Voici enfin l'article qui va vous permettre de comprendre le communisme. Dans les deux dernières parties, nous avons exploré comment le collectivisme marxiste/soviétique, souvent identifié comme le "communisme" soviétique, a profondément dénaturé l'idée initiale développée par des penseurs européens entre 1840 et 1916. Désormais il est temps de découvrir : le véritable adversaire du communisme, son héritage idéologique authentique, et son influence durable sur les systèmes modernes. Nous allons plonger dans des analyses concrètes, pour clarifier les concepts souvent mal interprétés.
La bagarre
Pour comprendre les grandes divergences qui ont façonné nos mondes modernes, il ne suffit pas de jeter un œil distrait sur les livres d’histoire. Non ! Il faut plonger dans les idées des hommes qui ont planté les graines de ces différences. Parlons donc de Louis Blanc et de Frédéric Bastiat, ces deux figures qui, à leur manière, ont tracé des routes que nos nations continuent de suivre, malgré le temps et les révolutions.
Frédéric Bastiat, ce nom oublié par la France, mais encore chéri au-delà de la Manche et de l'Atlantique est un économiste, député, qui n’a vécu que trois courtes années de notoriété, de 1848 à 1851, avant de s’éteindre. Pourtant, dans les années 70-80, voilà que deux géants politiques, Margaret Thatcher et Ronald Reagan, respectivement première ministre du Royaume Uni et président des USA entre 1979 et 1990, ont déterré ses idées pour en faire les piliers de leur règne.
La première disait de Bastiat :
« En me replongeant dans les écrits de Bastiat, j'ai découvert une défense de la liberté et de l'autonomie individuelle à la fois élégante et puissante [...] Bastiat nous a rappelé que le sens du pouvoir va des individus vers le haut, et non de l'État vers le bas. C'est un message de tous les temps. »
Quant au second, sans jamais se référer à un penseur en particulier, il a toujours considéré le travail de Bastiat comme une de ses plus grandes sources d'inspiration comme il en témoigne dans une interview de 1975 au journal Reason :
« Journal Reason : Y a-t-il des livres, auteurs ou économistes en particulier qui ont influencé votre développement intellectuel ?
Ronald Reagan : Oh, il me serait difficile de pointer quelque chose de précis dans cette catégorie. Je suis un lecteur invétéré. Bastiat, von Mises, Hayek et Hazlitt … je suis un adepte des économistes classiques. »
Que ceux qui s’étonnent de la résurrection d’un penseur mineur, se souviennent de la guerre froide, cette époque où l’on ne savait plus trop bien comment nommer l’ennemi. Jusqu’alors, le duel semblait simple : capitalisme contre communisme. Mais à force de fouiller dans les écrits et de scruter les systèmes, les intellectuels anglo-saxons ont réalisé que ce n’était pas le capitalisme que le communisme craignait le plus, mais bien le libéralisme, cet ennemi insaisissable qui prône la liberté individuelle contre les chaînes de l’État avec sa nouvelle idée : l'égoïsme rationnel, popularisé par la philosophe Ayn Rand et les économistes Ludwig von Mises & Fredrich Hayek (cités par Ronald Reagan) :
« L'esprit est une caractéristique de l'individu. Il n'existe pas de cerveau collectif. Il n'existe pas de pensée collective. Un accord atteint par un groupe d'hommes n'est qu'un compromis ou une moyenne tirée de nombreuses pensées individuelles. C'est une conséquence secondaire. L'acte primaire—le processus de raisonnement—doit être accompli par chaque homme seul. On peut partager un repas entre plusieurs hommes. Mais on ne peut pas le digérer dans un estomac collectif. Aucun homme ne peut utiliser ses poumons pour respirer à la place d'un autre. Aucun homme ne peut utiliser son cerveau pour penser à la place d'un autre. Toutes les fonctions du corps et de l'esprit sont privées. Elles ne peuvent être partagées ou transférées. » “The Soul of an Individualist,” For the New Intellectual, 1978
Dans cette idée, les libéraux défendent la propriété privée individuelle et l'auto-entreprenariat.
