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Une forêt. Deux regards. La jeune fille au chaperon rouge vient de rencontrer le loup[1]. Ils sont si proches qu’ils pourraient se toucher. Nous voilà arrivés avec elle, en ce moment coronavirus, au centre de notre vie-monde. Enfants-hommes, il nous faut réunir la totalité de nous-mêmes. Rassembler nos vies, saisir à nouveau notre nature. Faire des allers-retours de chaque côté du miroir pour saisir ce qui nous arrive. Accepterons-nous la peur ? Quelle peur ? Celle qui sauve ou celle qui asservit ? Que ferons-nous devant l’inconnu ? Quel inconnu ? Le magnifique animal ou l’homme fait loup ? Soyons francs. La petite n’avait pas les armes. Nul ne lui avait conté la mort pour saisir la vie. Nous avons le conte et nous y voyons clair.
Face au coronavirus, nous voici dans un moment de peur abyssale, tout autant figés par une nature qui nous saute à la gorge que par l’effondrement de ce qui nous est si proprement humain, notre économie, notre idéologie capitaliste. Comment, dans quel état sortirons-nous de ce moment d’effondrement ? Que sera le monde d’après ? Pour nombre d’entre nous, cette question est une sorte de trou noir qui absorbe tout, énergie, raison, imaginaire , désirs, peurs… Cela semble tellement incommensurable ! Tellement hors de notre portée ! En tant qu’individus, nous nous sentons sans force au regard de la force d’inertie du « monde », de ce monde libéral « globalisé » et de ce qu’il produit.
C’est la première fois que, pour plusieurs générations « occidentales » post baby-boom, ce moment se produit en ce qu’il nous affecte et nous menace directement, tous, sans distinction [2]. Et pas seulement sur le plan sanitaire, mais aussi sur le plan de nos conditions de vie, de nos projections futures. Sans accréditer l’idée que la pandémie soit une guerre, il semblerait qu’une pandémie mondiale puisse, par l’état de choc ressenti, conduire au même sentiment d’effondrement.
Mais est-ce là la fin de l’Histoire ? Sans doute non. Ce qui est en jeu, ce n’est ni plus ni moins : Qui va écrire la suite de l’Histoire et quelle Histoire ? Comment être acteurs des changements que nous voulons ? Quelles sont les conditions nécessaires, les obstacles à surmonter ? Après les gilets jaunes, la contre-réforme de retraites, la cocotte bout. Nous tâtonnons cependant encore. De l'indignation à l'engagement, de la lutte à la construction d'un renouveau politique et social, la question se pose... Que faire ?
La question est vaste comme le monde et la réponse tient peut-être dans le creux de la main ou dans un coin de forêt… Pour tenter d’y répondre posons-nous trois questions adjacentes. D’où partons-nous ? Où souhaitons-nous aller ? Comment nous y rendre ? Une quatrième suivra : Oserons-nous ?
D’où partons nous ?
L’analyse portera sur les deux forces en présence, à savoir « le capitalisme » et « nous » qui tentons de faire advenir une autre société.
L’analyse du capitalisme, de sa nature profonde et de ses effets, est maintenant bien documentée partout dans le monde. On sait. Nous savons. Je sais. On pourrait peut-être tenir encore quelques années à essayer d’affiner telle ou telle analyse, de vérifier tel ou tel constat d’expérience, d’attendre une modeste amélioration ou de continuer à nous mentir collectivement. Mais nous en connaissons suffisamment. La détérioration de la condition humaine est patente partout, tout autour de nous, y compris dans nos pays « occidentaux ». Pour autant, le moment coronavirus nous donne l’occasion d’apporter un éclairage nouveau et de porter une attention particulière sur certains leviers qui permettent au capitalisme de nous maintenir captif de son idéologie. Le moment coronavirus nous permet d’éclairer trois niveaux, trois plans. A chacun des niveaux et de façon complémentaire, le capitalisme met en jeu différents leviers d’action. Nous nous attarderons plus particulièrement sur les deuxième et troisième niveaux, ceux qui ont trait à la vérité et au langage, ainsi qu’au levier psychologique de la peur.
Un arrière-plan d’insécurité permanente (le monde, la nature, l’autre) - De l’état de guerre
Le capitalisme est fondamentalement un mécanisme de guerre, de guerre masquée, larvée, sous-terraine, permanente, étendue géographiquement, qui sape nos existences, retire les conditions de vie à certains pour les réserver de manière décuplée à d’autres. Guerre des économies les unes contre les autres, guerre-concurrence des individus les uns contre les autres pour accéder aux bonnes places dans l’échelle sociale, guerre de « l’économie » contre la nature… Concurrence, parts de marché, exploitation, extraction, ressources humaines… et autres vocables sont les armes de langage de cette captation et de cette guerre. Le capitalisme est aussi une guerre réelle. Guerre des pays les uns contre les autres pour l’accès aux ressources, pour asseoir des suprématies en imposant tels ou tels débouchés commerciaux. Guerres soutenues par les ventes d’armes, les diplomaties secrètes, les contingents de forces spéciales expertes en guerre-éclair, les conseils stratégiques en tous genres... Tout cela en échange d’accès aux ressources des pays concernés, au détriment des populations locales qui meurent sous les balles et par spoliation. Nous baignons tous dans ce fond de l’air nauséabond, tous les jours, à quelques degrés divers, directement ou par médias interposés, et nous nous y sommes accoutumés.
Avec la pandémie qui vient contrecarrer le bon fonctionnement de la machine économique et financière, le coronavirus donne au capitalisme une nouvelle occasion de déclarer la « guerre » à quelque chose, de perpétrer à nouveau la « stratégie du choc[3]». Et l’occasion de réaffirmer à tous les êtres vivants sans exception, de l’homme au virus, que tout ce qui vient se mettre en travers de son chemin lui déclare la guerre. En entraînant toujours les peuples dans « leurs guerres » à répétition, les gouvernements capitalistes savent les priver de l’énergie nécessaire à leur renversement. Mais leurs guerres ne sont pas les nôtres. Il s’agit pour nous de commencer par refuser toutes ces guerres et par déserter leur horizon de mort, y compris maintenant.
Un second plan, de vérité relative (Raison d’Etat, communication gouvernementale, médias, secret des affaires) – Du langage falsifié
Le capitalisme n’est pas seulement une idéologie de captation de la richesse, c’est aussi et surtout une idéologie de captation du pouvoir au travers du contrôle de la connaissance et de sa diffusion. Promoteur de systèmes toujours plus complexes sur le plan technologique, il assoit sa domination sur une déconnexion entre une minorité experte, seule capable de comprendre et de piloter cette complexité (nucléaire, systèmes numériques, intelligence artificielle…) et une majorité inapte, incapable d’en saisir les fonctionnements et de pouvoir les contrôler. Lui pose particulièrement problème, celui ou celle qui sort du rang de l’expertise aux ordres pour lancer l’alerte sur l’aliénation à l’œuvre, justifiant la production d’un arsenal de droit sur les secrets d’état et sur le secret des affaires qui n’a rien de libéral et d’humaniste.
L’avènement d’épisodes catastrophiques dont il peut être lui-même la cause le conduit à la production d’un storytelling permanent que la puissance médiatique à laquelle il a accès se charge de diffuser à large échelle, assurant d’un côté la sélection et le contrôle des vérités bonnes à dire et de l’autre son hégémonie culturelle. Cette fabrication de l’information, dans ce qu’elle laisse apparaître de vérité tout en laissant le reste voilé, dans ce qu’elle fabrique de brouillage constant d’informations contradictoires, maladroites, démenties, rectifiées, voire fausses et sciemment falsifiées, participe d’une propagande mise en lumière par Noam Chomsky et Edward Herman dans « La fabrication du consentement[4]». Ainsi de la guerre d’Irak parmi d’autres guerres nombreuses, ainsi du réchauffement climatique, ainsi du coronavirus… Mais plus encore, c’est par le dévoiement et la falsification du langage lui-même, que le capitalisme écrit ce storytelling. Ce que décrit dans « Le moment Potemkine » Frédéric Lordon qui, s’il était porte-parole du gouvernement s’autoriserait à dire sans vergogne : « Que les mots aient un sens, nous nous en foutons, mais alors totalement ; et nous ferons avec ce que nous voulons ».
Le moment coronavirus obéit à cette construction d’un storytelling quotidien où l’on voit que l’orientation et la portée de l’information diffusée participent « en même temps » de la connaissance et de son absence, et « en même temps » de la vérité et de son absence. L’échec patent de la gestion de crise oblige le gouvernement à un jeu d’équilibriste pour l’écriture d’un récit de la catastrophe, où la catastrophe apparaisse moins politique et sanitaire que proprement « naturelle » et imprévisible. Car dans le cas présent, l’analyse rationnelle nous amène à considérer l’événement comme une pandémie, une pandémie comme il en a déjà existé et en existe encore chaque jour à bas bruit dans le « tiers monde », et sans qu’il soit nécessaire de surjouer la catastrophe[5]. Une pandémie contre laquelle il n’y aurait pas lieu de s’alarmer plus que nécessaire, si le nécessaire avait été fait. Une pandémie qui n’a, sur le plan sociétal, les effets dévastateurs que l’on connait que parce qu’elle s’abat sur des communautés humaines fragilisées par le degré atteint en inhumanité, en dénaturation et en destruction de tout ce qui se nomme service public. Tout cela sous la conduite autoritaire d’un « économisme » ultralibéral, prétendument scientifique et rationnel, mais réduit à sa vision la plus étriquée, voire falsifiée, au service d’une minorité prédatrice et colonisatrice de nos vies et de nos imaginaires. Mais cette version de la réalité ne fait pas partie du storytelling. Briser la mécanique de cette connaissance de bas niveau et de cette logique de la demi-vérité est donc un acte salvateur. Notre éducation et notre intelligence collective sont à ce stade du naufrage essentielles.
