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Billet de blog 11 avril 2022

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Semaine 2 | La faute et l'erreur

Lorsque les choses s'escaladent rapidement, il est important d'avoir une philosophie saine.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La semaine 2 démarre bien mieux que la première, nous recevons un grand groupe de 57 enfants âgés de 11 ans et le renfort de deux animatrices : Matrix, une américaine de 55 ans qui a travaillé dans les mines australiennes et Froggy, une française qui va devenir directrice d’un des centres du groupes et qui pour l’instant est en charge des activités de l’après-midi. En revanche Raven, qui m’a donné tant de conseils la semaine dernière, part. Nous passons donc de 4 à 5 ... autant dire un grand progrès.

De mon côté, j’ai commencé la lecture de “Graines de crapules” de Fernand Deligny durant le week-end. Celui-ci était un éducateur auprès des “jeunes délinquants” dans l’après-guerre, presque créateur de la fonction d’éducateur spécialisé et un proche du communiste Henri Wallon, qui fonda l’école moderne, avec Paul Langevin à travers le plan Langevin-Wallon. Ses petites maximes éducatives sont d’un précieux secours philosophique et permettent de formaliser des choses abstraites.

Mardi, durant le premier jour de cours, je décide d’aller plus loin que la semaine précédente, en plus de leur demander de décorer leur passeport individuel, je leur propose toujours de choisir un symbole collectif pour la classe, mais en choisissant entre un totem ou un drapeau, ainsi qu’un nom et en plus quelques lois. Mais la barrière de la langue se fait d’autant plus sentir que cette fois-ci leur niveau est homogène : très mauvais. Il faut dire que l’apprentissage de la langue anglaise dans les écoles primaires françaises, publiques comme privées, se fait souvent la dernière année, et je me retrouve donc face à des élèves qui ont du mal à compter jusqu’à 10 en anglais.

Leur faire un séjour d’immersion était-il donc pertinent ? Peu importe, l’entreprise que je représente désormais s’y retrouvera par deux fois, la première en vendant un séjour onéreux et pas adapté, la seconde en vendant des objets à la boutique souvenir. À nous de faire en sorte de leur faire passer un suffisamment bon moment, même si ce séjour ressemble bien plus à une immersion en langue des signes.

Toutefois, lors de l’exercice de la constitution de symboles collectifs, les choses dérapent, la plupart des projets qui me sont proposés parlent de mort, d’emprisonnement et d’esclavagisme. Je suis surpris, et un ami animateur chez les Eclaireurs de France à qui j’en parle, aussi. Lors du vote populaire pour la désignation du meilleur projet c’est l’un d’entre eux qui réussit et il m’est difficile de tenir l’ensemble qui s’excite. Les trois élèves porteurs du projet se désignent comme chef de guerre, créant une prison au fond de la classe. L’ensemble peut paraître comique mais je n’emmène pas large, car leur décision est sérieuse. J’ai bien du mal à retenir l’inertie du groupe, et je lance un stylo sur un tableau pour faire du bruit : grosse erreur.

Cette fois-ci, les professeurs accompagnants ne sont pas d’un grand secours, les trois femmes voient ce séjour comme des vacances. Elles réveillent les enfants très tôt et nous les confient à 7h30, les toilettes des dortoirs sont saccagées faute de surveillance (les animateurs ne peuvent pas surveiller les dortoirs d’enfants) à tel point que des petits font pipi dans les poubelles. Elles usent aussi excessivement de la violence verbale et psychologique. Ainsi, une jeune fille qui ne souriait pas suffisamment pour une photo entre amies se voit emportée derrière une porte en bois pour se faire crier dessus et menacer par l’une des profs. “Si tu ne souris pas, je vais te faire pleurer” dit-elle.

Le lendemain, lors d’une des activités de l’après-midi qui se déroule dans une clairière en contrebas du centre, le tableau va s'éclaircir et s'assombrir à la fois. Certains élèves s’écartent du terrain pour se poser à l’ombre des arbres et profiter d'une pause méritée. Ne sachant pas que nous parlons français, ceux-ci engagent une conversation sur une multitude de sujets ... dont une sur la violence physique. La plupart admettent les subir et les trouver “normal”. Cela semble coïncider avec les projets qui m’étaient proposés : ces gamins baignent dans la violence. Chose que je n’ai pas dit, les graphismes des totems proposés la veille étaient très glauques. Il s‘agissait là d’art gothique mélangé à de l’horrifique. Doigts coupés, télés vivantes : un capharnaüm de références toutes plus cauchemardesques les unes que les autres. Comparativement aux dessins mangas et républicains de la semaine dernière, il y a une rupture claire et nette.