En face et cent ans plus tôt, Louis Blanc, premier homme politique communiste de l'histoire que nous avions couvert extensivement dans la première partie, disait ceci de son idée d'une entreprise communiste :
« Les capitalistes seraient appelés dans l'association et toucheraient l'intérêt du capital par eux versé, lequel capital leur serait garanti sur le budget ; mais ils ne participeraient aux bénéfices qu'en tant que travailleurs. » Louis Blanc, L'organisation du travail, 1839
Blanc n'était pas anti-capitaliste, il voulait que ces derniers investissent, oui, mais qu’ils ne touchent des bénéfices qu’en tant que travailleurs, qu’ils soient liés par la solidarité, sous la houlette bienveillante de l’État. Une vision où le collectif prime, où l’individu s’efface pour que tous puissent avancer ensemble. Pour lui, la révolution française a abattu la féodalité politique mais a construit une féodalité économique, où le nouveau roi s'appelle entrepreneur et rend esclave ses concitoyens du fait de la propriété privée des moyens de production :
« Est-il vrai, oui ou non, que tous les hommes apportent en naissant un droit à vivre ? Est-il vrai, oui ou non, que le pouvoir de travailler est le moyen de réalisation du droit de vivre ? Est-il vrai, oui ou non, que si quelques-uns parviennent à s’emparer de tous les instruments de travail, à accaparer le pouvoir de travailler, les autres seront condamnés, par cela même, ou à se faire esclaves des premiers, ou à mourir ? Dieu en soit loué ! On n’est pas encore parvenu à s’approprier exclusivement les rayons du soleil. Sans cela, on nous aurait dit : « Vous paierez tant par minute pour la clarté du jour » et le droit de nous plonger dans une nuit éternelle, on l’aurait appelé Liberté ! » Louis Blanc, Le Nouveau Monde du 15 juillet 1850
Frédéric Bastiat lui, critique de l'État, voit l'individu comme point de départ et point final de sa pensée et répond à Blanc :
« Il y a trop de grands hommes dans le monde; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle. [...] Eh quoi ! Est-il donc si difficile de laisser les hommes essayer, tâtonner, choisir, se tromper, se rectifier, apprendre, se concerter, gouverner leurs propriétés et leurs intérêts, agir pour eux-mêmes, à leurs périls et risques, sous leur propre responsabilité ; et ne voit-on pas que c'est ce qui les fait hommes ? Partira-t-on toujours de cette fatale hypothèse, que tous les gouvernants sont des tuteurs et tous les gouvernés des pupilles ? » Pamphlets de Frédéric Bastiat, 1850
Si les ateliers sociaux souhaités par Blanc, que nous avons vus en première partie, n'ont pas duré, les deux paradigmes antagonistes, collectiviste et individualiste, vont léguer une partie des systèmes français et américains que nous connaissons aujourd'hui.
Bastiat vs Blanc : USA vs France
Penchons-nous un instant sur les feuilles de salaire, comparons sans détours ce que ramasse le travailleur en France et ce que récolte son semblable d’Amérique. Là, vous verrez se dessiner deux mondes concrets, deux visions opposées de la gestion du travailleur, de son labeur et de son avenir.
Aux États-Unis d'abord, que trouve-t-on ?
Un unique salaire, dit "salaire direct". Chaque dollar gagné est versé directement sur le compte bancaire du salarié ... mais à quel prix ? Ce qu’il reçoit, il doit le gérer seul, car il n’a droit à rien d’autre. Pas de salaire minimum, pas de congés payés obligatoires, pas de sécurité sociale, pas même de congé de maternité — misère, le seul pays avec la Papouasie-Nouvelle-Guinée à en être dépourvu.
Et pour la retraite ? Il lui faut souscrire à un plan d'épargne, un 401(k), ou un autre chiffre assorti d’une lettre : 403(b), 457(b), IRA … autant d’initiales pour lui rappeler qu’il est seul face à son destin ; à tout moment un agent "fiduciaire", chargé de gérer cette épargne, pourrait lui faire perdre toutes ses économies !
Peut-il a minima compter sur la solidarité ? Non : dans certains États, des lois dites « droit au travail » (right-to-work laws) lui interdisent même de bénéficier d’avantages collectifs négociés par son syndicat. Le salarié américain n'est pas qu'un individu-roi, il est un "roi" solitaire, riche de ses emmerdes, écrasé sous le poids de ses responsabilités, sans couronne pour le protéger.
Et qu’en est-il de la France ? Ici, le travailleur touche deux salaires : un salaire direct, celui qui lui est versé, et un salaire indirect, celui qui est retenu pour le protéger des coups durs. Ce dernier, c’est le fruit des cotisations, ces sommes prélevées pour assurer contre le chômage, la maladie, et pour garantir une retraite. Mis en place par le communiste Ambroise Croizat en 1946, ce système, à l’origine simple et démocratique avec une caisse unique, s’est morcelé avec le temps, et est aujourd’hui géré par des caisses diverses, souvent opaques et éloignées du peuple. Mais malgré tout, le principe demeure : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » fidèle au communisme d'antan1. C’est une protection qui, même si elle s’est compliquée, reste un bouclier pour tous les travailleurs.
Si l’on regarde de plus près, on s’aperçoit que ce n’est d'ailleurs pas l’Amérique qui fait l’impasse sur les dépenses publiques. La part du PIB consacrée à la santé est beaucoup plus élevée outre-Atlantique : 17,8 % du PIB, soit 8 180€ Parité Pouvoir d'Achat (PPA) par habitant et par an, contre 12,3 % du PIB en France, avec seulement 3 970€ PPA par habitant et par an2.
Et quel est le résultat de cette débauche de dollars ? Les pires indicateurs de tous les pays développés : une espérance de vie moindre, la mortalité infantile la plus élevée, la mortalité maternelle la plus importante, et deux fois moins de médecins et de lits d’hôpital par habitant3. La dette publique quant à elle est de 125% du PIB aux USA, 111% en France.