Revenons, en ce point de développement, à cette petite fille vêtue de rouge évoquée en exergue, afin d’examiner le récit politique de ce moment coronavirus. Car à bien des égards le récit gouvernemental s’apparente à un bien mauvais conte dont la visée est moins propédeutique qu’hagiographique. Pour cette raison qu’il s’agit plus d’auto-justification et de rédemption que de vérité, et vu « l’état où le macronisme a mis la langue »[6] nous ne parlerons pas dans ce qui suit d’un conte, mais bien d’un vulgaire storytelling.
Bien que l’arrière plan causal ne fasse pas partie du conte, magie et poésie obligent, tout conte se construit au moment de son émergence sur un fonds et une réalité historiques. Aujourd’hui donc, comme le loup jadis, le virus est fantasmé comme le monstre absolu, héritage d’une nature hostile, dont il conviendrait de se débarrasser. La nature serait ici fautive. Tout comme la véritable connaissance du loup a dû attendre le développement d’une science nommée éthologie, la famille coronavirus devra attendre le rétablissement des crédits de recherche, drastiquement réduits en Europe et en France il y a quinze ans[7], alors que la dangerosité de cette classe de virus était fortement suspectée. Par effet de conséquence, tout comme pour le Petit Chaperon rouge, le défaut de connaissance, donc d’un principe de précaution minimum, a conduit l’homme moderne à entrer en contact avec le virus, via d’autres maillons de la chaîne animale, dans un rapport écologique dégradé (milieux de vie des différentes espèces surexploités et rendus non viables, interactions inhabituelles entre espèces…). Selon l’idéologie capitaliste, la mort du Petit Chaperon rouge[8] serait une fatalité, tout comme celle des victimes du coronavirus, en vertu du principe de réalité et de la loi du plus fort (lecture erronée du darwinisme comme loi de la nature). Non prémunie contre la dangerosité du loup, non protégée, l’enfant s’est laissée guider par sa curiosité naturelle à l’égard de l’animal, par sa détermination à mener sa tâche jusqu’à son terme et par son humanité profonde à l’égard de sa grand-mère. Tout comme le personnel médical, agissant par éthique de responsabilité s’est tenu attentif et engagé dans le rôle qui était le sien, et ceci en étant exposé malgré lui au danger, insuffisamment protégé.
Comme dans tout conte, le conteur, s’il est responsable des conditions de réception du récit, se tient à l’extérieur des causalités de l’histoire. Sauf qu’ici, le conteur, un gouvernement ultra-libéral et capitaliste, a partie liée avec ses causes et en est aussi à plusieurs titres l’auteur. Face à une pandémie qu’il n’a pas su gérer, le gouvernement doit donc absolument maîtriser l’écriture de sa propre histoire, par points presse et médias interposés, afin de masquer au mieux ses erreurs, ses fautes, ses manquements et de masquer ses responsabilités par un effet de choc. Il ne s’agira donc pas d’une pandémie mal gérée par un capitalisme pilleur de l’industrie nationale, de l’hôpital et des services publics mais d’une « guerre » contre un virus surpuissant. Il ne s’agira donc pas d’information, d’analyse et de vérité, mais de storytelling.
Un premier plan, enfin, de fragilité psychologique (groupes, individus) – De la peur
Tout comme pour le conte du Petit Chaperon rouge, le récit du coronavirus a également vocation à produire de la peur. Seul l’effet produit compte, pas les mécanismes à l’œuvre, ni les causes. Le capitalisme va-t-en-guerre joue là à nouveau et sous nos yeux, la partition d’un mythe destructeur. Les peurs qu’ils nous a chevillées au corps depuis deux siècles n’ont servi qu’à nous rendre dociles et à nous asservir : dangerosité d’un monde devenu complexe, indicateurs économiques et sociaux alarmants, baisse de la croissance, chômage, déclassement civilisationnel, responsabilité personnelle et psychologisation des process, peur de ne pas être performant, peur de l’autre comme concurrent, peur de l’autre étranger comme spoliateur, peurs identitaires… et pour finir, peur d’un virus sorti d’on ne sait quelle nature hostile.
Si le conte du Petit Chaperon rouge est censé faire bénéficier ses auditeurs d’une expérience tragique dont l’héroïne elle-même n’a pas pu bénéficier, le storytelling du coronavirus n’a aucune vertu propédeutique. D’où les questions posées en exergue : Accepterons-nous la peur ? Quelle peur ? Celle qui sauve ou celle qui asservit ? Que ferons-nous devant l’inconnu ? Quel inconnu ? Le magnifique animal ou l’homme fait loup ? Ces questions se sont posées à nous enfants ? Elles se posent aujourd’hui aux adultes que nous sommes devenus, dans ce moment coronavirus. Car nous voici placés devant le récit de la pandémie comme devant le Petite Chaperon rouge. Acceptons-nous de construire nos vies sur la peur du récit ?
S’agissant du conte, bien que fondé sur des éléments datés historiquement (le niveau d’éducation des enfants, la méconnaissance du loup), il a une vertu : nous servir. Par delà ses incohérences pour un jeune auditeur contemporain, le conte a construit depuis le XIVème siècle une peur salvatrice et en l’absence (quasi absence) de loup aujourd’hui, son transfert est toujours opérable. Nous l’acceptons en tant que tel, d’une part parce que nous comprenons qu’il vise à nous relier à une vérité (qui, bien que celle-ci soit cachée au premier abord appelle à être dévoilée par le jeu de notre méditation) et d’autre part parce que nous sommes autorisés, par un dialogue avec le conteur, donc par le langage en situation, à questionner le récit pour y enrichir notre représentation du monde et nos connaissances concrètes. S’agissant du premier, le récit du coronavirus, le storytelling vise, pour ainsi dire, tous les effets inverses. Le récit, qu’il soit gouvernemental, présidentiel ou médiatique, dans un rapport qui nous semble direct avec la vérité vise à en borner strictement l’étendue et à en orienter la compréhension selon un trame narrative prédéfinie. Ce qui importe plus que tout, c’est que cette trame narrative superficielle occupe constamment le devant de la scène, organise la complexité en complexification brouillonne, et finisse par le jeu d’une cacophonie à la fois savante et médiocre par rendre la trame profonde, celle qui devrait nourrir véritablement notre connaissance, très difficilement et très imparfaitement accessible, d’autant plus si elle risque d’éclairer les véritables causes du désastre. Rendue inopérante par ce bouillon de culture de demi-fausses-vérités, notre intelligence renonce et notre capacité de pensée s’effondre.
Si le storytelling de la pandémie et le conte du Petit Chaperon rouge, se répondent ainsi, c’est parce qu’ils nous interrogent l’un et l’autre profondément sur notre condition humaine, dans nos rapports de société et dans nos rapports à la nature. Car dans une telle situation de choc (la mort du Petit Chaperon rouge pour un enfant, comme la mort de milliers de nos concitoyens pour nous aujourd’hui), il importe qu’il advienne un moment de vérité où nous puissions dire si nos idéologies, comme nos contes, sont en adéquation avec ce que nous attendons qu’elles produisent, c’est-à-dire des raisons et des moyens de vivre dignement et en pleine expression de notre humanité. Ce moment est moment de vérité vis-à-vis de nous-mêmes, en tant que société, ainsi que dans notre rapport à la nature, et peut conduire ou pas, selon les circonstances, à d’importants changements sociaux et politiques.
« Nous » et notre difficile projet de révolution
Toutes les prémices d’une révolution sont présentes aujourd’hui. Un modèle idéologique capitaliste poussé à ses extrêmes et dont les effets sont connus, vécus comme des souffrances concrètes, documentées, pour une majorité de la population mondiale et de plus en plus nettement dans les pays occidentaux qui l’ont portée. La vie menacée pour ces populations, dans ses besoins les plus essentiels qu’ils soient biologiques, matériels ou spirituels. Des mouvements sociaux très nombreux et de grande ampleur s’élevant contre cette situation intolérable et aspirant à s’en libérer, qu’ils agissent à une échelle locale, nationale ou internationale. La réémergence des catégories de « peuple » et de « classe » dans l’expression de ces mouvements sociaux. Une élite ségrégationniste qui ne peut plus se dissimuler et qui appelle à choisir « son camp », espérant prospérer à l’aune d’une guerre sociale dont elle se pense vainqueure, adossée sur des Etats autoritaires et répressifs... Bref, un état de l’humanité si dégradé que ses conditions mêmes de survie locale ou mondiale ne tiennent qu’à un fil.
Le concept de révolution, bien qu’il semble tout fait à pertinent dans le cas présent, s’agissant de rompre avec ce qui est révolu comme idéologie guidant nos vies, achoppe sur quatre points : nos peurs héritées de l’acculturation capitaliste, la peur que suscite l’idée de révolution elle-même (y compris chez ceux qui la souhaitent), l’absence d’une idéologie alternative au capitalisme et la question stratégique de son organisation concrète.
