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Billet de blog 12 mars 2023

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Le #BlocageDeLaFrance n’a pas eu lieu

Le blocage de la France n’a pas eu lieu, faute de forces qui ne se sont pas trouvées, chacune de leur côté mais aussi les unes et les autres. Résultat : outre les manifestations de rue, exprimant un mécontentement indifférencié et passif, aucune stratégie claire concernant les modalités de grève générale susceptible de créer un rapport de force avec le gouvernement.

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Le blocage de la France n’a pas eu lieu, faute de forces qui ne se sont pas trouvées, chacune de leur côté mais aussi les unes et les autres : la lutte syndicale, version « intersyndicale », la lutte politique, version « nupes » et la lutte sociale, version « gilets jaunes » (laquelle n’a pas eu lieu sur cette période « réforme des retraites »).

Résultat : outre les manifestations de rue, exprimant un mécontentement indifférencié et passif, aucune tactique et stratégie claire concernant les modalités de grève générale susceptible de créer un rapport de force avec le gouvernement.

Sur le plan syndical, les appels au blocage de l’économie par les centrales (certes unanimes), n’ont quasiment été suivis d’aucun blocage significatif, hormis sur quelques pôles toujours très actifs dans les transports, l’énergie, mais très insuffisants. Leur capacité d’entraînement et d’organisation s’est  montrée très faible. Quant à l’appel du versant syndicaliste auto-gestionnaire, les appels à la prise en charge de la grève par la base, l’auto-organisation par les travailleurs eux-mêmes pour la reprise en main de leur outil de production dans les entreprises, les effets produits sont passés inaperçus.

Sur le plan politique, les forces d’opposition en présence, nupes et rassemblement national, ont montré combien le salariat, est politiquement divisé. « Le monde du travail » est un mot creux en tant que force politique unifiée, avec tout ce que cela peut engendrer sur l’identification comme classe sociale. L’énergie déployée par la nupes pour informer, révéler, convaincre, entrainer (et ses débordements inévitables lorsqu’il s’agit de parler plus fort que l’adversaire) s’est heurtée à l’encéphalogramme plat du rassemblement national. Le RN a joué la petite musique bourgeoise de la respectabilité se coulant paresseusement dans le jeu parlementaire (motions de censures, motion de référendum) mais n’a jamais appelé à la grève, ni aux actions de blocage de l’économie, trop soucieuse de réaffirmer son soutien au cadre capitaliste. L’histoire éclaire volontiers, pour qui s’en soucie, sur ce petit jeu de respectabilité que le fascisme met en œuvre pour asseoir sa base électorale avant d’accéder au pouvoir. Ainsi que sur le petit jeu du « centre », dérivant vers un « extrême centre », idéologie plus propice à chercher alliance avec la droite++, et qui conduira inévitablement in fine à l’accession de l’extrême droite au pouvoir.

Sur le plan des mouvements sociaux, la manifestation dans son grand élan de « tous ensemble » et malgré sa claire manifestation de mécontentement ne permet de faire émerger aucune ligne directrice claire quant à la lutte concrète, quotidienne, qui permettrait d’engager la grève générale. Ni blocage de l’économie, ni « BlocageDeLaFrance ».
Ce qui est frappant dans cette forme d’organisation, c’est combien elle est peu inventive au regard de ce que nous impose la situation et surtout combien elle est incapable de tirer parti de la puissance et de la richesse du mouvement des gilets jaunes.

Les gilets jaunes ont véritablement été quelque chose de nouveau dans la lutte politique et sociale dans toute l’histoire de la République. Que ni le syndicalisme ni la gauche n’ont véritablement saisi, car complexe et multiple sur le plan sociologique. Les centrales syndicales ont superbement ignoré, voire littéralement dénigré le mouvement, les partis politiques progressistes (de gauche) n’y ont pas reconnu leurs petits, quand en face les chiens de garde du pouvoir traitaient les GJ de « vermines ».
Très vite le mouvement a été rattaché à l’extrême droite, jugé populiste, avec un verbatim qui ne correspondait pas à la tradition ouvrière qui constituait le cœur historique de la gauche. Et le RN de récupérer électoralement cette contestation, tirant tous les marrons du feu, capitalisant sur ce populisme à leurs yeux bien français, en en rajoutant juste quand il le fallait. Les GJ devenus infréquentables pour syndicats et partis de gauche, ils étaient perdus pour la lutte des classes, ou tout au moins pour la lutte « traditionnelle » des travailleurs.

Dès lors, la lutte contre la réforme des retraites partait avec un handicap  en restant à des formes de luttes du vieux temps : séparation stricte du syndical et du politique, abandon de la partie du corps social « gangrénée » par l’extrême droite, refus de valider les nouvelles formes de lutte qui avaient fait leurs preuves dans un champ d’actions qu’elles ne jugeaient par leur…

Les gilets jaunes ne sont pas réapparus sur les ronds-points : ils ont payé cher leur engagement par les violences policières, ils n’ont pas été soutenus et leur mouvement n’a pas eu gain de cause. La lutte par procuration, en regard d’une France par ailleurs ronronnante et apathique, ils ont donné ! Retour au « minimum syndical », manifestations saute-moutons une fois en semaine et une fois le week-end. Oui, ils sont là, même impuissants. Cela fait chaud au cœur quand même de retrouver les potes, faute de mieux. Et puis en France, on aime râler, hein !?

Tant que l'on aura pas compris que la puissance et le pouvoir se forgent dans le chaudron syndical, politique et citoyen « en commun » (et non pas « en même temps », cette tournure inféconde qu’a pris la lutte, par contamination), on continuera à subir, vers une servitude de plus en plus avancée, avec un contrôle social de plus en plus coercitif, et une répression féroce.

Le « en même temps » c’est la juxtaposition de luttes et de journées de lutte sur des thématiques diverses, mais dont la convergence ne parvient pas à se faire. Lordon(*) pointe à juste titre l’atomisation contemporaine des différentes luttes et la concurrences qu’elles peuvent se livrer les unes, les autres, créant cette incapacité à s’unir dans une lutte commune et efficace : travail, racisme, féminisme, climat...

« Ce qui est certain et que dans son épuisement, la <<convergence des luttes>> révèle, c’est que la morphologie du paysage social et politique s’est considérablement transformée en longue période, et que l’affrontement contre le capital a perdu la simplicité de l’antagonisme à deux blocs massifs (si tant est qu’il l’ait jamais eue) : capital contre travail, ou plutôt capitalistes contre prolétaires.»

Or, si chaque lutte a sa légitimité, que Lordon affirme devoir être acceptée par une « reconnaissance de l’égalité des luttes », il établit clairement le capitalisme comme étant « en position supérieure dans la hiérarchie structurale [des dominations], position d’où il mobilise à son profit toutes les autres dominations (…) organise, et pratique… la convergence des dominations. »

Le covid a bien montré ce dont le capitalisme était capable de faire en situation et comment « le monde d’après » a ressemblé furieusement au monde d’avant, en pire.

Ne pas reconnaitre cette « convergence des dominations » que représente le capitalisme, c’est ce condamner à l’impuissance.

La réflexion sur le « en commun » doit (re)commencer. C’est sur ce que peut être ce « en commun » que l’on doit sérieusement s’interroger, tant sur le plan de l’organisation (inexistante aujourd’hui) que sur les luttes elles-mêmes.

Après la réforme des retraites, une nouvelle « loi travail » s’annonce en 2023. La bourgeoisie pilleuse et mortifère a une stratégie. Nous n’en avons pas.

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* LORDON, Frédéric. Figures du communisme. Paris : La Fabrique éditions, 2021.
276 p.

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