Où est donc le progrès dans ce modèle libéral, individualiste ?
Le déjà-là communiste
Voilà, les chiffres sont là, froids, implacables. Ils montrent la différence entre un système qui protège et un système qui abandonne. Les Américains payent cher leur illusion d’indépendance, tandis qu’en France, malgré les défauts et les complications, c’est une solidarité collective qui se dessine, une protection qui ne laisse pas le travailleur seul face à la tempête.
Toutefois, comme on a l'art de maquiller les choses, en France comme ailleurs, de donner aux choses un nom qui ne fâche pas, qui n'effraie personne, surtout pas ceux qui tremblent à l'idée de voir ressurgir le spectre du communisme : parlez donc de notre système de santé, mais faites-le en douceur, en l'appelant « État-providence », en invoquant la « justice sociale », et d'autres termes bien ronds, bien polis, qui dépolitiseront l'idée même qu'un jour, on a pu penser à autre chose qu'à l'argent roi ou imaginer un communisme fonctionnel.
Et pourtant, quelle ironie ! Ce même système de sécurité sociale, si chèrement défendu, si prudemment renommé, n'est-il pas né sous l'égide de Ferdinand Lassalle, le fondateur du parti socialiste allemand, dans les années 1870 ? Mais Bismarck, favori du Kaiser, ce vieux renard, n'a-t-il pas lui-même déclaré qu'il faisait « du socialisme d'État » pour mieux combattre les vagues rouges, pour étouffer dans l'œuf les espoirs des socialistes et des anarchistes ? À l'époque, les roublards étaient honnêtes ! Il fallait ça pour unir l'Allemagne et éteindre la flamme socialiste, Bismarck utilisa la ruse en récupérant ces idées socialistes pour les soumettre à l'ordre prussien4. Depuis, tous ont adopté l'idée sans jamais l'attribuer à ses véritables concepteurs, sauf Clement Attlee au Royaume-Uni et Croizat en France.
Mais voilà, le communisme, malgré tous les efforts pour le reléguer aux marges de l'histoire, n'est ni mort ni vaincu. Il continue de vivre, d'exister dans le crâne de certaines têtes fortes, de se glisser dans les pratiques quotidiennes, dans le « déjà-là communiste » et les idées neuves. Voyez Bernard Friot, ce professeur d'économie communiste qui ne craint pas d'aller à contre-courant. Il propose d'étendre le mécanisme de la Sécurité Sociale aux salaires directs, de bâtir une société où le salaire serait détaché de l'activité immédiate, garanti à vie par une grande et unique Sécurité Sociale en fonction des qualifications, des diplômes. Ainsi, les entreprises ne pairaient plus de salaires, uniquement des impôts et cotisations, les salariés eux seraient garantis d'obtenir leur revenu selon une grille, comme les fonctionnaires. Fini les augmentations de 160% de PDGs, terminé la course aux primes et la concurrence entre salariés. Place aux échelles de salaire et aux écarts limites d'un rapport de 1 à 5 entre le plus élevé et le plus faible des salaires.
Une idée folle diront certains, mais qui ne fait que puiser aux sources mêmes du communisme originel, ce rêve de justice et d'égalité, ce projet qui refuse de plier devant les lois du marché et de la concurrence entre les humains.
Et du communisme originel, parlons-en ! Les penseurs libéraux ont su, dans les années 1970, redorer le blason de leur vieille pensée sous le nom pimpant de « néo-libéralisme ». Tout ça, bien sûr, pour repeindre de neuf un bâtiment lézardé, pour faire croire au retour des beaux jours d'antan. Mais n’oublions pas, mes amis, que leur idéal de société, cette philosophie pourrie, c’est travail, marché, chienlit. À chaque fois qu’elle s’installe, au jour le jour, adieu la liberté, les amours, les amitiés ; nous voilà condamnés à une vie de travail, plutôt qu’obtenir un travail pour une vie. Chaque jour, on nous arrache un peu de notre citoyenneté, pour nous transformer en simples consommateurs ; mais l’humain, mes amis, n’est ni une ressource, ni un produit prêt-à-l’emploi ... réclamons argent et temps pour être soi.
Et le communisme, dans tout ça ?
Ne serait-il pas temps de secouer la poussière des vieilles rengaines marxistes, d'arracher les lambeaux d'idéologies malmenées, pour ressusciter le communisme dans sa pureté première, celle d'avant les trahisons et les dévoiements ? Si, il est grand temps, mes chers lecteurs, de faire éclore un « néo-communisme », un retour aux sources pré-marxistes, mais en mieux, en plus grand, en plus fort ! On ne parlerait plus du communisme de la faucille et du marteau, mais d'un renouveau flamboyant, une mue idéologique qui redonnerait à notre monde des couleurs de justice et de solidarité véritable. Qu'on se le dise : c'est l'heure de la renaissance, de la réinvention, pour que demain chante enfin le temps des cerises !

Agrandissement : Illustration 1

CC.
3 Comparaison systèmes de santé France / USA, Fondation Jean Jaurès