De nos peurs inculquées – Du rapport de l’idéologie à la peur
La première est la peur de perdre ce que l’on a. De quitter le monde connu, dans lequel nous avons nos habitudes, bonnes ou mauvaises, nos repères, bons ou mauvais, nos situations difficilement acquises, nos petits privilèges de classe… La seconde est la peur de nous engager dans l’inconnu. De nous engager dans ce qui n’a jamais été pensé, expérimenté, validé. Avec la peur que cet inconnu ne soit pas meilleur que le monde connu. Enfin la troisième est la peur de la séparation et de la rupture. Changer ce n’est pas seulement rompre avec des manières de penser et de faire individuelles, c’est rompre avec des manière de penser et de faire collectives. C’est donc rompre avec diverses formes de relations (amicales, familiales, professionnelles…). Car dans notre entourage, tous et toutes n’accepteront pas de changer de direction. Ceux qui n’y ont pas intérêt d’abord, trop soucieux de garder la main sur leurs dominations et leurs privilèges (financiers, de genre, ce classe…) et qui cultiveront savamment les deux autres peurs. Ceux, ensuite, qui n’auront pas réussi à vaincre les premières peurs et qui préfèreront se satisfaire de leur condition actuelle, pas si mauvaise que ça à bien y réfléchir. Avec cela, la peur qu’un changement radical de paradigme de développement humain n’entraîne au final que guerre civile et ruine de « civilisation ».
De la peur de la révolution – Du rejet d’un horizon de mort pensé comme promesse de vie
Nos sociétés occidentales se sont ontologiquement éloignées de l’idée de révolution. Car elles se sont éloignées de ce que celle-ci a historiquement présupposé comme conditions nécessaires, à savoir la guerre civile, le sacrifice et la mort. Ces schèmes qui sont historiquement hérités de notre fonds primitif originel de l’idée de société depuis l’Antiquité Grecque ont constitué, pour nos civilisations occidentales modernes, les apories à la fois de l’idée de démocratie telle que nous la souhaitons et de l’idée de révolution telle qu’elle a existé par le passé . Après l’horreur des deux guerres mondiales, ces schèmes ne font plus partie aujourd’hui de notre rapport au monde. Par l’émergence des droits de l’Homme, nos civilisations se sont au contraire structurées au travers de projets qui rejettent ces réalités aux marges de notre humanité. L’incapacité de nous penser dans cette forme d’engagement, et la peur que nous soyons obligés d’en arriver à de telles extrémités font que l’idée de révolution fait peur, avant même qu’elle ne fasse sens. Ici, il ne s’agit pas de regretter ce fait anthropologique majeur, mais bien de le penser comme facteur de transformation de l’idée même de révolution.
De l’absence d’idéologie alternative – De la pensée unique
Il semblerait faire sens commun que nous ne possédions pas aujourd’hui, dans notre monde « occidental », d’idéologie propre à liquider le capitalisme, à redonner à l’humanité et des moyens et des raisons de vivre. Le capitalisme, très friand de l’idée de darwinisme social (que les plus adaptés à la guerre économique vivent), a prétendu explicitement être sorti définitivement victorieux de la lutte de classes[9], et ce faisant, a construit implicitement l’idée d’un darwinisme idéologique. Dans l’histoire de l’humanité, le capitalisme serait sorti seul viable dans la chaîne de l’évolution humaine. Toute autre forme idéologique serait morte. Ainsi, du communisme, son grand ennemi, relégué dans les poubelles de l’histoire. Or contrairement à ce qui a trait à l’évolution biologique de l’humanité (a priori les Néandertaliens ne reprendrons pas le cours de leur évolution dans les années à venir), il parait difficile de parler de disparition des idéologies. L’idéologie fasciste n’a pas disparu avec la fin de la deuxième guerre mondiale, mais demeure, seulement contenue dans les retranchements où nous avons la volonté et la force de la maintenir. Les idéologies ne vivent et ne se développent que dans un rapport de forces en présence et dans les limites que nous décidons collectivement de leur donner. L’idéologie capitaliste est de ce type, elle déclinera ou s’affaissera comme toute autre selon les besoins et les contingences de l’humanité. Reste à savoir quand nous déciderons cela et par quoi nous la remplacerons.
Au regard de la multiplicité des mouvements sociaux, des recherches de modèles économiques alternatifs, des expériences concrètes, des courants de pensée, des courants politiques émergeant, certes avec vitalité, ici et là partout dans le monde, souvent avec réussite mais difficulté de généralisation, aucune force suffisante n’a pu aujourd’hui se cristalliser face au capitalisme depuis un demi-siècle. A toutes ces expériences concrètes, animées d’un même carburant, la pulsion vitale, il semble manquer un comburant commun, une idéologie partagée. Une idéologie partagée qui ne nie, ni les particularismes locaux, individuels, communautaires, ou sociétaux, ni les croyances, et qui ne cherche pas non plus à les unifier. Une idéologie qui reconnaisse une humanité commune.
De la stratégie d’organisation de la révolution – D’une difficile « dictature du prolétariat »
La question de la stratégie est celle qui cristallise, semble-t-il, bon nombre de réflexions au cœur même des mouvements sociaux, des appareils politiques et syndicaux ainsi que parmi leurs intellectuels organiques. Dans son article critique paru le 26 mars dernier, Alain Badiou, après avoir donné, la tête froide, en scientifique avisé, une analyse très juste de ce qu’est le moment coronavirus, s’est livré à une attaque acerbe contre les réactions critiques que la population adresse au gouvernement s’agissant de sa gestion de crise. Il y jette pêle-mêle, sans aménité, les briques de construction historiques qu’il lui semble inconcevable de ne pas mettre en œuvre dans tout processus révolutionnaire digne de ce nom. En digne héritier d’un communisme scientifique, il y affirme péremptoire que tout événement, guerre ou pandémie, est d’effet quasi nul s’agissant de déclencher une révolution, s’il n’existe pas préalablement un terrain favorable préparé par « une avant-garde politique moderne, fortement structurée par des dirigeants remarquables », appelant à n’accorder crédit qu’aux « perspectives fondées d’une nouvelle politique ». Mais ici, A.Badiou, respectable et à coup sûr pertinent dans son argumentaire stratégique, se heurte très étrangement à l’idée de peuple, pierre de fondation mal équilibrée sur laquelle les architectes de la pensée ne pourraient rien bâtir. En lui, l’idée encore tenace d’un peuple inculte et braillard, capable tout au mieux de « grognements informes et slogans inconsistants », de « regroupements incontrôlés et de manifestations tapageuses » ou de propager une « paralysie mentale bravache » sur les réseaux sociaux. Au prétexte hallucinant que « les gauchistes ou les gilets jaunes, ou même les syndicalistes » n’auraient pas fait mieux que Macron s’agissant de la prévision de développement du virus, A.Badiou dénie toute expressivité d’une colère sociale. En arguant que rien ne ressemble plus à une pandémie qu’une autre pandémie ou qu’une autre « guerre » et qu’il n’y a pas donc lieu de « gloser », il dénie à toute colère sociale la possibilité de contribuer à l’évènement déclencheur d’un moment de caractère révolutionnaire. C’est oublier qu’une crise frumentaire ne ressemble rien moins qu’à une autre crise frumentaire, et que si toutes n’ont pas enclenché quelque révolution, certaines y ont pourtant été très favorables.
S’il faut pour fonder sérieusement une révolution, comme A.Badiou le pose en conditions impératives, des « vérités contrôlables par la science », des « expériences localisées » des classes exposées, nous pouvons dire que les armoires des organisateurs de révolutions sont pleines à craquer. Et comparativement à bien des révolutions, nous pouvons même dire que nous en avons dans nos armoires plus que jamais. Ce qui semble manquer maintenant que la coupe est pleine depuis longtemps, n’est-ce pas au contraire cette goutte qui va faire déborder le vase, ce moment déclencheur et unificateur qui fera la force du nombre ? Ce « moment Potemkine » que rappelle Frédéric Lordon[10], où l’un emporte le tout ? Est-ce le moment où une partie de la classe moyenne, qui jusqu’alors avait été épargnée par les assauts capitalistes et néolibéraux et qui déniait se considérer comme faisant partie du « peuple » et se joindre à ses aspirations, se voit atteinte par le coronavirus au plus profond de sa chair, personnellement, soit par le sacrifice d’engagement qui lui est demandé, soit par la perte odieuse d’un proche, soit encore par l’ébranlement de ses plus profondes certitudes, et soudain projetée dans le chaos ? Est-ce le moment où la majorité silencieuse des quartiers populaires de Seine-Saint-Denis, de Marseille et d’ailleurs, celle qui n’a pas cessé d’être maltraitée ou laissée pour compte, va ne pas se laisser dire qu’elle est coupable de la propagation de la pandémie, en raison de son besoin par trop luxueux de sortir prendre l’air hors d’appartements trop petits et bientôt étouffants ? Est-ce le moment où le sujet-individu va saisir son importance et son rôle au cœur du processus qui fait société, et qu’il va comprendre que ce qui arrive ou n’arrive pas, sans qu’il puisse en être entièrement tenu responsable, il y prend part, que la politique c’est un peu lui aussi, que l’Etat c’est un peu lui encore ? Monique Pinçon-Charlot nous dit à ce sujet « On veut vivre tout simplement de façon humaine, tranquille, heureuse, amoureuse, avec la conscience de notre finitude, dans une humanité savourée. Et bien pour cela, de cela, nous sommes responsables.» [11]
Où souhaitons-nous aller ?
Cette question, nous ne sommes pas les premiers à nous la poser. L’histoire de l’humanité est nourrie de cette question. Nous sommes simplement à un de ces moments où nous nous la posons, nous la reposons. Notre histoire est un chantier permanent. Mais nous pourrions dire que nous avons déjà formulé la réponse, la République sociale, et un moyen d’y parvenir, la démocratie. « Dans ce moment paroxystique, il faut une réponse à l’ensemble des crises existantes (…). Et pour cela, nous avons un modèle politique alternatif au modèle libéral, c’est celui de la République sociale, vocable né lors de la Révolution de 1848, utilisé lors de la Commune de Paris, puis lors du retour de la République avec Jean Jaurès et ses camarades.»[12]
Mais force est de constater que depuis deux siècles que ces idées ont été formulées, nous n’y sommes pas encore parvenus. Et que chaque jour, nous nous en éloignons d’avantage. Depuis trente ans, nos gouvernements occidentaux au service du capitalisme tentent de nous maintenir dans l’illusion d’un parcours accompli, tout en sapant toujours un peu plus ce qui fait l’essence même de ces deux objets politiques. L’illusion ne peut tenir que par la falsification du langage et l’effet de saturation de la communication. Certes, à plusieurs moments de notre histoire, nous nous en sommes approchés et les forces sociales progressistes, structurées politiquement à gauche (partis, syndicats, mouvements, associations…), n’ont cessé de travailler dans ce sens. Mais aujourd’hui, nous ne sommes qu’au milieu du gué et le travail est à reprendre.
