La structure policière en France est défaillante. J'en ai déjà fait état ici sur ce blog ainsi que sur mes blogs précédents (depuis 2012), sans parler des innombrables livres, notamment universitaires, à ce sujet et je dois donc absolument vous faire part de la lassitude personnelle de devoir repartir systématiquement à 0 sur ce sujet à chaque nouvel incident et donc toute la compréhension que j'ai pour ceux qui commettent des violences populaires légitimes pour ces mêmes raisons.
53% des plaintes aux défenseurs des droits concernent la Police Nationale contre 14% pour la Gendarmerie Nationale, le reste étant à charge des autres polices (polices municipales, administration pénitentiaire, douanes, inspecteurs de l'environnement, etc.). Il est d'ailleurs curieux de voir que, si pour le défenseur des droits un agent armé avec des missions de polices est comparable avec un autre agent armé avec des missions de police, aucune réforme n'a jamais émit la possibilité d'établir des normes communes, des synergies, notamment de formation ou d'intervention, entre les différentes administrations, mais passons.
Il est ainsi venu le retour de la fameuse théorie de la "brebis galeuse" des polices, cette théorie selon laquelle il ne s'agirait que de comportements individuels déviants de la norme, désormais aussi défendues par des spécialistes de la Police classés à "gauche" comme Laurent Muchielli (intervention chez Bourdin du 08/06/2020). Alors, outre le fait que la gale est contagieuse, Mr.Muchielli nous raconte une anecdote cocasse où, alors qu'il formait des élèves-policiers à la sociologie de leur institution, un groupe de 3 d'entre-eux accaparèrent la parole pour tenir des propos qui contenaient là tous les amalgames de l'extrême-droite sur l'islamisme, la religion, l'ethnie, la nation, etc. Il conclut en étant surpris à la fois du silence des autres policiers présents mais aussi de la gratitude exprimée par les autres policiers nationaux à son égard à la fin de son cours pour avoir tenu tête à ces trois fortes têtes.
Oui mais voilà. Je soupçonne à titre personnel le sociologue de surestimer le nombre de personnes reconnaissantes à son action et de sous-estimer les gens en accord avec le discours de la minorité bruyante. La Police Nationale a aujourd'hui la particularité d'être à l'extrême-droite à plus de 50%, il y'a donc très probablement une forme d'acquiescement de la part des élèves-policiers au discours des trois fonctionnaires zélés.
Mais outre cela. La théorie de la brebis galeuse ne tient pas. Lorsqu'on est en capacité de dire combien de morts il y'a eu par an jusque-là et combien il y'en aura dans le futur, que l'on est en capacité de dire que l'année prochaine il y'aura 15 morts dû aux interventions de police ou 150 féminicides, il ne s'agit plus là de dérives individuelles mais de problèmes structurelles.
Nous en avons eu la preuve particulièrement en aviation, où dans les années 70 les accidents étaient légions, avec des avions qui parcouraient moins de distances et avec moins de passagers qu'aujourd'hui, les morts atteignaient les 3000. Il a été décidé d'engager une grande campagne pour la sécurité des vols, au cours de laquelle le facteur humain fut désigné comme coupable dans 90% des accidents. Ce fut donc tout naturellement que des réformes furent engagés auprès de chacun des acteurs, du pilote au passager, de l'ingénieur au mécanicien, du bagagiste à l'exploitant. Depuis 2009, l'Europe n'a connu qu'un seul accident en aviation commerciale régulière : le suicide du pilote du vol de la Germanwings ; ceci est une dérive individuelle car imprévisible. Et encore. L'aviation a considéré qu'elle avait échouée, à raison, malgré tout. C'est pour cela qu'elle a commencé à travailler sur les incidents, qui ne sont jamais que des presques-accidents. Ceci est une culture de la sécurité normale.
Que d'ironie, pour la force de sécurité qu'est censé représenter la Police Nationale que de recevoir une leçon des transports sur sa propre raison d'être.