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La proposition d'Éric Zemmour d'instaurer une prime de 10 000 euros pour toute naissance de zone rurale a fait gloser dans la presse. Sur son imprécision d'abord: dans quelles limites géographiques, de population? conditions de ressources ou pas (vraisemblablement pas)? sur son financement aléatoire («par la fin de l'assistanat»); sur son flou juridique enfin (rupture du principe d'égalité qui, à ce stade, s'agissant de prestations individuelles, pourrait être censurée par le juge constitutionnel pour atteinte au principe d'égalité de traitement).
Peu importe à Z. L'essentiel est qu'on en parle, qu'on parle de lui. Sans nul doute y a-t-il, derrière cette proposition, une volonté de récupérer la frange rurale des ex-gilets jaunes. Tant qu'il occupe l'espace médiatique, qu'on le comment ou qu'on le critique, les autres n'y ont pas place. Est-il content de son coup? Il peut l'être. Mais regardons plus loin sans nous attarder aux limites de sa proposition, ce qui est déjà entrer dans son jeu.
Ce que traduit la proposition de Z., c'est le retour à une vision rétrograde et fantasmée d'une supposée «vraie» France, la France paysanne, celle que les modernités urbaines n'auraient pas pervertie. Cette vision-là n'est pas nouvelle. Elle a beaucoup à voir avec la formule de Pétain sur «la terre [qui] ne ment pas».
Cette formule a fait florès. Tirée d'une allocution du 25 juin 1940 qui commençait par justifier l'acception de l'armistice et l'occupation d'une grande partie du territoire par l'armée allemande, elle se concluait ainsi:
Ce n'est pas moi qui vous bernerai par des paroles trompeuses. Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal. La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c'est une portion de France qui meurt. Une jachère à nouveau emblavée, c'est une portion de la France qui renaît.
N'espérez pas trop de l'État. Il ne peut donner que ce qu'il reçoit. Comptez, pour le présent, sur vous mêmes et, pour l'avenir, sur vos enfants que vous aurez élevés dans le sentiment du devoir.
Nous avons à restaurer la France. Montrez-la au monde qui l'observe, à l'adversaire qui l'occupe, dans tout son calme, tout son labeur et toute sa dignité. Notre défaite est venue de nos relâchements. L'esprit de jouissance détruit ce que l'esprit de sacrifice a édifié.
C'est à un redressement intellectuel et moral que, d'abord, je vous convie. Français, vous l'accomplirez et vous verrez, je vous le jure, une France neuve sortir de votre ferveur.
C'est bien ce projet-là que porte encore et toujours Z., tenant et champion d'une extrême droite «rediabolisée», aux accents maurrassiens — y compris le retour à l'avant 1789. Au-delà du contexte particulier de l'époque (mais, pour Z. et ses émules, n'y a-t-il pas aujourd'hui une autre forme d'Occupation?), c'est le même vieux fond inégalitaire qui prévaut, aussi rance que le propos de 1940.
Luc Bentz
30 janvier 2022