Comment nous y rendre ?
Commençons par cesser d’être capitalistes
Le capitalisme, c’est n’est pas l’autre, ce n’est pas ce 1% le plus riche du monde, qui déciderait de tout, en cercle obscur et fermé. Oui, les plus riches agissent de cette manière, c’est acté, mais cela ne fait pas tout. Non, nous ne sommes pas ce 99% supposé s’élever « contre l’inégalité obscène de la richesse, des revenus et du pouvoir »[13]. Cette représentation, si elle a pu être utile pour « frapper l’imagination » et mobiliser des mouvements sociaux internationaux de grande ampleur, essaimant suite à la dynamique « Occupy Wall Street », a paradoxalement dédouané de sa responsabilité tout un ensemble de groupes sociaux réunis sous le vocable de classe moyenne. Car le capitalisme se niche aussi dans certaines de nos pratiques personnelles, à des degrés divers, et sans que nous nous en rendions compte ou que nous trouvions cela anormal. Nous devons convenir que le capitalisme ne nous est pas extérieur, étranger pourrait-on dire, et nous rendre compte à quel point nous avons été colonisés de manière très profonde et globale sur une longue durée de notre histoire. Le capitalisme fait partie de « l’identité » « moderne » de nos « civilisations » « occidentales ».
Cessons d’être capitalistes, par exemple, dans notre recherche du rendement financier de notre épargne. Car voyons de quoi il s’agit, dans le rapport du salariat au capitalisme.
D’un côté en tant que salariés nous acceptons (à regret) de recevoir un salaire modeste, qui ne correspond pas à la part réelle de création de valeur à laquelle nous avons participé. Ce faisant, nous acceptons que cette survaleur soit captée par un tiers, dont la logique est capitaliste par une sorte de tautologie. Est capitaliste, la personne physique ou personne morale (société par exemple) qui capte cette survaleur au motif qu’elle a décidé, sans discussion, de détenir en propre (à l’exclusion des salariés) le capital nécessaire à la production de valeur. De l’autre, nous nous efforçons de rester économes afin de pouvoir mettre de côté quelque réserve d’argent pour les temps futurs (comme la fourmi de la fable le fait pour l’hiver). Mais nous ne faisons pas qu’économiser. Nous attendons que ces économies nous rapportent. Nous attendons, qu’au travers d’un bon placement, ces économies nous pourvoient en ressources financières et compensent une part de ce qui nous a été refusé en salaire comme fruit de notre activité. En confiant nos économies aux banques, aux fonds d’investissements, aux fonds de pension…, nous nous confions à nouveau à un tiers capitaliste. Mais ces gains que nous allons chercher dans tel ou tel bon placement à fort rendement seront le fruit d’une survaleur captée sur le travail d’autres salariés. Par ailleurs, cet argent que nous plaçons, nous le confions à un tiers capitaliste qui a seul pouvoir de décision sur l’usage qui va en être fait. En confiant notre argent à un tiers capitaliste nous nous privons de notre pouvoir de décision économique et nous plaçons nous-mêmes dans une position de mineurs économiques.
Sur ce seul point d’exemple, les initiatives concrètes sont nombreuses, qui peuvent nous permettre de contrôler les flux monétaires qui nous concernent et l’usage qu’il en sera fait. La création d’organismes de dépôts et d’investissement autonomes des banques en est un moyen. Un tel établissement existe déjà et fonctionne.[14]
Imposons notre intelligence collective
Une révolution n’est pas une guerre. Une révolution est avant tout le passage d’une vision périmée du monde à une nouvelle vision. La guerre n’est engendrée que par la résistance de l’ancien monde. C’est une guerre faite à l’intelligence collective nouvelle, ce que n’a cessé de faire le capitalisme en France depuis sa montée en puissance sous la Restauration, il y a deux siècles. Aux grandes heures du capitalisme bourgeois du XIXème siècle, le capital accumulé a été au pouvoir économique ce que le suffrage censitaire était au pouvoir politique: le moyen d’exclure le peuple, les travailleurs, les prolétaires, des processus de décision politiques et économiques.
Ce que craint plus que tout le capitalisme, c’est la fédération des intelligences, la convergence des intelligences qui poussent pour se libérer. Sarkozy et Lagarde l’avaient bien compris qui, en 2007, demandaient aux Français d’arrêter de penser[15]. Encore aujourd’hui bien décidé à contrer ce renouveau des intelligences, le capitalisme tente de l’étouffer par un recours massif à la technologie, qui parce ce qu’elle mobilise les connaissances scientifiques de pointe a, croit-il, le pouvoir de reléguer à l’arrière-plan de l’histoire toute autre forme d’intelligence humaine. C’est le rôle qu’il confère, en complément de l’attirail technologique des « forces de l’ordre » (surveillance, répression, coercition), à la puissance clivante de l’intelligence artificielle. Dans une conférence à l’école Polytechnique[16], Laurent Alexandre, chantre du transhumanisme, en est venu à considérer qu’une partie de l’humanité, rendue incapable de maîtriser ce nouveau mode d’intelligence pourrait bientôt être qualifiée « d’inutile ». Le pas est franchi : d’inapte à inutile. Ne laissons donc pas à l’intelligence artificielle capitaliste le monopole de l’intelligence et ne lui confions surtout pas les choix qui concernent nos vies, nos libertés. Attachons nous à fédérer nos intelligences collectives au sein d’universités populaires[17] régionales, nationales et internationales. Continuons à nous associer et à mutualiser.
L’esprit nous manque-t-il aujourd’hui ? Les idéaux, l’intelligence collective nécessaires nous manquent-ils ? Non, tout cela ne nous fait aucunement défaut. Ni aujourd’hui, ni depuis deux siècles. Nous avons aujourd’hui un peu partout en France, en Europe et dans le Monde des intelligences multiples de la pensée sociale et humaniste, qui à défaut de constituer ce bloc apparent des Lumières au XVIIIème siècle, s’articulent aussi bien verticalement qu’horizontalement pour toucher plus largement les différents groupes sociaux, et cela de manière globale, internationale. Philosophes, scientifiques des divers domaines dont anthropologues, sociologues et écologues, économistes, politologues… sont à l’œuvre et génèrent une pensée riche, qui ouvre nécessairement les voies d’avenir. Cette pensée contemporaine n’est pas plus faible que celle des Lumières, elle en est le prolongement, en ramification et en développement fractal. Si nous avons besoin des idées sources, elles sont à notre portée, dans les courants de pensée actuels, dans le travail produit par l’histoire des idées et des mouvements sociaux, mais aussi dans les textes eux-mêmes tant qu’ils resteront accessibles[18]. Les idées des XVIIIème, XIXème et XXème siècles ne sont pas mortes avec le darwinisme capitaliste. Elles sont vivantes. Elles sont mobilisables comme jamais elles ne l’ont été.
Si le concept et la réalité d’une élite sont encore problématiques en ce qu’ils représentent un prolongement de l’héritage bourgeois, il n’en reste pas moins qu’une pensée d’avant-garde produite par des gens dont le parcours éducatif et le métier sont organisés pour cela est toujours nécessaire. Et que si une partie de l’élite, certes massive et servile, produit pour le capitalisme, une autre produit une pensée sociale et humaniste qu’il parait inouï de jeter aux orties au prétexte qu’elle est le « produit de l’élite ». Elle est destinée à tous ceux qui veulent bien s’en emparer et construire avec elle. Si 1789 a été le fruit de la pensée avancée d’une élite très majoritairement bourgeoise, notre époque se distingue par le fait que l’intelligence collective et les idéaux sont aussi l’œuvre du peuple lui-même. Malgré tous ses avatars, l’éducation a produit, en deux siècles, des peuples conscients et doués de pensée, individuellement et collectivement. Depuis les grands mouvements ouvriers du XIXème, de 1830, 1848, de la Commune de Paris…, la pensée d’avant-garde émerge du peuple lui-même. Cette pensée se nourrit à la fois de la pensée de ses « intellectuels organiques [19]», et des propres conditions d’existence et des rapports économiques des différents groupes sociaux. Et cette pensée ne vaut pas « rien ». Les grands mouvements sociaux, qu’ils aient été issus des luttes ouvrières ou des mouvances altermondialistes, en attestent. Une intelligence collective se coconstruit simultanément à une intelligence individuelle populaire. Le mouvement des gilets jaunes est exemplaire sur ce point.
Reconnectons-nous à notre histoire et ne perdons pas de vue notre but : la République sociale
Convaincu d’avoir vaincu le communisme, le capitalisme s’affiche victorieux de la lutte des classes et tire gloire de n’avoir laissé des idéologies adverses que débris épars. Désormais, il avancerait seul à la tête de l’évolution naturelle de l’humanité. Aujourd’hui, aucune idéologie ne serait en mesure de lui tenir tête. Et force est de constater qu’aucune idéologie majeure ne semble se présenter.
