Extrait du tract des grévistes de la Halte Saint-Jean
« Je peux vous le dire : Emmaüs, c’est l’enfer »
Il peut paraître difficile d’admettre une telle situation d’exploitation au sein d’un mouvement comme Emmaüs, qui porte avec lui les idéaux d’humanisme et de solidarité qui ont été ceux de son fondateur, l’Abbé Pierre, dès 1949. Pourtant, sous prétexte d’un accompagnement social et d’une régularisation (qui, souvent, n’arrive jamais), ces étrangers en situation irrégulière qui tentent de trouver leur place sur le territoire français, souvent à la suite de parcours d’exil difficiles, rapportent des vécus qui alertent : intimidations, menaces, nourriture « périmée », pas de droits aux arrêts maladies, des femmes qui doivent travailler avec leurs enfants sur le dos faute de pouvoir payer une place en crèche avec leurs 150 euros par mois…
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Les jours qui viennent vont être décisifs : c’est le 15 de chaque mois que les compagnons touchent leur allocation. Avec la grève, tout le monde s’attend à ce qu’elle ne leur soit pas versée. Mais ce qui inquiète le plus les grévistes, c’est le risque d’une expulsion de leur hébergement. Si tel est le cas, le mouvement compte bien s’intensifier.
« Le plus dur, c’est de tenir dans la durée »
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Heureusement pour eux et elles, les soutiens politiques et syndicaux affluent petit à petit : l’Union Départementale CGT, la France Insoumise, la Fédération Syndicale Étudiante, mais aussi les syndiqués CGT du centre hospitalier à quelques minutes du piquet de grève. Des élus régionaux verts, mais aussi David Guiraud, député LFI du Nord, ont fait le déplacement ces derniers jours pour apporter leur soutien aux grévistes.
Chaque matin, la suite de la grève est soumise à un vote des compagnons, elle est unanimement reconduite. Chaque après-midi, vers 16 heures, une assemblée générale identifie les envies et besoins des grévistes. L’envie de multiplier les actions d’interpellation se fait sentir, les grévistes espèrent une réaction de la direction nationale d’Emmaüs pour faire bouger la communauté.
Hier matin, l’ensemble des grévistes a porté plainte pour « traite d’êtres humains », faisant suite à l’enquête ouverte par le parquet.
La direction nie toutes les accusations faites à son encontre et est, à ce stade, présumée innocente.
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Pour les soutenir : https://www.payasso.fr/udcgtnord/solidarite