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Billet de blog 5 août 2024

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Communisme 1 : Je comprends pas, ça Marx pas.

Premier article en trois parties sur la naissance du communisme. Dans celui-ci nous allons nous attaquer à la "naissance" du communisme et sa paternité souvent maltraitée.

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    Cette suite de chroniques était au départ calée sur le modèle du billet d'opinion, du pamphlet, mais je souhaiterais profiter de l'audience plus large que vous m'offrez pour essayer de corriger ce que je pense être le problème fondamental du monde depuis des dizaines d'années : l'éducation politique. Loin de moi, je vous assure, de penser tout savoir de tout, mais je pense avoir dédié suffisamment de temps pour émettre un avis argumenté différent de ce que vous avez pu lire jusqu'à présent. Ainsi, je souhaiterais remettre l'idéologie communiste à sa véritable place car, y compris au sein du mouvement, celle-ci est vraiment dénaturée de telle manière qu'il ne reste plus que l'apparence du communisme, sa couleur rouge, sa lutte pour « la justice sociale » et quelques symboles qui l'accompagnent.

Si vous êtes de ceux qui pensent que l'idée même du communisme devrait être morte et enterrée, surtout après les horreurs qu'elle a commises, sachez que j'ai été d'accord avec vous dans le passé, sans m'y être intéressé plus que ça. Toutefois, il existe des penseurs qui, dedans, cassent parfois des certitudes ou mettent de nouvelles façons de penser en marche. Et au vu des brillants penseurs tels qu'Albert Einstein, Paul Langevin, Louise Michel, Rosa Luxembourg et bien d'autres, des gens qui n'ont fait que défendre l'humanité et sa dignité, il serait bizarre de ne s'intéresser à l'idée communiste que sous le prisme de la terreur, qui n'a constitué, on va le voir, que la moitié de sa tumultueuse existence.

Pour commencer, réalisons un petit exercice de pensée : combien d'entre vous peuvent vraiment financer une campagne présidentielle coûtant des millions d'euros, ou disposer des milliers d'euros nécessaires pour les élections municipales ? Si la question se pose, c'est que, malgré les avancées déjà insuffisantes vers l'égalité politique en termes de normes et de lois, une question cruciale persiste : celle de l'inégalité économique. Sans argent, se lancer en politique reste un rêve lointain pour beaucoup et vivre se transforme en survivre. Pour combattre cela, 40 ans après la Révolution française une idéologie commence à émerger, marquant l'histoire donc : le communisme.

Le mythe écrasant de Marx et du Communisme soviétique

    Pour parler de communisme, on doit évidemment parler des origines de l'idée, et là, force est de constater que depuis les vidéos YouTube réalisées par des amateurs aux concours très élitistes des grandes écoles, tous se plantaient lamentablement sur cette question de l'origine de cette idéologie, quand ils ne foulaient carrément pas du pied l'idée qui était derrière comme certains citoyens américains dans les années 80. Parce que non, le communisme n'est ni russe, ni né en 1916, ni même créé de la main de Marx. Comme le TGV, les vaccins et le cinéma, le communisme est une invention française.

L'idée du communisme émerge des réflexions de la Révolution française, une période où le peuple a pris le pouvoir politique en main. Mais une question restait en suspens : comment rendre ce pouvoir équitable si l'économie reste aux mains de quelques privilégiés ? C'est ici que le concept de collectivisation du pouvoir économique prend racine dans la tête d'un révolutionnaire de 1789.

Le saint-simonisme, un mouvement de pensée influent du début du XIXe siècle, propose alors une société où les richesses seraient partagées équitablement. Fondé par Claude Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, ce courant de pensée prône une réorganisation sociale basée sur la coopération et le développement industriel. Les saint-simoniens croient en une société où les ressources et les pouvoirs seraient distribués selon les capacités et les contributions de chacun, éliminant ainsi les privilèges de naissance et l'accumulation de richesses entre les mains d'une minorité. Ils voient dans l'industrie et la science les moteurs du progrès social, aspirant à une société plus juste et harmonieuse. Henri de Rouvroy va populariser une expression chrétienne : « À chacun selon ses capacités, à chaque capacité selon ses œuvres », un héritage que les communistes vont reprendre différemment, comme nous allons le voir.