Réveillons-nous, sortons de notre torpeur. Convainquons-nous que les idéologies ne meurent pas et reprenons le fil de l’histoire. Qu’y voyons nous ? Une révolution inachevée parce qu’ambivalente, porteuse tout à la fois d’universalité et d’une captation des possibles (1789)? des révolutions ouvrières et populaires brisées et trahies (1830 et 1848) ? La Commune de Paris réprimée ? Oui, nous y voyons un peu de cela qui accrédite, sous l’effet de l’éclairage culturel qu’en donnent les vainqueurs, la domination du capitalisme. Et partout dans le monde, ce genre de tentatives inachevées, aliénées, liquidées (Amérique latine, Maghreb…). Mais nous ne voyons pas, que derrière ce tableau en demi-teinte de l’histoire, les multiples tentatives politiques, les multiples expériences concrètes, locales ou internationales, qui luttent encore aujourd’hui contre le capitalisme, ont une bannière : le socialisme.
Avant d’être totalement décérébrés au point de ne plus comprendre l’histoire, nous devons reprendre les fils de l’idéologie du socialisme laissés à terre depuis deux siècles et les retisser avec nos expériences récentes. Le XIXème siècle a produit un corpus idéologique majeur, base de plusieurs voies possibles du socialisme, qui par delà les différences de courants, de stratégies, les démarches et prévalences intellectuelles variables, les luttes ouvrières contingentes, devrait nous apparaitre, avec le recul et au regard du désastre capitaliste, comme d’une grande unité et d’une grande force: la recherche d’un degré avancé d’humanité. Des premiers socialistes ayant pris leur distance avec le Saint-Simonisme (Leroux…), des socialistes utopistes (Godin, Owen, Fourier,…) socialistes-libertaires de l’Anarchie (Proudhon, Kropotkine…), socialistes révolutionnaires (Blanqui, Pelloutier…), du socialisme scientifique de Marx et Engels, du socialisme de Jaurès… nous sommes aujourd’hui les héritiers ; héritiers d’une idéologie, « le socialisme », dont le but est l’épanouissement plein et entier de notre humanité individuelle et collective et dont la forme politique se nomme « République sociale », avec pour devise liberté-égalité-fraternité.
Qu’est-ce qui est mort la dedans ? Qu’est-ce qui aurait disparu avec le darwinisme idéologique du capitalisme ? Tout est encore vivant, tout est encore là, dans ce que nous faisons tous les jours. Mais de manière éparpillée dans chacun des mouvements émancipateurs contemporains. Réactivons ce socialisme qui est en chacun de nous et dont nous ne savions plus dire le nom, privés de cette langue universelle des droits de l’homme que le langage falsifié, dévoyé du capitalisme et les accommodations de la social-démocratie nous ont forcé petit à petit à ne plus parler. Pour le capitalisme qui les utilise comme des mots parasites, « Socialisme », « Communisme » fonctionnent toujours parfaitement comme des monstres pour détruire nos aspirations en donnant main forte à toutes les caricatures de l’adversaire. En introduisant dans les mots toute sa charge virale, le capitalisme les a figés, détruits de l’intérieur et a réussi à dévitaliser tous les possibles des diverses branches de nos idéaux. Au point que considérant mortes certaines formes de socialisme-communisme, nous nous sommes laissés convaincre de la fin du socialisme lui-même, et peut-être aussi, après le fascisme, de la fin de l’humanisme. Mais par delà l’éclairage que nous avons aujourd’hui de leurs expressions historiques, belles, médiocres ou effroyables, socialisme et communisme n’ont pas dit leur dernier mot.
Réapproprions-nous les voies abandonnées par l’histoire et rebâtissons.
Agissons en conscience
L’hégémonie culturelle que posait Gramsci comme condition d’une lutte des classes victorieuse est sans doute déjà-là. Les bases culturelles du renversement du capitalisme sont là. Elles sont même, sans, doute majoritaires, sans être encore capables de se penser dominantes. La conscience révolutionnaire ne peut-être qu’une méta conscience, une conscience de notre conscience, de ce que nous vivons sur le moment présent et de ce que nous sommes capables de faire à l’avenir.
Notre conscience nous dit :
- Nous sommes animés d’un idéal d’une société meilleure et de la volonté de les réaliser
- Nous vivons une crise après d’autre crises non résolues qui attestent d’un dysfonctionnement sociétal, structurel et majeur sous la conduite d’une idéologie néfaste
- Nous sommes dotés d’une intelligence collective de la situation et de l’avenir possible
- Nous avons l’expérience d’un agir collectif déjà éprouvé et mobilisable à tout instant
- Nous disposons d’une communication en réseau qui nous lie les un.e.s les autres
- Nous sommes au cœur d’un événement unificateur (dont nous avons à décider s’il est déclencheur)
- Nombreux, nous avons la capacité de créer la force émancipatrice nécessaire à la rupture sans qu’il soit nécessaire, ni souhaitable, d’avoir recours à la violence de notre côté[20].
Nous ne rentrerons pas ici dans la vérification historique que ces données furent nécessairement réunies dans les différentes révolutions majeures des deux siècles passés. L’histoire ne nous sera pas d’un grand secours s’agissant de décider, en vertu du fait que « l’histoire ne repasse pas les plats[21]».
Nous sommes dans un moment de conjonction de facteurs. Mais sommes nous prêts à saisir ce moment révolutionnaire, à saisir « les idées qu’il y a dans l’air » ? Au terme d’une vidéo qu’elle intitule « Les idées qu’il y a dans l’air » Naomi Klein[22] nous prévient : «S’il y a bien une chose que nous apprend l’histoire, c’est que les moments de choc sont profondément volatiles. Soit nous perdrons beaucoup de terrain, et serons écrasés par les élites et en payerons le prix pendant des décennies. Soit nous gagnerons des victoires pour le progrès, qui semblaient impossibles il y a quelques semaines. Ce n’est pas le moment de perdre nos nerfs. Le futur sera déterminé par ceux prêts à combattre le plus durement pour les idées qu’il y a dans l’air ». Sa vidéo se termine par une citation de Milton Friedman, économiste-gourou du néolibéralisme le plus extrême : « Seule une crise, réelle ou perçue, produit de véritables changements. Lorsque cette crise survient, les mesures prises dépendent des idées qui traînent dans l’air. C’est, je crois, notre principale fonction : développer des alternatives aux politiques existantes, les garder en vie et à disposition jusqu’à ce que le politiquement impossible devienne politiquement inévitable. » Noami Klein, à l’unisson de très nombreux autres observateurs, nous met en garde sur le potentiel durcissement des pouvoirs néolibéraux qui pourrait être mis en œuvre après le choc coronavirus. Mais, retournant la « stratégie du choc » contre ses promoteurs enclins à profiter des crises pour enfoncer le clou du libéralisme et du capitalisme les plus sauvages, elle pense ce moment coronavirus comme le moment où quelque chose de rare et puissant nous tombe dans les mains dont il nous faut nous servir.
Convainquons-nous. Depuis le Front populaire et le Conseil National de la Résistance (si l’on se limite aux générations qui peuvent encore en parler), oui ! nous avons gardé « l’idée socialiste »[23] en vie. Et cette idée dont on nous a enfoncé dans le crâne à coup de « pensée unique » (« There is no alternative[24]») qu’elle était politiquement mais surtout économiquement impossible, devient aujourd’hui nécessaire, indispensable, vitale, si l’on ne veut pas sombrer.
Leur capitalisme est à terre. Nous ne devons pas les aider à le relever. Nous devons faire de ce moment, où nombre d’entre nous sont libérés des contraintes du travail, un moment de préparation de notre avenir. Ce temps n’est ni une pause-loisirs bien méritée, ni un prêt à intérêt que nous accorderait le capitalisme (et que nous devrions payer cher par notre travail pour un « retour à la normale »). Ce temps leur échappe. Ce temps nous appartient. Un temps que nous devons nourrir de politique, comme nous y invitent quasiment l’ensemble des personnalités de gauche[25], en renouant avec notre histoire et en réarmant nos idéaux.
Nous devons préparer le déconfinement comme une arme de désobéissance civile et construire un « double pouvoir »[26], politique et économique. Ce double pouvoir doit conduire à une clarification et une scission entre d’un côté ce qui est de l’ordre du capitalisme et dont nous voulons nous débarrasser et de l’autre des « initiatives concrètes » que nous devons y substituer. Ce double pouvoir s’exprime à la fois par le NON du refus, refus de reprendre le capitalisme où le coronavirus l’aura laissé – le NON que l’on nous a volé lors du référendum sur le traité constitutionnel européen en 2005- et par le OUI de l’engagement dans le projet d’une véritable République sociale. Ce que nous ferons, c’est parce que nous l’aurons décidé. Comment nous le ferons, nous seuls le déciderons. « C’est par une expérience pratique que l’on pourra avancer vers une sortie du désastre[27]». Il s’agit donc de penser dès maintenant, non un retour à la normale en reprenant nos places dans les rangs, mais un moment-divergence, un moment-rupture.
