Lucas Alves Murillo
Historien de formation. Collabore avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France. Spécialiste de l'histoire du sport et des sportifs, des mondes arabes et de l'Espagne contemporaine.
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Billet de blog 28 janv. 2020

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Violence d'une république

Il n'est aucunement nécessaire que de présenter Robert Badinter. Celui que l'histoire retient comme le principal instigateur de l'abrogation de la peine de mort dans notre pays a véhément rappelé son opposition à toute violence au sein de la République française. Quelqu'en soit la cause et la personne politique visée. Cette parole, bien que noble, peut paraître éloignée des réalités.

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Les mots sont forts et ne peuvent souffrir d'aucune suspicion. Sur le plateau de C à Vous et face au journaliste Patrick Cohen, l'ancien garde des Sceaux (1981-1986) n'a pas hésité à condamner toute forme de violence, refusant le terme de « folklore » et toute clémence. Quoi de plus cohérent pour cet ancien homme d'Etat, respecté et respectable. Cependant, les images mis en avant sur le plateau en question (la tête d'Emmanuel Macron au bout d'une pique) et la ferme condamnation de l'invité du jour semblent témoigner d'un décalage certain, si ce n'est général, vis-à-vis des violences qui peuvent traverser une société.

Le caractère légitime de la violence dans telle ou telle situation est difficile à établir. Le prêtre brésilien Hélder Pessoa Câmara a dressé une typologie de la violence. Celle-ci se décline sous trois aspects : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres ».

Pour sa part, Max Weber, l'homme que les lycéens apprennent à connaître chaque année, théorisa « le monopole de la violence physique » dans les mains de l'Etat moderne. Pour Machiavel, dés le XVIème siècle, il existe trois moyens pour arriver au pouvoir ; l'habileté, l'argent et... la violence. Dans notre contexte franco-français, la sacralisation de l'Etat central et jacobin renforce un peu plus le caractère dépolitisé de sa violence. Cette distance permet l'avènement d'affaires policières et étatiques (comme celle concernant l'Elysée et Alexandre Benalla) qui font le lit de la méfiance, de la surenchère et de l'incompréhension. La condamnation de Robert Badinter, qui est le fruit d'une histoire et d'un contexte, est limité par l'absence d'une autre condamnation, celle de la violence sociale, qui semble la plus répressive et la moins discutée en hauts lieux.

Pour ce qui est de la répression de la violence, Pessoa Câmara disait à propos de sa typologie : « Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue ». L'objet de l'argumentaire n'est pas de trouver coûte que coûte une justification à la violence (quelque soit son auteur), comme si celle-ci était un outil naturel de régulation de la société, mais de montrer que, parfois, les causes d'un mal arrivent à se faire oublier. Certains semblent dépassés par leur propre contexte, les mots de Jacques-Bénigne Bossuet résument notre paradoxe ; « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». 

Le débat n'est pas tant la légitimité de la violence, mais celui de sa compréhension. Tout peut sembler justifiable, l'enjeu est de savoir si tout peut se comprendre. Ignorer les causes de la violence, c'est manquer de légitimité dans la condamnation, manquer d'une telle légitimité c'est devenir inaudible, devenir inaudible c'est marquer une possible fracture entre institutions et citoyens.

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