Néanmoins, les saint-simoniens ont un paradoxe : ils veulent certes collectiviser le pouvoir économique, mais du point de vue politique, les disciples de Saint-Simon souhaitent que le pouvoir soit dans les mains d'un petit nombre de gens, une élite, une oligarchie. C'est ce qui va pousser beaucoup de saint-simoniens, comme Louise Michel ou Louis Blanc, à se détourner de ce courant politique et commencer le développement du communisme, le mot apparaissant aux alentours de 1836 à 1840. Henri de Rouvroy va, quelques temps avant sa mort en 1825, tenter de transformer son mouvement politique en mouvement religieux, idée qui sera reprise avec plus de succès, mais pas pour beaucoup plus longtemps, par Auguste Comte, grand scientifique français et fondateur du positivisme. Cette idéologie, cousine du communisme, née littéralement en même temps, avait des aspirations non seulement politiques mais aussi philosophiques et donc religieuses (mais athées). Aujourd'hui encore, deux églises positivistes existent, une à Paris et une au Brésil, mais c'est surtout en philosophie des sciences, notamment en médecine et en droit, que le positivisme va perdurer jusqu'à nos jours. Si le positivisme a légué une idée politique, c'est celle qui est inscrite sur le fronton de sa seule église en France : "L'amour pour principe et l'ordre pour base. Le progrès pour but", utopique et un peu flou. Bien que cet article ne concerne pas le positivisme, l'influence de cette philosophie sœur est indéniable, tant des penseurs républicains et socialistes s'en sont revendiqués : Victor Considérant, Gambetta, Clémenceau et même, chez les nationalistes, un des adversaires les plus farouches du communisme : Charles Maurras.

Du côté du communisme, l'alliance avec les républicains sous le joug de Louis Blanc se fait dès le début, en 1839, tant le lien entre les deux courants du paradigme collectiviste est évident. Le but est de concilier le système politique démocratique naissant avec un système économique au service de la démocratie, comme illustré par la déclaration du coiffeur Rozier lors du premier banquet communiste du 1er juillet 1840 :

« Citoyens, des exploiteurs de révolutions s’intitulent nos défenseurs pour nous entraîner dans des réformes purement politiques. Or, isolée de la réforme sociale, la réforme politique est un odieux mensonge, car elle conserve la vieille société, et avec elle l’exploitation de l’homme par l’homme ; parce qu’elle ne guérit pas les tortures morales et les souffrances physiques du peuple. Si les exploités veulent jouir de leurs droits politiques, les exploiteurs cruels et jaloux les jetteront à la rue, où ils seront en proie à la misère ; par conséquent les travailleurs sacrifieront leurs droits à leur existence, ou bien, s’ils ne peuvent renoncer à toute dignité humaine, ils prendront les armes. Mais aussi, la tyrannie sera d’autant plus dangereuse que c’est sur une constitution en apparence démocratique qu’on s’appuiera pour les mitrailler. »

Quelques dizaines d'années plus tard, cet objectif démocratique est à nouveau confirmé par la communiste allemande Clara Zetkin.

« Les pays dans lesquels existe le suffrage dit universel, libre et direct, nous montrent qu’il ne vaut en réalité pas grand-chose. Le droit de vote sans liberté économique n’est ni plus ni moins qu’un chèque sans provision. Si l’émancipation sociale dépendait des droits politiques, la question sociale n’existerait pas dans les pays où le suffrage universel a été instauré. L’émancipation des femmes comme celle de tout le genre humain ne deviendra réalité que le jour où le travail s’émancipera du capital. »

Ce discours républicain démocratique communiste va trouver son origine en France, notamment sous les plumes de Charles Fourier, Pierre-Joseph Proudhon et, encore une fois, Louis Blanc :

  • « Aimez le travail, nous dit la morale : c’est un conseil ironique et ridicule. Qu’elle donne du travail à ceux qui en demandent, et qu’elle sache le rendre aimable. » Charles Fourier
  • « Ou la propriété emportera la République, ou la République emportera la propriété. » Pierre-Joseph Proudhon
  • « L'égalité n'existe que lorsque chacun produira selon ses forces et consommera selon ses besoins. » Louis Blanc

Immédiatement, il apparaît clair que cette dernière phrase de Louis Blanc ressemble beaucoup au précepte édicté par Saint-Simon quelques dizaines d'années plus tôt. C'est ainsi que « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » va devenir la devise du mouvement communiste, et Louis Blanc, le premier homme politique communiste de l'histoire.