Organisons un moment de justice et un moment constituant
La rupture avec une idéologie, dès lors que celle-ci est considérée et vécue comme néfaste aux aspirations universelles de notre humanité, est par essence un acte de justice. C’est un acte de justice dont les visées sont doubles : éclairer les faits (actions et omissions) du pouvoir en place à la lumière de la vérité et permette une réconciliation sociale. S’agissant du capitalisme et de sa mécanique (inégalitaire, autoritaire, colonisatrice, impérialiste, ségrégationniste, liberticide, écocidaire…), le moment coronavirus révèle, après tant d’autres, les tenants et les aboutissants de son idéologie et l’ampleur de sa trahison. Nous savons et il n’est plus possible de nous taire. Prononcer l’ignominie est une nécessité, c’est aussi un acte de justice nous engageant collectivement. Car ce à quoi nous aspirons pour faire société, c’est un ordre juste[28]. Et l’avènement d’un ordre juste a pour prémice un acte de justice. Sur ce point, une révolution peut se définir intrinsèquement par deux points : son aspiration première va à ordre juste et l’acte de justice qui la fonde s’exerce en dehors du cadre du droit, étant entendu que le droit en cours préserve les intérêts contraires. Autrement dit cet acte de justice est nécessairement un acte de transgression et de désobéissance civile. Si nombre de révolutions ont eu ceci d’effrayant qu’elles ont prétendu rompre avec des idéologies en faisant tomber des têtes, il ne s’agit pas de cette justice ici. Légitime, à défaut d’être légal, ce moment de justice devra poser les bases d’une réconciliation sociale, et pour permettre cela être conçu et organisé de manière pacifique, comme pierre de fondation des développements ultérieurs. La crise du coronavirus contient tous les ingrédients d’un tel moment, en ce qu’elle résulte en propre de l’action du régime politique en place et en ce quelle cristallise aussi tous les principes idéologiques néfastes qui la guident depuis deux siècles. Un tel dispositif pourrait se nommer « Indignité nationale »[29].
Le second temps de ce moment de rupture est la définition par le peuple souverain des modalités par lesquelles il entend faire société et mettre en place les outils de son gouvernement. Il s’agit donc de mettre en place une assemblée constituante pour le passage à une sixième république.
Le mouvement des gilets jaunes a permis de faire émerger une réflexion très riche sur cette question essentielle en démocratie. Certains courants de pensée et d’action ayant pris part à ce mouvement (mouvement pour le Référendum d’Initiative Citoyenne, Etienne Chouard), ainsi que certains mouvements politiques (Mouvement M6R impulsé par le Parti de gauche en 2015) ont posé les bases de ce travail. Il convient d’utiliser cette dynamique et cet acquis pour faire advenir ce moment constituant.
Repensons ensemble communisme et écologie
Si comme le reconnait Richard Poulin « l’échec historique du ‘’socialisme réellement (in)existant’’ et la « faillite du ‘’socialisme’’ de la social-démocratie » pèsent lourdement sur nos capacités de mobilisation[30] et nous égarent au point de nous orienter, par déception et mécontentement, vers le fascisme, la xénophobie, le repli nationaliste et identitaire comme horizons de projet, le point d’égarement et de déshérence auquel nous sommes parvenus doit nous réinterroger en profondeur. Et Jean-Luc Mélenchon d’appeler à ce que « le moment actuel fusionne en un processus unique des exigences philosophiques, morales et sociales qui sont au cœur de l’humanisme »[31].
En quoi l’époque est-elle nouvelle qui nous donnerait plus de force et d’espoir aujourd’hui ? Elle l’est parce que depuis l’émergence de l’écologie comme conscience collective dans les années 1960, la question du capitalisme a à voir avec nos capacités de vivre en société dans le seul milieu possible, la terre. Perte de biodiversité sous la pression de l’exploitation et de la réduction drastique des milieux naturels, extractivisme outrancier, pollutions, expropriation et spoliation des peuples autochtones, marchandisation du vivant et des ressources vitales (eau, terres…) et enfin changement climatique dont les répercussions auront des impacts majeurs sur nos systèmes proprement humains. La liste est longue des atteintes à notre environnement, qui, sans parler des atteintes directes à notre humanité[32] (lorsque le travail devient exploitation et aliénation), mettent en péril nos conditions de vie mêmes à court ou moyen terme. Le capitalisme est voué à créer conflits et guerres en raison de la raréfaction des espaces viables, mais aussi à engendrer plus pernicieusement dégradations biologiques, psycho-sociales et psychiques de l’espèce humaine. La pandémie coronavirus prend place dans cette chaîne dégradée de la vie, et révèle comme par effet de zoom en quoi nos choix économiques et nos modes de développement exploiteurs et destructeurs du vivant et des biotopes menacent l’espèce humaine elle-même. Le capitalisme apparait comme une idéologie qui nous place sur une branche caduque de l’humanité. Ce qui nous menace c’est l’incompatibilité entre notre idéologie dominante actuelle et quelque chose qui n’est pas d’ordre idéologique mais de l’ordre du réel et de la connaissance, de la conscience que nous en avons : l’écologie. L’écologie est une science qui ne se discute pas comme un objet idéologique ni même politique. Elle existe comme donné scientifique du réel et par suite se construit ou pas, plus ou moins, comme conscience. A partir de cette conscience se construisent, ou pas, une idéologie et une politique. Conséquence d’une économie devenue globale et destructrice, le moment coronavirus nous oblige à en redéfinir la place et l’importance.
Notre conscience écologique, seule à même de permettre notre survie sur terre, requiert donc l’émergence d’une idéologie avec laquelle elle puisse s’accorder. Avec l’émergence des thématiques essentielles de « biens communs de l’humanité », eau, air, sols, espaces naturels terrestres et océaniques, patrimoine culturel, patrimoine génétique du vivant, éducation, santé, valeur d’usage,… le communisme apparait, à ce point de réflexion, comme une idéologie qui mérite d’être reconsidérée. Traditionnellement pensé comme une idéologie d’ordre social, économique et politique, le communisme, considéré dans des voies nouvelles, peut s’envisager aujourd’hui comme le système idéologique en capacité d’intégrer cette condition princeps qu’est l’écologie.
Historiquement, le communisme a été pensé comme la « logique inverse » du capitalisme. « Dans Le Capital, Marx a montré la différence entre une société subordonnée à la logique du capital (dans laquelle la force de travail sert à valoriser le capital) est une société nouvelle, dont la logique est inverse, dans laquelle l’objectif est la satisfaction des besoins propres aux individus en fonction de leur propre épanouissement. (…). La ‘’logique inverse’’ permettra le plein et entier épanouissement de l’individu, son développement comme une fin en soi de toutes ses capacités humaines dans le cadre d’un société de producteurs et de productrices associé.e.s (…) »[33] Sans dénier ce qu’il y a de fondamental et de toujours vrai dans cette recherche de l’épanouissement humain, force est de constater que le communisme, en s’articulant sur les seuls rapports de production censés faire union entre les travailleurs (conscience de classe) et pourvoir à leurs besoins matériels essentiels, a occulté ce qui fait cet autre commun qu’était la nature. Par delà le fait (majeur et lourd de conséquences) que le communisme se soit abîmé dans les développements du « socialisme réel » que l’on connait, son idéologie est restée captive de bases de développement industrielles, n’envisageant notre monde commun, y compris dans ses modalités politiques au XXème siècle que dans une perspective anthropocentrée. La question historiquement centrale, dans le socialisme de Marx et dans l’idéologie capitaliste du XIXème, celle des moyens de production et de leur contrôle a donné lieu à un combat de titans sur le terrain de l’industrie. Pensé comme une locomotive, capable de tirer le train de l’humanité dans le sens inverse du capitalisme, avec le risque de faire du conducteur un directeur de conscience tout puissant, il a tenté de tenir sa position sur le même rail que le capitalisme, sur un rail où les questions de nature n’avaient pas leur place.
Dans le triptyque moyens de production, travail, capital, la source première de la création de valeur, c’est-à-dire la ressource naturelle et ses modalités d’extraction, a été jusqu’à une époque récente le point aveugle de l’alternative de développement communiste-capitaliste. Nourrie de l’idée que les ressources pouvaient être inépuisables ou que les progrès techniques en assureraient l’utilisation économe, mais aussi que la fin justifie les moyens (extractivisme sans souci des impacts sur le milieu), le combat industriel communiste-capitaliste s’est déroulé au détriment de notre environnement naturel, donc de nos milieux de vie. Par cette lutte historique, en même temps qu’elle s’efforçait de donner vie et corps à l’idée de modernité, notre humanité s’est maintenue sur la voie de tous les dangers, ceux que provoque une recherche de surpuissance, qu’il s’agisse d’empires territoriaux, matériels et financiers ou d’états tentaculaires, bureaucratiques et inhumains, adossés les uns et les autres sur des régimes autoritaires et policiers.
Sans nier ce que l’industrie a apporté à la modernité, ni que l’industrie, dans sa répartition géographique, son usage et son contrôle reste un sujet essentiel dans ce qui nous occupera demain, la modernité se doit d’opérer une rupture. Cette rupture ne peut venir du capitalisme lui-même. Dans sa capacité à se créer sans cesse de nouvelles branches de développement, ses propositions de « greenwashing » ne peuvent pas faire illusion. Les principes à l’œuvre, issus d’un même tronc commun de « pensée économique », ne peuvent conduire qu’aux mêmes mécanismes et aux mêmes résultats. Si certains espèrent encore, à ce sujet, de la posture entrepreneuriale surjouée d’un président de la République dans le rôle d’un « Homo economicus »[34] ou d’un « premier de cordée » idéal, convenons que cette posture masque mal le pillage et la vente à la découpe de notre industrie, et l’absence d’engagement en matière d’environnement. En cherchant à ce point à incarner les vertus de « l’entreprise », ce président cherche moins à repenser l’industrie dans une vision renouvelée intégrant l’enjeu écologique, que d’imposer l’image d’un capitalisme à visage humain, produit d’une idéologie si intrinsèquement humaine qu’elle en serait indépassable. Les ficelles du capitalisme financier qui dévaste tout, jusqu’aux hôpitaux et aux écoles, ne faisant pas partie de la mise en scène.
