Loup Noir (avatar)

Loup Noir

Activiste

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

2 Éditions

Billet de blog 15 novembre 2023

Loup Noir (avatar)

Loup Noir

Activiste

Abonné·e de Mediapart

Lorsque la précarité salariale créé une culture - Le phénomène du thrash

En Grande-Bretagne les passionnés du monde des transports terrestres, notamment les bus et les trains, diffusent souvent des vidéos de "kickdown" et autres "extreme thrash", un phénomène intimement liée à la précarisation des emplois outre-Manche et un avant-goût de ce qui pourrait arriver en France.

Loup Noir (avatar)

Loup Noir

Activiste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Thrash

(verbe) 

  1. Battre (une personne ou un animal) de manière répétée et violente avec un bâton ou un fouet. 
  2. Bouger d'une manière violente et convulsive.

(nom)

  1. Un violent et bruyant mouvement de frappe.
  2. Un court, rapide, bruyant et violent passage de musique rock.

Peu importe la définition, le mot que l'on regarde définit une violence. Thrash est utilisé par les passionnés de train et de bus, il désigne une conduite dangereuse, "aux limites du véhicule" selon un membre du forum "railforums.co.uk" qui regroupe des passionnés du genre. Pour ces derniers, diffuser des vidéos ainsi nommées sur Youtube ou TikTok est la garantie de dépasser la frontière des centaines de vue. Chacun y va de son commentaire, mettant en avant les caractéristiques techniques - et le caractère unique - du véhicule ainsi maltraité. 

Pourtant ce phénomène de "thrashing" n'est pas un acte volontaire des conducteurs filmés ainsi à leur insu mais bien la conséquence des choix (politiques, faut-il le dire ?) de privatisation du pays. En effet, les vidéos en témoignent, cette pratique est bien plus courante dans le monde du bus que dans celui du train, et bien plus en-dehors de Londres qu'à l'intérieur de la capitale, et ça n'est pas anodin.

Une privatisation à deux vitesses.

Dans son rapport sur la gestion des ressources humaines de la RATP en 2021, la Cour des Comptes écrit extensivement sur la privatisation des réseaux de bus de sa Majesté et celle-ci s'est faite en deux modèles mutuellement exclusifs. D'une part le réseau de bus de Londres est privatisé par contrats, eux-mêmes liés à des lots, très proche de ce qu'a pu faire la France en la matière, tant pour les bus que pour les trains. Avec une différence majeure car le réseau de Londres dispose d'un conseil représentatif des usagers, auprès duquel n'importe qui peut rapporter un dysfonctionnement (bus absent, en retard, conducteur malveillant, etc.). Au contraire hors de Londres, la jungle la plus véritable commence.

En 1985 le gouvernement Thatcher fit en effet le choix d'une dérégulation totale et absolue des réseaux de province. Les lignes peuvent être créées et détruites du jour au lendemain, les concurrents s'y affrontent directement avec des tickets et des abonnements qui ne sont pas mutuellement compatibles, des bus premiums ou low-cost sont proposés et il est interdit aux acteurs publics de pouvoir créer un réseau public (au nom de la liberté - bien-sûr). Le travail des conducteurs y est aussi très différent, avec des limites de temps de conduite et des obligations de repos très amoindries. Au Royaume-Uni un conducteur peut conduire 10h avec 10h de repos sur 16h d'amplitude. En France, les limites sont de 9h de conduite, 11h de repos et 13h d'amplitude.
Si cette précarisation des conducteurs de bus ne s'est pas traduite par un nombre plus élevé d'accidents, c'est surtout parce que le nombre de bus a dégringolé et fait la part belle aux voitures depuis. Ainsi, tandis qu'à Londres et son mode de gestion "partagé", la part de voyageurs a sensiblement augmenté, dans les provinces, la clientèle ne s'est jamais réellement remise du "choc" de la compétition illimitée.

La conséquence principale est la dégradation de la qualité de service, comme en témoigne un rapport du centre pour les droits humains et la justice globale intitulé "Transport public, profits privés", le nombre de voitures a augmenté de 4 millions depuis la privatisation des bus au Royaume-Uni et le réseau de bus ne se cantonne plus qu'à transporter ceux qui n'ont pas d'alternative ; à la grande joie des utilisateurs volontaires et occasionnels de ces services publics, enthousiastes de pouvoir obtenir leur dose d'adrénaline en roulant à 100km/h sur des routes limitées à 70.

Ce phénomène de "thrash" n'est donc pas le témoignage d'une pratique volontaire de conducteurs malveillants mais la conséquence de choix économiques et politiques qui poussent ses acteurs à rentabiliser le temps passé au travail, et aussi peut-être, à une crise de la méthode, celle qui pousse à ne reconnaître dans les conducteurs de bus que des "agents d'accueil" roulants, des caissiers n'ayant qu'un savoir-faire commercial à rentabiliser.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.