Louis Blanc, le grand oublié de l'histoire

    C'est la publication du livre de Louis Blanc en 1839, L'Organisation du travail, qui marque un tournant. Ce texte propose la création d'ateliers sociaux, des lieux où le travail serait organisé collectivement pour le bénéfice de tous. Les termes socialisme et communisme commencent à être utilisés massivement autour de 1840, soulignant l'évolution de ces idées vers une forme plus structurée et politique. Pendant les années situées entre 1840 et 1848, le communisme connaît une expansion fulgurante, et un certain Karl Marx, jeune philosophe, débarque en France à ce moment-là, rencontrant l'une des figures du mouvement : Proudhon. Instantanément, le jeune "hégélien de gauche" va être convaincu par cette idée.

Encore plus surprenant, les idées saint-simoniennes et communistes sont tellement efficaces que le futur empereur Napoléon III va écrire en 1844 un article dont on dit qu'il a été central dans son élection en 1848 et sa légitimité au coup d'Etat de 1851 : De l'extinction du paupérisme, où il fait l'apologie des idées saint-simoniennes et communistes. Gardons cela pour la suite, parlons plutôt de l'année 1848 et de ce qu'elle va encrer comme définition du communisme.

Cette année-là, Louis Blanc devient le premier homme politique communiste de l'Histoire. Porté à la tête de la Commission du Luxembourg au cours de la révolution de 1848 qui créé la IIè République, il met en pratique ses idées en créant des ateliers sociaux, des expériences concrètes de gestion collective du travail. Mais sans aucun budget et concurrencé par les ateliers nationaux, portés par les conservateurs à l'organisation militaire, l'expérience s'arrête en quelques semaines malgré un succès réel. Toutefois, l'entièreté des communistes à ce moment-là, de Fourier à Blanc, sont d'accord pour dire que le communisme, en essence, c'est un système économique dont la distribution obéit au, désormais connu, principe suivant :

« De chacun en fonction de ses moyens, à chacun en fonction de ses besoins. »

Cette phrase est à retrouver chez tous les auteurs communistes et même, avec quelques différences, dans la constitution de l'URSS et de la Chine communiste. Mais là encore, gardons cela pour après. Celui qui va pourtant l'exporter à l'international en éclipsant tous les grands penseurs français de son temps tels qu'Étienne Cabet, Louise Michel, Désirée Gay, Jeanne Deroin, Charles Fourier ou Victor Considérant, c'est bien Karl Marx dont il est enfin temps de parler.

Karl Marx, l'anti-capitaliste anti-idéologie

    Karl Marx, célèbre pour son livre phare Le Capital, publié en 1870 (22 ans après le passage politique de Louis Blanc), est un philosophe, historien et économiste qui offre dans son ouvrage une analyse approfondie de la réalité des ouvriers et ouvrières de l'industrie du textile en Grande-Bretagne, où il s'est exilé comme de nombreux communistes - dont Louis Blanc - et leurs soutiens comme Victor Hugo à la suite du coup d'Etat de Napoléon III en 1851. Cet ouvrage monumental de 854 pages critique le capitalisme sans définir explicitement ce qu'est le communisme.

Oui, ça va en rendre triste plus d'un, mais on ne devient pas plus communiste en lisant Le Capital qu'en lisant Babar. On peut en revanche devenir anticapitaliste ; d'ailleurs, cette opinion a un nom : être marxien, c'est-à-dire être d'accord avec les analyses de Marx, notamment sur la théorie de la valeur ou son analyse du capital, tandis qu'être marxiste implique de soutenir ses solutions. Et de ses solutions, parlons-en.

Ses idées se rapprochent de la vision politique du saint-simonisme, prônant un État centralisé qui planifie tout, avec des élections se déroulant au sommet de la hiérarchie. Cette vision s'éloigne des ateliers auto-organisés du projet communiste de Louis Blanc ou plutôt anarchiste de Proudhon. En URSS, c'est cette version centralisée du marxisme-léninisme qui prédomine, où une avant-garde éclairée et sélectionnée prend des décisions pour le reste des travailleurs, en la personne de Trotski, Lénine et évidemment Staline.