En poussant à son extrême d’un côté la désindustrialisation de l’Europe et achevant de l’autre sa financiarisation complète, le capitalisme a définitivement triomphé d’un communisme construit sur l’idée d’une permanence de l’industrie et des rapports de production, au premier rang desquels le travail qui faisait le ciment des groupes sociaux. Vainqueur de la guerre idéologique sur ce champ de bataille, le capitalisme productiviste et financier, créateur de biens et services sans égards aux territoires et aux peuples qui les produisent et générateur de dividendes, s’est imposé de manière hégémonique comme « une loi naturelle »[35]. Outre le fait que le prolétariat Européen soit aujourd’hui plus éclaté que jamais (le capitalisme s’y est employé), le schéma d’une « dictature du prolétariat » en lutte contre une dictature du capitalisme n’est plus opérationnel aujourd’hui. Y compris en Chine. Ce qui est en jeu ici c’est la dévitalisation profonde de l’idée naturaliste du capitalisme. Il apparait clairement que notre permanence en tant qu’espèce se joue sur notre capacité, en toute intelligence (si l’on s’en tient à ce qui est supposé nous caractériser en tant qu’espèce), à faire en sorte que notre idéologie soit viable dans notre écologie. Mais, pas plus que le capitalisme, le communisme ne peut prétendre être une idéologie naturelle à l’homme. Cette croyance a conduit l’un et l’autre aux pires extrémités. Confier notre politique à des idéologies « pures », quelles qu’elles soient conduit aux mêmes écueils. La seule perspective d’un héritage possible du communisme, est l’adossement complet à notre écologie. Ce faisant, il s’agit de penser notre système politique comme la conjonction d’une idéologie et d’une écologie, c’est-à-dire d’une anthropologie et d’une entropie[36].
Nous devons sortir d’une vision anthropocentrée, sortir du primat de la nature humaine et nous préoccuper de l’homme dans la nature dans son ensemble. Il s’agit de faire un saut, bifurquer radicalement sur une autre voie anthropologique que celle de l’opposition dialectique du communisme historique et du capitalisme. Débarrassé de ses historicités et de ces apories, le communisme devient une idéologie à réarmer, à partir de ses sources, de nos aspirations contemporaines et de notre écologie, par une exploration d’autres branches possibles de son développement. Il ne s’agit donc plus, ici et maintenant, d’être anticapitalistes, mais d’explorer de nouvelles et plurielles voies du socialisme. Avec la proposition de substituer « protectionnisme » par « internationalisme » et « anticapitaliste » par « socialiste », nous pouvons convenir avec Serge Halimi, en ce moment coronavirus que « Désormais, [l’internationalisme], l’écologie, la justice sociale et la santé ont partie liée. Ils constituent les éléments-clés d’une coalition politique [socialiste] assez puissante pour imposer, dès maintenant, un programme de rupture.»[37] La réalisation d’une République sociale et notre agir dans le monde en pleine conscience écologique sont un même processus[38].
Agissons en politique
Aujourd’hui, la force d’entraînement politique est dans le champ des mouvements sociaux, avec des initiatives concrètes qui émergent un peu partout et sont porteuses d’un socialisme pluriel. Non pas d’un socialisme globalisé qui n’aurait de certain que les travers de tous les totalitarismes, mais bien des socialismes en situation, selon leurs histoires, leurs écologies propres et leurs aspirations, qu’ils soient utopistes, libertaires, anarchistes ou simplement le fruit de l’expression des identités profondément sociales et écologiques des peuples premiers. En France, la lutte menée et le projet porté à Notre-Dame-des-Landes, a été exemplaire à ce titre. Les partis de gauche, que ceux-ci agissent comme partis d’opposition hors ou dans le cadre parlementaire, l’ont compris. « Contrairement à la social-démocratie, ces partis des urnes sont également des partis de la rue. Plusieurs accompagnent les mouvements sociaux, ne cherchent pas à se les inféoder, rompant avec une tradition assez fréquente dans la gauche et l’extrême gauche autoproclamées marxistes-léninistes. »[39]. Ces forces politiques, dépositaires d’une partie de notre fonds socialiste-communiste originel ont compris que l’exigence de politique s’exprime tout autant hors du cadre des partis que dans les partis. Ils ont compris que leur rôle, dans notre état de délabrement démocratique (état autoritaire, parlement affaibli, droit verrouillé et dévoyé, lois d’exception…), mais aussi après la longue traversée du désert qu’a représenté la social-démocratie, n’est plus de prendre le pouvoir ni par l’élection, ni par une révolution de parti, mais de travailler à la construction d’une société démocratique et républicaine sur la base de ce fonds social-socialiste que nous avons en chacun de nous, hérité de deux siècles de lutte pour l’émancipation. Vers une « révolution citoyenne[40]».
Oserons-nous ?
« C’est le caractère odieux de l’exploitation, qu’elle s’exerce entre ‘’égaux’’. La bourgeoisie justifie – bien malgré elle, on s’en doute – toutes les révolutions. Quand les peuples cessent d’être abusés, ils cessent d’obéir ». [41]
Que veut dire ici cesser d’être abusés ? Très simplement reconnaître que la portée prétendument humaniste du capitalisme est une falsification (théorie du ruissellement, à titre d’exemple) et que son idéologie ne correspond pas aux attentes des populations, mais in fine les menace en menaçant leur seul lieu de vie possible. Cesser de nous mentir, cesser de nous raconter des histoires, et cesser que l’on nous en raconte lorsque celles-ci portent en elles falsification, tromperie, peur paralysante. Enfin, cesser de jouer le jeu ! Le moment coronavirus est un de ces moments où apparaissent nettement à la surface de nos vies concrètes tous les mécanismes de la mystification et où l’on en voit à l’œuvre l’écriture du storytelling[42].
Nous voilà arrivés avec le Petit Chaperon rouge au centre de notre vie-monde. Enfants-hommes, il nous faut réunir la totalité de nous-mêmes. Rassembler nos vies, saisir à nouveau notre nature. Faire des allers-retours de chaque côté du miroir pour saisir ce qui nous arrive. Car le capitalisme dans ses fondements les plus solides a pour principe de scinder le monde en deux parties. D’une part ceux qui pensent, parlent et décident et de ce fait méritent d’être mieux pourvus en tant que dirigeants. Et d’autre part ceux qui ne pensent pas, ne parlent pas, ne sont pas aptes à décider, et ne méritent à ce titre que le strict nécessaire, voire moins. L’enfant, dans son étymologie latine (infans) est celui qui ne parle pas. Le capitalisme est donc cette idéologie qui maintient toute une partie de l’humanité à l’état d’enfant, de mineur, sujet qui par essence ne peut qu’être et doit être dirigé pour vivre. Devenus adultes, nous sommes considérés mineurs politiques, mineurs économiques, mineurs intellectuels… A ce titre, y compris jusqu’au moment rituel, dévitalisé et réduit à sa plus faible expression, qu’est devenue l’élection, nous n’avons pas droit à la parole, notre pensée n’a pas vocation à compter et notre avis ne rentrera dans aucune décision majeure (cf « Le Grand débat »). C’est ici que le Petit Chaperon rouge peut nous être utile à nouveau. Nous ayant éclairé sur la mécanique du storytelling du coronavirus, il nous invite à deux choses. Premièrement à assurer notre autonomie par la pensée et par la parole. C’est-à-dire par la restauration du langage dans son exigence de vérité. Comme nous le rappelle A.Badiou une révolution se prépare sur le plan politique et s’organise. La réunion et l’association sont les premiers outils que nous devons ressaisir, dans cet après coronavirus. Deuxièmement à agir en conscience, avec la conviction que ce qui renforce notre capacité à faire société est notre conscience écologique.
Il est un moment du conte du Petit Chaperon rouge qui retient insuffisamment notre attention, c’est le moment où l’enfant rencontre le loup dans la forêt. La gravure de Gustave Doré saisit avec force, ce moment où se joue notre rapport essentiel au monde : à la fois en ce qu’il nous définit comme êtres inégaux par nature mais égaux en nature, et comme êtres de société. Et ce moment est un moment de langage. Un langage commun qui permet l’échange, la communication, la connaissance entre les deux personnages. Seul le conte peut permettre cela : envisager possible de faire société avec la nature autour de langage. Ce qui advient après cette rencontre en forêt, jusqu’à la mort du Petit Chaperon rouge, résulte d’un développement particulier des rapports de forces entre ces deux êtres. Ici se pose le point de réflexion philosophique, moral et social du conte et dont nous avons tant besoin aujourd’hui. Car s’y joue la construction de nos sociétés. C’est le moment où le conte, l’idéologie et la réalité se croisent. Notre réception du conte sur le plan idéologique, en ce moment miroir enfance-homme, va conditionner notre engagement dans la vie.
