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Formidable créateur de musique et insuffleur de folie (furieuse/tendre), qu’il voulut rassembler dans une verve ondulante, à la fois pleinement populaire et d’une indéfectible expérimentativité entraînante. Initiateur, donc, du free jazz en 1960 avec l’album éponyme, déclaration de guerre massive (double quartet) à l’entertainment et à l’asservissement du musicien dans le rôle de délasseur aimable de la bourgeoisie, il tient à ce que la pochette reproduise une toile de Jackson Pollock de 1954 (« White light »), dont la peinture fut tout autant révolutionnaire, tant par la façon primitive de concevoir l’action de peindre que par les implications politiques d’un tableau rendu à sa surface mouvante et brute.
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Il devait relancer la capacité subversive du jazz avec ce disque-apologie de la profusion et du désordre, au point même de se faire casser la figure et détruire son saxophone par un groupe de Noirs mal inspirés qui avaient jugé sa création dégradante pour leur communauté. De Fort Worth (Texas) où il avait grandi, il s’était exprimé sur l’incidence à jouer cette musique — « free » : dans l’impulsion de l’association libre, avant les mots et au-delà de la note —, qu’avait produit sur lui la violence extrême des rapports humains dont il avait été témoin : « La ségrégation tenait moins à la couleur de peau qu’à l’argent. Vous aviez ceux qui en ont, ceux qui n’en ont pas et ceux qui n’en auront jamais. La mort n’a pas de couleur. Mais ce que j’ai compris, c’est que rien ne t’oblige à être injuste parce qu’on t’a maltraité. Si je peux faire partager ce sentiment aux musiciens qui jouent ma musique, l’essentiel est atteint ». À une question de Jacques Derrida (dans un entretien pour Les Inrockuptibles en 1997) à propos de l’opportunité d’émettre des déclarations verbales sur sa musique, il avait répondu : « Ça m’intéresse plus d’avoir une relation humaine avec vous qu’une relation musicale. Je veux voir si je peux m’exprimer en mots, en sons qui ont à voir avec une relation humaine […]. Pour moi, la relation humaine est beaucoup plus belle, parce qu’elle vous permet d’acquérir la liberté que vous désirez, pour vous-même et pour l’autre ».