Si vous connaissez votre histoire, vous savez ce qui est arrivé ensuite. Il faut dire que si Karl Marx était un bon économiste, il n'a pas tenu une seule position politique et sa seule responsabilité était celle de fondateur de l'Association Internationale des Travailleurs (AIT) en 1866, position qui lui valut de nombreuses critiques, puisque beaucoup au sein de l'organisation lui reprochaient déjà son totalitarisme, surtout les Français avec Jules Guesde, un marxiste pourtant, qui le qualifia de "prussien autoritariste". Son attitude va même aller jusqu'à provoquer la scission de l'AIT lorsque Bakounine va se brouiller avec lui et fonder l'idée anarchiste sur les bases que Louise Michel avait déjà dessinées quelques années plus tôt.

Alors pourquoi le marxisme a-t-il si bien fonctionné dans le monde ? Eh bien, c'est une question hyper intéressante.

Karl Marx, roi de l'export

    Déjà pour plus de clarté, positionnons la sortie du Capital, 30 ans après le début du communisme et 30 ans avant l'existence de l'URSS. Ni Staline, ni Lénine, ni Trotski ne sont nés à ce moment-là ... et même s'ils l'étaient, le livre sortant dans un relatif anonymat, il est un échec commercial, jugé présomptueux et incompréhensible par beaucoup.

Cependant, Le Capital ne fait pas l'apologie du communisme ; c'est un ouvrage factuel, assez scientifique, ennuyeux et bourré de faits ainsi que d'observations journalistiques. C'est pourquoi la Russie tsariste laisse passer le bouquin dans ses frontières comme n'importe quel ouvrage scientifique.

Pour des raisons qu'il est difficile de déterminer, peut-être dues à la traduction, le bouquin acquiert une grande légitimité en Russie, et les jeunes hommes que sont Lénine, Trotski et (le très beau et très sanguinaire) Staline en prennent connaissance, ainsi que d'autres écrits contemporains. Le communisme soviétique réussit à s'imposer face au tsar, et l'hégémonie marxiste peut débuter. Le pays devient ainsi l'interprétation d'un livre écrit par un Allemand sur ses observations en Angleterre avec une idéologie acquise en France.

Ce qui nous amène à la question la plus intéressante de toute : au milieu de ce bouche-à-oreille international, Karl Marx était-il ou non communiste ?

Si cette question est si cruciale, c'est que Karl Marx n'a pas UNE définition du communisme dans ses œuvres majeures mais DEUX et qu'elles tranchent avec celles de ses contemporains majoritaires. Aussi tous les marxistes savent que Marx, détestant les idéologies, n'a jamais donné de définitions ayant une valeur réelle permettant de définir proprement le communisme, ce qui a poussé certains historiens récemment à se demander sérieusement si Karl Marx était ou non communiste.

La première définition que nous propose Karl Marx du communisme se trouve dans le Manifeste du parti communiste (1851), co-écrit avec Friedrich Engels. Le communisme est défini comme la lutte contre la "propriété privée" entendue comme la propriété bourgeoise, c'est-à-dire abolir le fructus de la propriété individuelle que nous avions abordé dans notre dernier article. On voit qu'il s'agit déjà là d'une grosse différence avec Louis Blanc et ses contemporains français qui proposaient eux surtout une autre manière de distribuer ce même fructus. On le verra d'ailleurs, mais Louis Blanc n'était pas du tout opposé au capital, pas plus qu'au capitalisme.

La deuxième définition est encore plus simple et surtout plus récurrente chez Karl Marx. On la retrouve dans La Critique du programme de Gotha, L'Idéologie allemande, et d'autres écrits de Marx : à partir du moment où les ouvriers et prolétaires font quelque chose, c'est du communisme. Les bonnets rouges ? Communisme. Les gilets jaunes ? Communisme. Le sacre des Bleus pendant la Coupe du Monde 2018 sur les Champs-Élysées ? Communisme. J'exagère ? Pas tellement1.

Marxer un but contre son camp ? Non. Plusieurs.