Une voie possible est de considérer que ce qui advient après ce moment de rencontre dans la forêt est l’expression contingente et intangible d’un ordre des choses, de notre nature et de nos rapports sociaux. Et que, si la fin est tragique pour le Petit Chaperon rouge, les déterminismes de vie et de mort qui s’y jouent sont ceux sur lesquels il convient de bâtir société. C’est la voie libérale et écocidaire du capitalisme qui fonde son idéologie sur une vision naturelle des rapports sociaux, dans laquelle, par exemple, le plus fort l’emporte. La lutte à mort entre homme et nature s’y engage partout et toujours. Une autre voie est de considérer cette fin tragique comme une expression contingente de l’histoire, de notre connaissance et de notre rapport au monde, dont la réalisation reste une possibilité, mais que d’autres possibles existent. Ces autres possibles existent en rapport à ce que nous sommes capables d’une part de repenser notre rapport même à la nature et d’autre part de penser d’autres rapports sociaux (coopération plutôt que concurrence…), de les désirer autrement, comme voies souhaitables de société et de préservation de notre monde. C’est la voie sociale et écologique. Dans l’un et l’autre cas, la peur existe bien sûr, car elle est le ressort et du storytelling et du conte. Mais l’usage qui en est fait diffère profondément selon le point de vue idéologique que l’on adopte. Du point de vue capitaliste, et c’est ce qui le rapproche tant du fascisme, la peur générée par le storytelling provoque un état de choc, une sidération qui, devant une telle menace, ne peut conduire qu’à la soumission à un ordre donné, intangible et, pour survivre à un ennemi désigné, nous oblige à adopter une attitude surplombante, dominatrice, destructrice. L’immanence d’une loi supérieure, qu’il s’agisse de la « loi du plus fort », de la « loi du marché » ou de la loi d’un état autoritaire confère au capitalisme cette dimension suprémaciste, déiste, qui en l’absence de Dieu, confie la vie tantôt à « la main invisible du marché », tantôt à des « premiers de cordée » héritiers, auto-proclamés et tout puissants. Du point de vue social et écologique, la peur générée par le conte est, tout autrement, un ferment de la pensée émancipatrice. Ici nous ne devons, nous ne pouvons plus raisonner en pensant de manière anthropocentrée et jupitérienne mais devons reconsidérer notre rapport entier au vivant et à son milieu, pour y trouver notre place et y interagir au mieux. L’autre n’est plus un ennemi, un concurrent, mais un élément de notre propre système du vivant avec lequel nous avons à vivre, que nous interagissions avec lui ou pas. La vie est bien entre nos mains, c’est ce que l’on appelle démocratie, mais elle est aussi tout autour de nous, c’est ce que l’on appelle écologie.
Oserons-nous ? Oserons-nous, comme le Petit Chaperon rouge, nous tenir ainsi face à la nature, celle qui est autre, et la nôtre, en ce moment miroir merveilleusement rendu dans la gravure ? Oserons-nous, à la différence de l’enfance supposément démunie, en adultes éclairés par le conte et par nos connaissances, nous donner la possibilité de vivre sans que ni loup ni homme n’aient à être détruit, sans qu’aucun ne détruise l’autre ? Le moment coronavirus est précisément ce moment de vérité du conte, où dans cette rencontre, comme pour le Petit Chaperon rouge et pour le loup dans la forêt, se joue pour nous, et par nous, l’avenir du monde. Non qu’il s’agisse de savoir qui du coronavirus ou de l’homme va détruire l’autre, aucune hypothèse n’étant crédible. Ce dont il s’agit, c’est que du choix que nous ferons, en sujets responsables, dépendra la survie même et de notre société et de notre espèce. Au petit matin du déconfinement, à ce moment où nous sortirons de la forêt de nos rêves, il faudra décider si nous continuons sur la voie du capitalisme, en continuant la destruction du vivant et en marchant vers notre propre destruction ou si nous empruntons une autre voie, en osant une révolution citoyenne et écologique. Oserons-nous ?
[1] « En passant dans un bois elle rencontra compère le Loup ». Illustration de Gustave Doré de 1867.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Chaperon_rouge#/media/Fichier:Dore_ridinghood.jpg
[2] La menace terroriste est probablement d’un autre ordre. La comparaison n’est pas le sujet ici.
[3] Naomie Klein, La Stratégie du choc - La montée d'un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2008
[4] Noaom Chomsky, Edward Herman, La Fabrication du consentement - De la propagande médiatique en démocratie, 1988, Ed. Agone, 2008
[5] Alain Badiou, Sur la situation épidémique, QG média, 26 mars 2020
[6] F.Lordon, Le moment Potemkine, Blog du Monde diplomatique, 13 dec. 2019
[7] 2006, cf Bruno Canard, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des coronavirus, article du Monde, 29 fev. 2020
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/02/29/bruno-canard-face-aux-coronavirus-enormement-de-temps-a-ete-perdu-pour-trouver-des-medicaments_6031368_1650684.html
[8] Référence à la version de Charles Perrault (1697) - Texte établi par Pierre Féron, Casterman, 1902
https://fr.m.wikisource.org/wiki/Contes_de_Perrault_(%C3%A9d._1902)/Le_petit_Chaperon_rouge
[9] Warren Buffet, le 25 mai 2005, sur la chaîne de télévision CNN.
https://www.humanite.fr/politique/c-est-ma-classe-la-classe-des-riches-qui-mene-cette-guerre-et-qui-est-en-train-de-la-gagne
[10] Frédéric Lordon, op.cit – La mutinerie du cuirassé Potemkine est un moment de cristallisation de la Révolution Russe de 1905
[11] Monique Pinçon-Charlot, Là-bas, entretien avec Daniel Mermet, 13 avril 2020
[12] Evariste, Les conditions du « plus jamais comme avant ! », dans ReSPUBLICA, journal en ligne, 7 avril 2020
[13] Richard Poulin, Désynchronisation des luttes sociales et politiques, dans « Quelle stratégie ? Résurgence des mouvements sociaux, combativité et politique », Collectif, M Editeur, 2013
[14] La NEF – Nouvelle économie financière, dont la vocation est le financement de l’économie réelle, au plus prêt des projets de territoire et dans une approche éthique, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental
[15] Christiane Lagarde, ministre de l'économie et des finances, le 10 juillet 2007, adresse aux députés, lors de la présentation du projet de loi TEPA (Travail, Emploi, Pouvoir d’Achat) : "(…) c'est une vieille habitude nationale : la France est un pays qui pense. Il n'y a guère une idéologie dont nous n'avons fait la théorie. Nous possédons dans nos bibliothèques de quoi discuter pour les siècles à venir. C'est pourquoi j'aimerais vous dire : assez pensé maintenant. Retroussons nos manches."
[16] Conférence « Le transhumanisme », école Polytechnique, 14 janvier 2019 https://www.youtube.com/watch?time_continue=1254&v=-WRMZaGpCZ4&feature=emb_logo
[17] Dont Michel Onfray a mis en place une des formes possibles à Caen
[18] Cf Ray Bradbury, Fahreinheit 451, 1953 - et adaptation cinématographique de François Truffaut
[19] Antonio Gramsci
[20] Monique Pinçon-Charlot insiste sur ce point, que « la violence, c’est toujours la violence des riches ». op.cit.
[21] Selon l’assertion de Céline
[22] Extrait de l’émission « Democracy now » - vidéo produite par The Intercept – Naomi Klein « Les idées qui traînent dans l’air » - https://www.youtube.com/watch?time_continue=14&v=2k-5pCClt0o&feature=emb_logo – Vidéo portée à notre connaissance par le site de Là-bas (Daniel Mermet - https://la-bas.org/la-bas-magazine/chroniques/naomi-klein-le-coronavirus-du-capitalisme
[23] Jean Le Garrec, Guillaume Blanc, L’idée socialiste, Ed Bruno Leprince, 2011
[24] Expression attribuée à Margaret Thatcher
[25] Ainsi des auteurs cités dans les références bibliographiques réunies ici, pour leur récents articles, parmi de nombreux autres
[26] Philippe Hervé, Face au désastre global, construisons un « double pouvoir » ! – Dans Respublica, journal en ligne – 30 mars 2020
[27] Ibid.
[28] Le lecteur pourra se reporter aux contenus de quelques articles, qui en 2006, ont nourri le débat sur cette idée d’ «ordre juste », entre Michel Noblecourt (Le monde) et Jean-Luc Mélenchon, à propos de son usage dans les milieux socialistes, et notamment par Ségolène Royal.
https://www.lemonde.fr/idees/article/2006/07/03/segolene-royal-et-l-ordre-juste-par-michel-noblecourt_791168_3232.html
http://www.jean-luc-melenchon.fr/2006/11/12/l-%C2%AB-ordre-juste-%C2%BB-nest-pas-un-ordre-emancipateur/
L’expression est employée ici tout autant par effet d’une écriture spontanée que par nécessité de trouver termes adaptés, le sujet du débat restant sans doute ouvert.
[29] Cf autre article de mon blog. https://blogs.mediapart.fr/lrichard7/blog/260120/aux-armes-du-droit
[30] Richard Poulin, op. cit.
[31] Jean-Luc Mélenchon, Agir en politique maintenant, Site web L’ère du peuple, 6 avril 2020
[32] « Le capitalisme a toujours exploité simultanément l’être humain, en lui volant sa force de travail et en ne la payant pas à sa juste valeur et en même temps en détruisant, en mettant à mal le monde animal et le monde végétal. » Monique Pinçon-Charlot, op.cit.
[33] Michael A.Lebowitz, L’Etat et le socialisme, d’hier à aujourd’hui, dans « Quelle stratégie ? Résurgence des mouvements sociaux, combativité et politique », collectif, M Editeur, 2013
[34] Paul Nizan, Aden Arabie.
[35] Karl Marx, Le capital, livre 1, cité par Michael A.Lebowitz, op.cit.
[36] Cf travail de Bernard Stiegler – Association Ars industrialis
[37] Serge Halimi – Le monde diplomatique, avril 2020
[38] Cette démarche est au cœur du programme politique « L’avenir en commun » soutenu par Jean-Luc Mélenchon dans toute l’évolution de son parti-mouvement, du Parti de gauche (et du Front de gauche) depuis l’élection présidentielle de 2012 jusqu’aux Insoumis aujourd’hui
[39] Richard Poulin, op. cit.
[40] Slogan de campagne de l’élection présidentielle de 2012, J.L. Mélenchon et Parti de gauche, op.cit.
[41] Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations, Gallimard, 1967
[42] Tâche à laquelle s’attache notamment Juan Branco au travers de son engagement auprès de Julian Assange et du rôle de celui-ci (Wikileaks), ainsi que de son engagement dans le mouvement des gilets jaunes et de la contre-réforme des retraites, ainsi qu’au travers de ses écrits – Crépuscule, 2018 – Assange, L’anti-souverain, Cerf, fev. 2020