En remontant de la clairière, Mig m’intercepte et m’informe que l'entreprise pour laquelle je travaille mène une enquête sur moi pour “violence contre les enfants”. Les bras m’en tombent.  Cinq enfants sont allés se plaindre de mon jeté de stylo, et ces derniers ne sont pas n’importe qui : ils sont tous enfants de directeurs ou de professeurs de l’école. Et merde. En plus, les professeurs au lieu d’être allés se plaindre à Mig sont directement allés chercher la direction … je propose immédiatement à Mig une solution, me retirer des cours dès le lendemain, puisque deux nouveaux animateurs doivent arriver et me passer aux activités de l’après-midi jusqu’à la fin de la semaine. Celui-ci accepte. Conciliant, il fait un rapport qui m’est favorable.

Jeudi, c’est le jour de la boom et lors de celle-ci, je suis en charge de la musique. Cela se passe plutôt bien jusqu’au moment du traditionnel limbo. La professeur principale, qui n’arrêtait pas de me harceler pour passer toutes les musiques qu’elle voulait, me demande d’y participer. Je lui fait signe d’un non du doigt, la musique couvrant les voix. Celle-ci s’énerve et me crie dessus pour me demander pourquoi je ne participe pas. À ce moment-là, je suis en train de jongler avec trois téléphones dont un n’a plus de batterie, l’autre n’a plus de réseau, tout ça pour faire fonctionner la musique sans laquelle il n’y aurait plus de boom. Je lui réponds donc que je suis occupé. Elle ne comprend pas, insiste. Je me lève et lui fait signe de se rapprocher, elle prend ça comme un signe d’agression et lance “ne me touchez pas !”. Me voilà désormais aussi accusé de tentative d’agression sexuelle. Par chance, plusieurs animateurs sont autour de moi et ont vu qu’aucun contact physique n’a eu lieu, que je n’ai pas crié, même pas parlé à l’exception d’un timide “i’m occupied” (je suis occupé). Bref pas d'affaires. Pour autant, en voilà une autre de plainte. Paradoxalement, celle-ci va rendre caduque la première, l’entreprise partant du principe que ses accusations sont futiles et sans preuves. Tant mieux, encore une fois mon entreprise n’est pas si mauvaise.

Cela me permet d’ailleurs de réfléchir à une chose, la distinction entre la faute et l’erreur. Matrix, en bonne américaine parlant français, utilisait souvent le mot de bêtise pour parler de ce que j’ai fait. À partir de cette semaine-là, j’ai décidé de le bannir de mon vocabulaire. Dans la vie il existe les erreurs, ces choses que l’on ne fait pas exprès de faire ou dont on ne savait pas qu’il ne fallait pas le faire. Et les fautes, soit des choses mauvaises que l’on réalise intentionnellement et qui ont été explicitement interdites.

J’ai pour ma part réalisé une erreur, lancer un stylo sur un tableau. Et comme toute erreur, surtout mineure, on la pardonne. Cette professeur a commis des fautes : mentir en est une, user de la violence verbale et psychologique en est une autre et se départir de sa fonction de surveillance, qui incombe entièrement aux professeurs sur ce genre de séjour, en est la plus grande. Et les fautes, ça se répare ou ça se sanctionne.

Avec le nombre d’incidents que je subis, l’hypothèse de la démission devient plus concrète mais le CEE est cruel : la démission est impossible. Il faut en effet l’accord de l’employé et de l’employeur pour l’arrêter … si ce n'est pas de l’esclavagisme, je ne sais pas ce que c'est. Toutefois, je dispose d’un jour d’essai par semaine travaillé, soit 11 jours, pour partir de mon propre chef. J’ai donc jusqu’au lundi de la semaine prochaine. Je croise les doigts pour que le premier Lundi me donne bonne impression.

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