    Karl Marx n'a pas été qu'un adversaire de Bakounine et des anarchistes à partir de 1871, puisque dès 1851, dans son Manifeste du parti communiste, il décide de s'embrouiller avec tout le monde : son maître à penser Proudhon en premier lieu, qu'il qualifie de "socialiste conservateur" ; un titre plutôt gentil comparativement aux autres qui eux sont "des socialistes utopiques", terme qui est encore aujourd'hui régulièrement utilisé par les marxistes. Même Louis Blanc, qui était bien plus "pratique" que Marx, finit par tomber dedans, lorsqu'Engel et Marx le cible dès son arrivée au pouvoir en 1848 :

« [...] le petit Louis Blanc, bien qu'il soit un esprit beaucoup plus remarquable que l'infaillible Proudhon est pourtant une nature beaucoup trop intuitive pour venir à bout de la prétention en matière d'érudition économique, de la transcendance bizarre et de la logique apparemment mathématique de Proudhon » Friedrich Engels, La Nouvelle Gazette Rhénane, 1848

Car la popularité de Louis Blanc est telle que Marx & Engels ont été obligés, à regret, de défendre les idées de "l'atelier social" en 1848, qu'ils détestent :

« C'est une fort bonne chose que notre parti puisse, cette fois-ci, se manifester sous de tout autres auspices. Toutes les bêtises « socialistes » que nous avons été obligés de défendre en 1848 encore vis-à-vis des purs démocrates et des républicains de l'Allemagne du Sud, les sottises de Louis Blanc, etc., que nous étions obligés de revendiquer ne serait-ce que pour trouver dans la confuse situation allemande un point permettant d'enchaîner avec nos conceptions ‑ tout cela est maintenant réclamé par nos adversaires, Messieurs Ruge, Heinzen, Kinkel et consorts. » Friedrich Engels, Lettre à Joseph Weydemeyer, 12 Avril 1853

Dans le socialisme européen, jusqu'à 1870, les exagérations de Marx le confinent à la marge du mouvement. Ainsi, pendant les deux grands événements socialistes en France, la révolution de 1848 et la Commune de Paris de 1871, personne ne se revendique de Marx, même si l'AIT joue un rôle notable dans le second événement.

La raison de cet acharnement est simple : Karl Marx exècre les phrases toutes faites, et même s'il apprécie le fameux proverbe communiste "De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins" qu'il cite souvent, on peut trouver dans L'Idéologie allemande, page 53, une suite de pensées qui ne laisse aucun doute sur ses opinions : « La classe ouvrière n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple », « elle n’a pas à réaliser d’idéal », elle a « seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre ». Limpide.

Preuve de l'influence de Karl Marx sur le communisme soviétique, Lénine reprend 40 ans plus tard à son compte les analyses sur Louis Blanc et ses opinions qualifiées : « d'illusions petites-bourgeoises enveloppées d'une phraséologie à prétentions «socialistes», et qui ne servaient en réalité qu'à affermir l'influence de la bourgeoisie sur le prolétariat ».

Pourtant, si l'on analyse les enterrements des deux hommes morts à quatre mois d'intervalle, c'est bien Louis Blanc qui, en 1883, remporta le suffrage des obsèques. Ses obsèques, suivies par des milliers de personnes, furent couronnées d'un discours de Victor Hugo, un des sept discours d'enterrement du célèbre écrivain. Au contraire, Karl Marx meurt dans une relative indifférence et une réelle pauvreté, toujours exilé à Londres, avec seulement quelques dizaines de personnes se pressant à ses obsèques. Un contraste véritable avec leur notoriété respective. C'est ainsi que le communisme originel va se faire remplacer par le collectivisme marxiste.

Comme nous allons le voir dans le prochain épisode, les injonctions floues de Marx tant sur le communisme que sur les méthodes politiques, vont faire que le communisme/collectivisme marxiste, une fois appliqué dans les pays soviétiques, chinois, cubains, va prendre des trajectoires variables et un communisme ... tout aussi variable.

1 « le communisme n'est pas un état de choses qu’il convient d’établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Il est le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu’elles existent actuellement. [...] Le communisme est l'enseignement des conditions de la libération du prolétariat » Ensemble de citations issus de divers ouvrages de Marx, d'Engels ou de la ligue communiste.

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